Est-ce un beau cadeau de Noël que relire ses poèmes de jeunesse?
Oui, c'est un très beau cadeau, même si je ne suis pas toujours entièrement satisfait par ce que je relis. J'ai écrit ces poèmes avec une certaine désinvolture à l'époque. Ce sont essentiellement des premiers jets, et cette première édition de mes poèmes de jeunesse nécessite, non pas un travail de tri, mais un travail réel de fignolage et de composition. Je ne change rien à l'ordonnancement général du recueil et à l'enchaînement des poèmes, sauf pour une poignée d'entre eux que la nouvelle organisation du recueil m'oblige à déplacer ailleurs, mais je suis obligé de retravailler certains d'entre eux, et, surtout, d'écrire de nouveaux poèmes pour compléter l'ensemble.
Ce ne seront plus des poèmes de jeunesse alors!
Si, ils resteront des poèmes de jeunesse. La grande majorité des poèmes de ce recueil Jeunesse auront bien été écrits dans ma jeunesse, c'est-à-dire pendant ma vingtaine. Simplement, à l'époque, quand je les écrivais, ou plutôt jetais sur le papier, je ne savais pas que j'écrirais un jour des fables et que me viendrait à l'esprit le projet de diviser mon oeuvre poétique en trois périodes distinctes: la jeunesse, la mâturité et la vieillesse. Ayant aujourd'hui une connaissance relativement aiguë de ce que je veux faire, je peux me tourner vers ces poèmes de jeunesse avec un oeil neuf et travailler à une première édition de ces poèmes qui tienne esthétiquement compte de ces réalités poétiques nouvelles. Je rafraîchis ce recueil à l'aune de mes autres projets littéraires en cours.
Vous écrivez donc actuellement de nouveaux poèmes que vous ferez passer dans votre recueil pour des poèmes de jeunesse!
C'est exactement cela. Il ne m'est pas difficile à la lecture de ces poèmes de jeunesse et à la relecture de mes souvenirs de me remettre dans la peau du jeune homme que j'étais alors et d'écrire des poèmes que je peux lui attribuer. Cela n'est pas le seul fait marquant de ce travail. J'ai décidé de changer le titre de l'ensemble du recueil. Je pensais appeler ce recueil, consacré aux bords de la Loue, rappelons-le, Les ravissements. Or, si le sens du mot me plaît et correspond bien à l'état d'esprit général de cette poésie en prose, la sonorité du mot, elle, me déplaît. Je trouve que le mot n'est pas facile à prononcer. Je préfère de loin les delights and raptures des Anglais, mais il va sans dire que je ne veux pas donner un titre anglais à l'ensemble de mon recueil, surtout que certains poèmes poursuivent la tradition de Baudelaire et de Rimbaud, et sont dotés de titres anglais, car, bien sûr, ce recueil de Jeunesse n'élude pas mes années anglaises et le fait que ma Laure fut longtemps et demeure à certains égards une charmante Miss de la perfide Albion. Le titre général sera donc:
Les Rafraîchissements
Première période: Jeunesse ou la fine fleur de l'âge
Les rafraîchissements! Vous y allez fort! Les rafraîchissements vous ravissent?
Autant que les contemplations ou les illuminations. J'aime ce mot de rafraîchissement car il est ambigu, sinon ambidextre. Il évoque des choses qui peuvent être à la fois positives ou négatives. Ravissement faisait trop convenu et trop consensuel à mon goût. Mes poèmes se passent essentiellement en été, pendant la saison chaude. Ils sont un hymne à une vallée, et, à travers cette vallée, la vallée de la Loue et quelques-uns de ses affluents, un hymne à la nature, à la liberté, à la poésie. De fait, le narrateur des poèmes est souvent en quête de sources, de ruisseaux et de lieux ombragés où se rafraîchir. Il arpente à pied la contrée à la façon de Courbet, mais aussi, en un sens, à la façon de Whitman dont il lit les poèmes qui servent de miroir à sa propre expérience (qui se rapproche dans les faits plutôt de celle de Thoreau au bord de son étang), et, bien sûr, en été, très vite, les marcheurs ressentent le besoin de se rafraîchir. Les aurores et les crépuscules n'y suffisent pas, il faut rejoindre les sources, les gorges et les bassins, il faut parfois en appeler aux pluies d'automne et aux résurrections des cascades. Par ailleurs, le mot Rafraîchissement fait largement partie du langage courant pour désigner les boissons qui désaltèrent et fait immédiatement songer à la saison des vacances et des villégiatures. De ce point de vue, il est éminemment positif, tout comme le fameux rafraîchissement de mémoire. En retravaillant un peu ces poèmes de jeunesse, je me rafraîchis la mémoire à certains égards, et mon entreprise poétique constitue en soi une entreprise de rafraîchissement poétique, après un vingtième siècle qui a quelque peu dévoyé la poésie en l'entraînant sur des pistes sectaires qui n'intéressent personne, uniquement les mauvais poètes qui écrivent de la pseudo poésie (parfois publiée, voire republiée, ce qui est quand même le comble de l'absurde et de la sottise) parce qu'ils sont incapables d'écrire autre chose. Par ailleurs, cette poésie du 21ème siècle qu'est ma poésie veut souligner l'importance de l'ombre, de l'eau et de la fraîcheur en un temps où menacent la désertification et la disparition des oasis, des ruisseaux et des zones humides. Non seulement nous sommes confrontés à un réchauffement climatique inquiétant, mais, depuis Mai 68 et l'avènement des pseudos radios libres dans les années 80, à une idéologie primaire, festive et barbare, faisant aveuglément l'apologie de la pollution sonore, de la bêtise et du soleil.
Serait-ce une ode secrète à l'hiver?
Il y a un peu de ça. C'est une ode à toutes les saisons. Pour savourer ce moment intense où l'on se baigne dans une source comme une nymphe, il faut avoir été plongé sous un soleil brûlant au préalable. C'est essentiellement une ode aux contrastes donc. En hiver, quand on plonge ses mains dans la Loue, on ne se rafraîchit pas, on se brûle les mains! Le feu de cheminée est, en hiver, aussi important que la source d'eau claire en été. Dans son sens négatif, le mot Rafraîchissement fait penser avant tout aux rafraîchissements dans les relations humaines. Mais dans son sens négatif, c'est aussi un mot délicat qui ne franchit jamais le Rubicon. On ne bascule pas dans le froid et dans le gel. On ne bascule pas dans la glace et dans la glaciation. On passe à quelque chose de plus frais qui fouette et qui ranime, c'est tout. Le dictionnaire n'attribue d'ailleurs aucun sens négatif au mot. Mais bon, les enfers peuvent être aussi glacés que brûlants. Et se rafraîchir, c'est se rapprocher un peu de l'au-delà aussi. Ce n'est pas pour rien si l'eau claire des rivières et des résurgences s'en vient des profondeurs de la terre. Dans son sens négatif, à la fois noble et poétique, le rafraîchissement évoque la diminution des jours qui nous restent à vivre et le rapprochement de la mort, ainsi que l'éloignement ou la disparition des choses, des êtres ou des lieux que l'on aime, ce qui entraîne à l'intérieur de soi une perte d'enthousiasme, un sentiment de fatalité et d'impuissance, voire de résignation, le tout équivalant à une forme de rafraîchissement intérieur nous préparant à l'expérience de la tombe! Comme vous le savez, plus on vieillit, plus on devient frileux dans tous les sens du terme. La femme est d'ailleurs naturellement plus frileuse que l'homme, et se plaît souvent à refroidir les ardeurs masculines!
Ce premier volet Jeunesse, est-ce une ode secrète à la littérature américaine?
Une ode n'est pas le mot. Disons que dans la réalité des faits, je lisais à l'époque beaucoup de grande littérature américaine, et notamment Whitman et Thoreau, mais aussi Hawthorne, Twain, Melville et Poe pour ce qui est du dix-neuvième siècle. Je tiens donc à ce que ce recueil Jeunesse reflète cette réalité, pertinente également eu égard au fait que l'Amérique reste un jeune continent, sinon le jeune continent par excellence, voire la fraîche nation des renouveaux par principe, voire idéologie. Mon recueil Mâturité renouera, lui, avec les Anciens et la mythologie grecque comme vous le savez. Je tiens à ce que ce vivifiant contraste soit présent dans l'ensemble du recueil. La lecture de Pindare ou d'Horace me rafraîchit et m'enthousiasme autant que la lecture ou relecture de Whitman ou Thoreau.
Je crois savoir que vous relisez Whitman actuellement.
En effet, et c'est là mon second cadeau de Noël. Cela faisait presque vingt ans que je ne l'avais pas lu! Et je dois bien sûr le relire pour retrouver mes années de jeunesse et confronter la pensée du jeune homme que j'étais alors à la sienne. Je relirai les poèmes d'Edgar Poe dans la foulée. Les ambiances à la fois fraîches et ténébreuses qui règnent au fond des gorges et des ruisseaux encaissés me font penser à lui bien plus qu'à Whitman ou Thoreau!