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Maria Sharapova et l'ours du jardin d'Acclimatation


Bonjour, monsieur Barberet. Vous avez aujourd'hui une surprise pour nous qui s'appelle Maria!

En effet, j'ai écrit une fable à la gloire de Maria Sharapova, et comme le tournoi de Roland Garros commence bientôt, j'ai pensé intéressant et pertinent de rendre cette fable publique avant le début du tournoi! Elle a été transmise à Maria! Le mois de mai ne serait pas le même sans Roland Garros. Peu-être les petites fleurs jaunes des prés, se métamorphosent-elles en secret en balles de tennis! Allez savoir! Tennis rime avec Narcisse, iris et lys.  

C'est assez original comme démarche littéraire!

La Fontaine a oublié dans ses fables de mentionner le jeu de Paume et d'écrire une fable à la gloire d'un champion du moment. Je corrige simplement cet oubli. 

Vous aimez le tennis, je suppose. Allez-vous suivre Roland Garros de très près?

Je vais suivre les grands matchs, oui, mais une quinzaine, c'est long, il faut donc ménager la monture pendant la première semaine, éviter l'overdose d'entrée de jeu. C'est une vraie course de fond, suivre un tournoi du grand chelem de près, comme rajeunir un genre littéraire ou écrire un grand recueil de poésie! 

Pourquoi Maria Sharapova et pas Samantha Stosur?

Je ne sais vraiment pas. L'idée a fait son chemin tout seul. Je cherchais des sujets de fable pour mon livre parisien, et, après un passage au jardin d'Acclimatation, je me suis dit que ce serait drôle de donner la parole à son ours. C'était aussi une façon pour moi de parler des animaux tenus en cage ou prisonniers d'un enclos. J'ai pensé au tennis, aux joueuses de tennis et à Maria. J'ai fait le lien assez vite. Je pensais marrant aussi d'évoquer dans une fable la plupart des grands manèges de fête foraine qui font la joie des enfants. J'aime bien Maria, bien sûr, mais je ne crois pas que son jeu soit le plus intéressant du circuit; celui de Stosur est par exemple plus complet, riche et spectaculaire, mais Maria reste une championne. Comme elle est intelligente, je pense qu'être une Muse doit lui plaire aussi!   

Un mot sur Ana Ivanovic?

Elle est d'autant plus craquante qu'on la sent vulnérable et parfois un peu perdue. Elle est superbe en prêtresse d'Apollon dans des photos récentes. Elle pourrait faire une merveilleuse Pythie delphienne! Je suis prêt à lui souffler des vers énigmatiques dans un oesophage de flamant rose s'il le faut! 

Vous avez joué vous-même au tennis, je crois savoir.

Oui, jusqu'à mon entrée au lycée. J'étais classé 30 et je participais à des tournois dans la région. Je faisais partie des vingt meilleurs de Provence de ma classe d'âge. J'ai même été, bien plus tard, dans l'équipe réserve des Blues d'Oxford! Je n'ai pas joué contre Cambridge, hélas. J'étais un crocodile. Je renvoyais toutes les balles en faisant le moins de fautes possible, un peu comme Caroline. Dès que je rencontrais mon double, un type qui renvoyait toutes les balles, j'étais perdu! J'essayais alors d'attaquer, très maladroitement, et c'est moi qui faisais toutes les fautes. J'étais un joueur de fond de court, assez moyen à la volée. Et il m'est arrivé à plusieurs reprises d'être viré du court à cause de mes rages et de mes emportements. Quand je parle dans mes poèmes des rages et des colères de Jupiter ou de Zeus, je sais de quoi je parle, et je dois cette connaissance pointue au tennis. Il faut avoir les nerfs solides au tennis. Tout se joue dans la tête. Aujourd'hui, je ne joue plus. Je ne suis pas assez motivé pour faire partie d'un club par exemple. Mais je pourrais très bien rejouer un jour. Ces choses-là ne se perdent pas, c'est comme le vélo.    

Je crois savoir aussi que le tennis fut la cause de votre plus gros mensonge.

En effet, Delphine. Quand j'avais dix ans, j'aimais beaucoup Chris Evert. Et pendant des années, j'ai fait croire à mon meilleur copain, qui savait que je jouais au tennis, que Christ Evert me donnait chaque été des leçons de tennis particulières en Franche-Comté! Le plus drôle, c'est que mon copain, qui s'appelait Sylvain, me croyait, et que, du coup, je ne fus pas très loin d'y croire moi-même! J'adorais vraiment Chris Evert. Aujourd'hui encore, je vis entouré de nymphes, de sylvains et de satyres!  

En faveur du changement des règles?

Non. Cette course au changement dans tous les domaines est l'une des grandes plaies et l'une des grandes bêtises de notre temps, l'une de ses grandes folies. Les règles actuelles du tennis sont très bien comme elles sont. Les changements proposés n'apporteraient rien de plus. Il est bon que les joueurs puissent reprendre leurs esprits entre les points. Les joueuses peuvent pousser tous les hurlements qu'elles veulent; je sais que, dans le feu de l'action, les adversaires ne les entendent pas. Ma nouvelle tronçonneuse, quand elle passe du plein régime au ralenti, contrefait, je ne rigole pas, la fin du cri de Victoria Azarenka! Un régal! 

Inquiet pour l'avenir du tournoi de Roland Garros?

Je ne suis pas ce dossier de très près. Je sais que les tournois se tirent la bourre actuellement, notamment au niveau des infrastructures et des gains des joueurs. S'agissant de ces derniers, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'enrichir plus les dix meilleurs mondiaux. En revanche, il se peut que les joueurs moins bien classés aient besoin d'une bouffée d'oxygène. Pour ce qui est des infrastructures de Roland Garros, je ne connais pas le dossier. Si déménagement, il devait y avoir un jour, il faudrait privilégier Versailles, je pense. Ce serait un moindre mal.  

Alors, cette fable, elle vient oui ou non?

La voici! 


L’ours du jardin d’Acclimatation

 

Croyons-en la petite balle jaune ou blanche:

Tourner en rond n’est pas symptôme de démence. 

Aveugles ou très naïfs les badauds

Qui croient que je bouillonne d’impatience

Quand je tournoie en rond dans mon enclos. 

Je vous assure que rien n’est plus faux:

Au contraire, je m’acclimate avec vaillance, 

Je m’habitue au fond de l’air nouveau.

Je reste on ne peut plus stoïque 

Devant les trépas des pixels

Qui crépitent de manière héroïque.

Dans ce jardin, je me sens plus proche du ciel.

Mon enclos n’est pas la douve, mais le castel:

Je m’y sens à l'abri de la bile et du fiel

Comme un vieux philosophe antique!

Je reçois même de Sibérie des courriels!

J’observe tous les autochtones!

Je fais l’ethnographe; parfois, je les questionne.

Certains me font rigoler jaune!

Quand il fait trop chaud, je bouillonne! 

Quand il fait un froid de canard, ou d’échalas,

Je me sens pour ainsi dire chez moi.

Je fais escale à Neuilly, au bois de Boulogne, 

Avant de rejoindre la région de mon choix.

Le Jura, la Sologne,

Rien n’est encore décidé, je crois.

N’exagérez pas ma détresse:    

Bientôt, je ne serai plus là.

De plus, rien ne me presse,

J’ai l’âme russe comme Oblomov et Maria.

Mais surtout comme Maria: c’est une déesse,   

Une biche dont le caractère me va.

J’ai composé hier ce quatrain à son adresse: 

Ô toi, Maria Sharapova,

Quand tu bouillonnes dans les bâches

Pour te concentrer sur la tâche,

Tout ton cordage vibre en moi.

Il me plairait assez d’être sa proie,

Ou son revers, ou son coup droit!

Je masserais son épaule avec joie.

Cela va de soie, non?

Allez, de ma pensée, je vous livre le fond:  

J’irais bien avec cette demoiselle

Flâner dans les allées du parc de Bagatelle

Quand refleurissent les hormones, les glaïeuls;  

Loin, très loin, des foules de la Porte d’Auteuil,

Pour rendre jaloux les bouvreuils

Sous les regards des écureuils.   

Puis, après avoir bécoté ma dulcinée,

Peut-être irions-nous au ciné

Du côté des Champs-Elysées

Avant de revenir dîner

Au restaurant de la Cascade.

La discussion serait plus piquante que fade:  

Nous parlerions des raquettes et de l’Oural, 

De la Floride et des plaisirs de la baignade,

Et de ce qu’elle ferait sur le court central

Si Ana me lançait tout à coup des œillades.

Les chandelles feraient resplendir nos salades,

Ses beaux yeux de biche dont la couleur me va.  

Les autres clients ne nous reconnaîtraient pas.

En cas de défaite, ce n’est pas dérisoire,

Moi, je suis prêt à lui remonter le moral. 

Par ailleurs, j’ai raison et vanité de croire

Que ma fréquentation ostentatoire 

Lui permettrait de renouer avec la victoire

Et de briller enfin au bal.

J’hésiterais à lui parler de Caroline,

Peut-être trop jeune pour être ma copine.

Le grand chelem ne me déplairait pas:   

J’aime bien aussi Victoria Azarenka.

Pour le dessert, j’hésite: fruit ou chocolat?

Une championne se doit de garder la ligne.

Je croquerais bien dans ses dents!

On dirait du chocolat blanc.

Quelle perfection rectiligne!

En nous tenant longuement par la main,

Noués comme deux ceps de vigne, 

Nous retournerions à pied au jardin

En faisant un long détour par l’allée des Cygnes.

Sous les étoiles assises dans leurs gradins,

Dans la douce nuit printanière qui embaume,

Nous bouderions le train fantôme,

Les montagnes russes, les miroirs déjantés: 

Nous nous laisserions tentés

Par la rivière enchantée.    

Notre inoubliable soirée

Finirait dans un wagonnet! 

Nous quitterions Paris, cloués sur notre siège.

Il reviendrait aux fringantes mouches de mai

De me consacrer, aux aurores, grand stratège

Et tsar de l’acclimatation!

Mais avec votre permission. 


Cela mérite au moins une bise et une photo!

Cela mérite beaucoup plus, Delphine!