· 

Vive le Tome 2!


Maintenant que vous avez publié le Tome 1, votre esprit peut se concentrer désormais sur la finition du Tome 2.

Oui, Delphine. J'ai créé une édition numérique et deux éditions papier du Tome 1, et, bien sûr, cela m'a pris du temps en cette année 2019, puisque c'est là un travail que je faisais notamment pour la première fois et dont je ne connaissais pas les ficelles et les embûches. Je suis heureux que ce travail éditorial soit terminé. Mais je devrai m'y remettre en 2020 pour la publication du Tome 2. 

Avez-vous envoyé le Tome 1 à des éditeurs et à des journalistes?

Non, pas pour le moment, mais je ne m'interdis rien. Il faut bien comprendre que, s'agissant de l'édition française, je n'ai pas besoin d'un éditeur pour mettre mes fables à la disposition du public. Et c'est là une liberté fondamentale et précieuse. Il n'est pas bon que la littérature soit la chasse gardée de comités Théodule. Il faut bien comprendre aussi que je tiens absolument à effectuer la première édition du premier recueil des Fables du Lavoir en auto-édition. Cela prend du temps, mais cela me laisse aussi le loisir et la liberté de travailler comme je l'entends. Cela ne veut pas dire que les éditeurs sont inutiles et obsolètes. Je serai toujours obligé d'en passer par des éditeurs pour ce qui est par exemple d'éventuelles traductions et publications en langues étrangères. Pareillement, je songe déjà à ce que sera la deuxième édition de ce premier recueil. Et il est clair que cette deuxième édition devrait être idéalement une édition illustrée, agrémentée d'un appareil critique et de notes. Je devrai probablement travailler avec un éditeur français pour réaliser une telle édition illustrée, qui constituerait probablement l'édition définitive du premier recueil pour tout ce qui relève de  la composition du recueil. Mais si cela n'intéresse personne, ou si cela intéresse des éditeurs seulement à des conditions qui ne me conviennent pas, je réaliserai également la deuxième édition en auto-édition. Il faut bien comprendre que pour un homme comme moi, avoir un éditeur ne constitue pas une fin en soi. Aucunement une consécration. La consécration, c'est d'être le meilleur fabuliste français et européen depuis La Fontaine. Ce que je suis et je n'ai pas besoin de l'entendre dire pour le savoir. Cela fait partie des privilèges et prérogatives des grands poètes et des grands artistes de savoir ces choses-là.   

Ce Tome 1 n'est pas disponible en librairie. Est-ce un choix délibéré?

Oui. Dans l'édition classique, on adhère à un système économique qui oblige à vendre son livre en librairie. Le problème, c'est qu'il est gourmand, ce système: il ne laisse que des miettes aux auteurs. Les libraires ramassent en moyenne 30% du prix de vente d'un livre par livre vendu. Parfois plus. Et cela concerne les grosses librairies, les grandes surfaces, comme les petites librairies de quartier. Par ailleurs, quand votre livre est auto-édité, il n'est pas vraiment susceptible d'intéresser les libraires, et notamment les grosses librairies et les grandes surfaces, qui préfèrent travailler avec les éditeurs traditionnels, qui publient déjà énormément, il faut bien le dire. Le flot de nouveautés est continuel. Edité ou auto-édité, on est condamné au même sort, on est toujours noyé dans la masse. Ce qui soulève bien entendu la question de la critique littéraire, mais c'est là un autre problème. De fait, en tant qu'auteur auto-édité, on n'a pas forcément intérêt à vendre son livre en librairie. Un tel choix renchérit automatiquement de 30% le prix du livre pour l'acheteur, sans garantie que les librairies s'intéresseront pour autant à votre livre. Je considère pour ma part qu'un environnement économique sain pour les auteurs serait un environnement où l'auteur touche au minimum 20% du prix de vente par livre vendu et le libraire 20% maximum. Ne pas vendre en librairie me permet de maintenir un prix raisonnable et attractif pour le lecteur tout en conservant des marges correctes pour moi-même. L'inconvénient de ce choix, c'est que le lecteur doit commander le livre, il y a donc des frais postaux qui viennent s'ajouter au prix du livre. La vérité, et cela pourrait faire l'objet d'une fable, c'est que le système actuel structurant l'économie du livre fait la part trop belle aux grosses librairies et aux grandes surfaces, et je pense que cela n'étonnera que les naïfs. Qu'un petit libraire indépendant touche 30% du prix de vente d'un livre ne me choque pas trop. Je peux arriver à le concevoir. Mais s'agissant des gros acteurs et des gros opérateurs qui brassent des gros chiffres d'affaires, j'ai plus de mal à le concevoir. L'idéal serait de moduler les pourcentages autorisés en fonction de la taille des libraires afin de rééquilibrer le marché du livre en faveur des auteurs et des petits libraires indépendants. Quant à l'auteur, qu'il soit plumé par un gros ou par un petit libraire, cela revient au même! Mais je préférerais être plumé par un petit libraire! La morale, alors, n'est pas sauve, mais elle est moins abîmée et moins défigurée!

Revenons aux fables, c'est quand même plus réjouissant! Comment travaillez-vous en ce moment? Que faites-vous concrètement? Vous ne partez pas de rien, la première mouture inachevée guide vos pas!

En effet, je ne pars pas de rien. Je fais partie des écrivains qui mijotent leurs livres pendant des années. Je ne sais pas d'ailleurs si j'aurai l'occasion dans ma vie future d'écrire un livre en partant de rien, en partant de zéro, tellement j'ai accumulé de brouillons et de matière, tellement j'ai entamé de recueils que je dois fignoler, achever, finaliser, éditer. Je pense notamment ici à mes écrits de jeunesse, à mon recueil poétique de jeunesse, que j'éditerai dans quelques années.

La page blanche se limite donc pour vous aux nouvelles fables et aux nouveaux poèmes que vous écrivez...

Oui, c'est cela. J'ai écrit ces dernières semaines une dizaine de fables nouvelles: des réécritures de fables anciennes et des réécritures de fables de Marie de France.

J'imagine de fait que le Tome 2 est déjà très bien avancé...

Le Tome 2 des Fables du Lavoir est en effet bien avancé. Il sera constitué de quatre livres de fables comme le Tome 1. Il comprendra trois livres de fables et de poèmes, et une longue fable en prose qui formera le quatrième et dernier livre du tome. Ces derniers mois, mon travail a consisté essentiellement à relire les fables de la première mouture inachevée, les fables et poèmes correspondant à la première ébauche du Tome 2, à faire le tri entre elles, à écarter les pièces que je considère mauvaises ou inappropriées, à corriger les mauvais vers et les mauvais passages des pièces que je considère bonnes et appropriées, et à ajouter des pièces nouvelles, à écrire de nouvelles fables pour compléter l'ouvrage. A l'heure où je vous parle, il me reste encore une dizaine de fables nouvelles à écrire, celles du troisième livre de ce Tome 2 (livre septième en fait à l'échelle du premier recueil). Et il me reste aussi à relire et à corriger la longue fable en prose. Après quoi, le travail de composition générale du Tome 2 sera terminé, il ne me restera plus qu'à relire et à peaufiner le tout. Quand je parle de fables nouvelles, je ne parle pas de fables de mon invention: je parle de fables qui n'étaient pas incluses dans la première mouture inachevée.

Dites-nous en un peu plus sur ces dix fables du livre septième qu'il vous reste à écrire! Qu'on puisse imaginer les thèmes sur lesquels vous allez travailler dans les semaines à venir!

Je vous donne les titres provisoires et les sources: 

 

Le choucas fraudeur (Esope, Babrius, Marie de France) 

Le torrent (Léonard)  

Le lys et la rivière (Léonard)  

L'âne trompé par le lac gelé (Léonard)

L'araignée et la grappe de raisin (Léonard)  

Les effeuilleuses (fable de mon invention)  

La vigneronne de Montreux (fable de mon invention)

La mouette du lac Léman (Esope) 

La chauve-souris, la ronce et la mouette (Esope)

Le cauchemar du roi lion (fable de mon invention)

 

Voilà les fables sur lesquelles je vais travailler dans les semaines à venir! J'espère que je serai à la hauteur pour chacune d'elles! J'ai toujours le trac devant la page blanche! Cela reste toujours un saut dans l'inconnu malgré la connaissance précise du sujet, malgré la connaissance des limites du sujet. Je vais devoir définir pour chacune d'elles la forme poétique à employer. Cela dit, cette liste n'est pas exhaustive et peut encore légèrement évoluer. C'est une liste indicative. Comme vous voyez, le livre septième du Tome 2 comporte un petit nombre de fables dont l'action se déroule en Suisse. Le choucas fraudeur, c'est la fable d'Esope et de Babrius que l'on connaît grâce à La Fontaine sous le titre Le geai paré des plumes du paon. Généralement, comme chacun sait, La Fontaine a embelli et développé les apologues d'Esope pour en faire des fables poétiques. Ce n'est pas trop le cas avec Le geai paré des plumes du paon. Chez Esope, cette fable s'appelle Le freux et les oiseaux. Et chez Esope comme chez Babrius, elle met en scène un véritable concours de beauté entre oiseaux, un peu sur le modèle du fameux concours de beauté des trois déesses de la mythologie grecque. La Fontaine a ignoré cet aspect de la fable d'origine, il a simplifié cette fable, en a fait une fable assez courte, comme celle d'Esope, alors que celle de Babrius est assez longue et ornée de détails. Cela dit, Babrius, comme La Fontaine, a fait du freux un geai. Marie de France, elle, a donné une version de cette fable avec un corbeau, en faisant fi également du concours de beauté qui enrichit l'intrigue. En fait, La Fontaine a réécrit la fable de Phèdre où le freux est un choucas qui trouve par terre les plumes d'un paon et qui s'en affuble aussitôt pour aller se mêler à la seule compagnie des paons. La Fontaine a aussi traité la fable d'Esope intitulée La chauve-souris, la ronce et la mouette, mais je vais néanmoins en donner ma propre version. Je tiens à ce que la figure de la mouette soit bien présente dans ce livre septième où la Suisse et le lac Léman sont à l'honneur. La mouette du lac Léman, ce sera la fable d'Esope intitulée La mouette et le milan. J'ai choisi pour ce livre septième des fables de Léonard pouvant être greffées dans un paysage suisse.

Ces dix fables sont assez représentatives de votre premier recueil en terme de sources utilisées...

Oui. Esope, Phèdre, Babrius, Marie de France, Léonard de Vinci et des fables de mon invention, c'est bien la matière première principale de mon premier recueil. J'ignore les fabulistes modernes dans ce premier recueil. J'ai largement de quoi faire avec les sources que je viens de citer, auxquelles on peut ajouter tous les fabulistes qui ont précédé La Fontaine: Aphtone, Abstémius, Philelphe, Avianus Flavius, Jean Ballesdens... que je ne m'interdis pas de consulter non plus. Nous tenons bien là l'ossature des trois recueils. Mais comme La Fontaine a pioché dans Pilpay pour composer son deuxième recueil, je ne m'interdirai pas de piocher dans Lessing et dans les fabulistes modernes, dans les fabulistes français et européens du siècle des Lumières, pour composer mes deux recueils suivants.

Pourquoi le choucas plutôt que le geai?

Je pense que le geai a suffisamment payé de sa personne dans le Tome 1. Je ne veux pas l'accabler! De plus, le geai est un oiseau qui possède un assez beau plumage. Je ne suis pas certain qu'il soit le protagoniste idéal dans cette fable. Je m'inscrirai donc clairement dans la lignée de Babrius, mais en utilisant un freux comme Esope et Marie de France. Je vois mal la corneille tenir ce rôle: elle est trop fine et trop intelligente dans mes fables, elle est bien l'oiseau diurne d'Athéna. Quant au corbeau, on sait déjà qu'il rêve de devenir un aigle! Ce qui doit exaspérer Apollon! Reste le choucas des tours! A moins d'imaginer une corneille facétieuse ou un corbeau tricheur voulant tester les autres oiseaux!

Dans le Tome 1, les trois fables de Léonard ont été réécrites en prose, en allongeant considérablement la sauce. Vous réécrirez ces quatre fables de Léonard en prose aussi?

Je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé, tranché cette question. Mais si c'est le cas, elles seront assez courtes, je ne crois pas que j'en ferai des fables aussi longues que L'artisan et le seigneur par exemple. Je peux me permettre de les réécrire toutes les quatre en prose. Les fables en prose sont assez peu nombreuses dans le Tome 2. Pour le moment, je n'en compte que cinq dans les trois premiers livres. Les fables en prose sont plus gloutonnes en mots que les fables en vers, elles permettent de grossir un peu les livres... On est loin alors des merveilleux petits quatrains d'Isaac de Benserade! Dont il ne faut surtout pas sous-estimer la valeur! Je serais très heureux de pouvoir écrire de tels quatrains! De telles miniatures! C'est magnifique!    

Ce Tome 2 sera moins épais que le Tome 1.

Oui. Le Tome 1 sera d'ailleurs rescindé en deux tomes différents dans la deuxième édition, qui comprendra donc quatre tomes au lieu de trois. Je me dirige vers un premier recueil qui sera constitué au final de douze livres de fables et poèmes, mais aussi de quatre longues fables en prose qui formeront des livres indépendants au sein du recueil. Ce premier recueil sera donc constitué au final, et notamment dans sa deuxième édition, de seize livres de fables, pas de douze comme dans cette première édition. Le cyclope amoureux de Port-Cros et L'origine de l'Automne deviendront des livres autonomes séparés. Comme Culotthée dans le Tome 2 et comme La bouse de vache dans le Tome 3. L'idée, c'est d'éditer à partir de maintenant des tomes de fables et poèmes d'à peu près 120 000 mots chacun. Je dois songer à l'harmonie de l'ensemble et à l'équilibre des parties.

Ce Tome 1 de la première édition a vraiment été conçu par moi comme un tome inaugural.

Je tenais vraiment à ce qu'il ait une certaine épaisseur, à ce qu'il puisse marquer les esprits. Et je ne voulais pas multiplier non plus le nombre de tomes. Et j'ai surfé bien entendu sur la structure de la première mouture inachevée. Trois tomes me paraissaient et me paraissent suffisants pour cette première édition. Je dois penser pour la deuxième édition à l'inclusion éventuelle des illustrations et des notes. Il sera donc nécessaire de diviser le premier recueil en quatre tomes, je pense. Mais cette deuxième édition, elle ne verra pas le jour demain! N'attendez pas la deuxième édition pour lire Les Fables du Lavoir! Je suis actuellement concentré sur le Tome 2 et sur le Tome 3 de la première édition, qui deviendront les tomes trois et quatre de la deuxième édition.

C'est quand même intéressant ce que vous nous dites là! Vous allez réorganiser le Tome 1, l'enrichir encore un peu!

Je serai obligé de diviser le livre troisième (Les ricochets) de la première édition en trois livres distincts, et de diviser le livre quatrième (Le jeu de l'oie) de la première édition en deux livres distincts. Je devrai étoffer le livre consacré à la Bretagne et aux bords de la Loire, et le livre consacré à Versailles et au parc du château de Versailles. Les autres livres de fables, eux, ne seront pas étoffés, ou seront juste étoffés et modifiés à la marge. Le livre parisien intitulé Le jeu de l'oie débutera avec le poème La fileuse endormie. Un poème central et emblématique. Cette réorganisation du Tome 1 me permettra de caser plus de fables dans le premier recueil, de respecter l'unité des douze livres de fables et poèmes, même si, en fait, le recueil contiendra seize livres avec les quatre longues fables en prose. Cela me permettra aussi de parler du labyrinthe de Versailles et du hameau de la Reine! Il y a une basse-cour et une ferme du côté du hameau de la Reine! C'est pratique pour un fabuliste! Cela facilite grandement le travail! Je n'aurai pas grande difficulté non plus à trouver matière pour écrire des fables situées en Bretagne. Mais tout cela ne me préoccupe pas beaucoup pour le moment. Je me pencherai sérieusement sur cette question une fois terminée la première édition du premier recueil.

J'ai bien aimé vos deux épilogues dans le Tome 1!

Il n'y aura pas d'épilogue dans le Tome 2, mais le Tome 2 s'ouvrira peut-être par un prologue. La longue fable en prose Culotthée constitue une fin parfaite en soi. Il serait ridicule d'y adjoindre un épilogue. C'est le héros mythologique grec qui dira les derniers mots du Tome 2.

Si je comprends bien, ce Tome 2 sera constitué d'une grosse centaine de fables et poèmes, et d'une longue fable en prose intitulée Culotthée!

Oui. Dans ce premier recueil, je compose des livres de fables qui tendent à contenir une trentaine de fables et poèmes. Comme je l'ai déjà dit ailleurs, je pense qu'une quarantaine de fables et poèmes par livre de fables, c'est trop. Je ne sais pas encore s'il en ira ainsi dans le deuxième recueil, où il me semble que, pour l'instant, je tourne plutôt autour de la vingtaine de fables par livre, comme La Fontaine. Je travaille donc actuellement, en ce deuxième semestre 2019, sur une grosse centaine de fables et poèmes. Je dois diviser mon esprit et mon attention entre une grosse centaine de fables et poèmes, fignoler les pièces individuelles tout en harmonisant le tout, l'ensemble. Les fables en prose et les poèmes seront moins nombreux que dans le Tome 1. Mais le Tome 2 contiendra aussi quelques poèmes et sonnets importants. Je commence dans le Tome 2 à planter le décor pour les fables du deuxième recueil. Ce sera moins vrai dans le Tome 3 où la thématique des différents âges de la vie reprend le dessus pour rythmer le dernier tiers (futur dernier quart) du recueil. Dans ce Tome 2, je fais clairement sentir que l'action des fables se passe en Franche-Comté et en Suisse, mais cela reste somme toute assez vague et assez flou géographiquement, sauf lorsque Zeus entre en scène avec Hermès: la précision géographique est alors sollicitée dans la vallée de la Loue. 

Qui est Culotthée?

La longue fable en prose fait découvrir un personnage inconnu de la mythologie grecque qui a pourtant toujours existé. Ce personnage révèle son existence au grand public dans un texte écrit à la première personne du singulier! Il s'appelle Culotthée, comme il existe Prométhée, et Il est le fils du dieu Hermès et de la Nymphe Castalie. Il a grandi à Delphes près d'Apollon, et il est le compagnon d'Apollon comme son père Hermès est le compagnon de Zeus. J'essaie dans cette fable d'unir, de fondre ensemble la fable ancienne, l'esprit de la fable ancienne, et le thème de la révélation qui est plutôt l'apanage de la tradition judéo-chrétienne. Culotthée ne révèle pas aux hommes l'existence d'un Dieu ou un message divin dont il serait le dépositaire: il révèle juste sa propre existence en temps que personnage sciemment occulté de la mythologie grecque. Personnage ayant une mission importante à accomplir. Un message important et précis à délivrer aux hommes, message qui est assez facile à deviner quand on imagine les amours de ses deux géniteurs, je n'en dirai pas plus!

J'ai remarqué dans le Tome 1 que les dieux anciens apparaissaient à la fois sous leurs noms grecs et romains. Sous leurs identités grecques et romaines. Vous les mettez en scène comme s'ils étaient des dieux différents dotés de personnalités différentes: Bacchus n'est pas Dionysos, Cérès n'est pas Déméter... et ils interagissent entre eux comme des camarades et des connaissances qui s'acceptent et se tolèrent mutuellement!

Une grande originalité de mes fables et de leur univers poétique, c'est en effet la double présence des dieux grecs et des dieux romains. Généralement, le poète utilise, soit les noms grecs, soit les noms romains, et parle comme si ces dieux étaient uniques ou identiques. Il ne les fait pas dialoguer ensemble, il ne les compare pas, il n'explore pas la nostalgie éprouvée par les dieux grecs remplacés par les dieux romains. En général, la littérature classique a consacré les noms latins plutôt que les noms grecs, les dieux romains plutôt que les dieux grecs. Et cette habitude de préférer les noms latins, comme si les dieux romains avaient évincé les dieux grecs, est restée. J'aime pour ma part rendre à César ce qui appartient à César, et à Néron ce qui appartient à Néron. J'ai toujours intimement senti dans ma chair que Vénus n'était pas Aphrodite. Dans mes fables, les dieux grecs ne sont pas les dieux romains, et les dieux romains ne sont pas les dieux grecs. Diane n'est pas Artémis, et Jupiter n'est pas Zeus. Il n'y a en fait qu'un seul dieu unique: Apollon. Apollon reste le même dieu, la même personne, sous sa figure grecque comme sous sa figure romaine. Il est en quelque sorte le dieu pivot et le dieu charnière, le dieu médiateur entre le panthéon grec et le panthéon romain. Et au fur et à mesure qu'on progresse dans le recueil, les dieux grecs prennent leur revanche, reviennent sur le devant de la scène, évincent lentement les dieux romains qui passent au second plan sans être évincés tout à fait. On assiste à un retour de balancier en quelque sorte. Les dieux grecs tendent bien sûr à vivre en Grèce, et les dieux romains en Italie. Zeus voyage en Bavière, en Autriche, en Suisse et en Franche-Comté pour se trouver un petit vallon, un lieu de villégiature boisé, ombragé, agréable et frais, une remise de chevreuils qui le changera un peu des hauteurs de l'Olympe et de l'Empyrée. Il ne fait là qu'imiter son fils Apollon qui aime se rendre régulièrement chez les Hyperboréens. La remise du chevreuil, motif paysager cher à Gustave Courbet, est un motif central du livre septième qui fait la part belle à Vénus, aux biches et à la Suisse. Quand je pense à la dernière fable du recueil de La Fontaine, je pense à la remise du chevreuil, autant dire à une retraite idéale, à une forme d'apothéose champêtre et terrestre. Dans mes fables, je greffe délicatement quelques dieux anciens et quelques nymphes dans le pays de Courbet. Le thème de la greffe sera d'ailleurs aussi important que le thème de la métamorphose dans Les Fables du Lavoir. C'est pourquoi je parle un peu plus des arbres que La Fontaine dans mes fables. Le verger est très présent dans mon imaginaire, je partage cela avec Rilke et Jaccottet visiblement. La très belle fable de Phèdre intitulée Les arbres choisis par les dieux sera notamment présente dans ce Tome 2.

Connaissez-vous la Suisse et la littérature suisse?

Je n'ai pas la chance de connaître la Suisse. Je connais un peu en revanche la littérature suisse.

Je lis cette année du Charles-Ferdinand Ramuz, du Gustave Roud, du Philippe Jaccottet, pour me mettre un peu dans l'ambiance. Je vais relire un peu Robert Walser. J'aime bien la littérature germanique. Adalbert Stifter notamment est un auteur qu'il faut lire. J'aime beaucoup Thomas Bernhard. Je vais lire Georg Trakl. Pour bien faire, il faudrait que je lise aussi Ludwig Hohl. Mais je ne suis pas certain que ces belles lectures me servent à grand-chose pour l'écriture de mes fables! Cela me permet toutefois de piocher quelques détails significatifs et parlants. Par exemple, Ramuz insiste constamment dans ses romans sur le fait qu'autour du lac Léman, il y a deux soleils: un dans le ciel, et un dans le lac. Ce n'est pas un détail neutre et anodin quand on pense à la mythologie ancienne. Cela fleure bon Apollon à plein nez! Ce que j'aime évidemment dans cette littérature germanique en prose qui est toujours très poétique, c'est la place centrale qu'occupe la nature, qui est toujours traitée comme un personnage à part entière enveloppant l'intrigue, les personnages et la psyché des personnages. Quand j'étais jeune, j'étais vraiment obnubilé par la Franche-Comté et le pays de Courbet: le Jura français et le Doubs me suffisaient amplement, je ne songeais pas à la Suisse, et je n'aurais pas eu de toute façon les moyens financiers de mes désirs et de mes songes! Je n'avais d'ailleurs pas besoin d'aller en Suisse pour croiser des Suisses. Un jour, j'ai croisé au bord de la Loue un vacancier suisse dont le chien s'appelait Voltaire! Vous voyez, cela m'est resté! Je ne connais la Suisse qu'à travers les livres et les belles cartes postales télévisées.

Pensez-vous que la Franche-Comté appartient par ses paysages et par sa géographie à une ère culturelle, esthétique et mentale qui est en fait celle de la Suisse, de l'Autriche, du sud de l'Allemagne et du nord de l'Italie plutôt que celle de la France centralisée et jacobine?

Je ne suis pas loin de le penser, mais je ne vis pas en Franche-Comté. Je ne suis pas un Franc-Comtois pur jus. Je reste un enfant de la Provence. Je pense que c'est vrai pour ce qui est d'une partie du Jura et du Doubs. Je ne suis pas certain que cela soit vrai pour la Haute-Saône qui me semble plus proche de la Bourgogne et de la Haute-Marne, donc de la Champagne. Je pense que cette région vit un peu à cheval sur ces deux identités différentes.

Le lac Léman, c'est la mer de Genève et la mer de Voltaire... Que pensez-vous de la poésie de Voltaire? Etes-vous avec elle aussi sévère que Baudelaire?

Je lis en effet depuis quelques semaines une anthologie des poèmes de Voltaire que je suis en train de terminer. Comme c'est une anthologie assez épaisse, je suppose qu'elle contient les meilleures pièces. Je ne suis pas bête, je vois bien ce qui gêne Baudelaire dans cette poésie, qui n'en reste pas moins de la bonne poésie. Il est clair que Voltaire et Victor Hugo donnent souvent l'impression de penser en vers et d'écrire en vers plutôt que d'écrire réellement des poèmes. Ce défaut n'est donc pas propre à Voltaire. Il l'est aussi à Victor Hugo, même si la poésie de Victor Hugo est bien sûr plus riche que celle de Voltaire. Il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Voltaire a cherché à imiter La Fontaine et Boileau en n'oubliant point la philosophie et les préceptes d'Horace. C'est tout à son honneur, et, comme pour la plupart des poètes du siècle des Lumières, sa poésie vient un peu en queue de comète de la poésie du Grand Siècle, siècle qu'il a tant aimé, et qui l'a un peu aveuglé, car il pardonne à Louis Quatorze et à Colbert des choses qu'il ne pardonne pas au grand Auguste. De manière générale, il faut le dire, la poésie du siècle des Lumières est très mal éditée en France. C'est la croix et la bannière pour trouver de bonnes éditions des poèmes de Voltaire et de Rousseau. Si demain je veux lire les poèmes de Rousseau dans la foulée de ceux de Voltaire, j'ai déjà fait ma petite recherche là-dessus, je serai obligé d'acheter le volume de la Pléiade! C'est dire! Les meilleurs poèmes de Voltaire et de Rousseau devraient être disponibles en éditions de poche, c'est une évidence. J'aime beaucoup André Chénier: il y a dans les vers de Chénier une douceur et un velouté que l'on ne trouve pas dans les meilleurs vers de Voltaire. 

On va croiser des arbres dans ce Tome 2!

La thématique de l'arbre et du verger étant présente dans ce Tome 2, on va en effet croiser des arbres, et différentes espèces d'arbres. Je me suis amusé à compter les fables de La Fontaine et de Florian où les arbres sont des personnages de la fable, pas juste des éléments secondaires ou structurants du décor. Et j'ai été surpris par leur relative absence, par leur très, très faible nombre. Chez La Fontaine, seul le chêne apparaît dans une fable comme personnage et dans un titre, je n'ai pas besoin de vous dire laquelle. Chez Florian, même chose avec le  poirier de sa fable Le vieux arbre et le jardinier. La Fontaine, il est vrai, fait la part belle au bûcheron avec trois fables, et donne aussi de l'importance au gland dans Le gland et la citrouille. Mon recueil est plus généreux avec les arbres, mais je comprends pourquoi l'arbre apparaît si peu dans les fables: il est moins vivant, moins bondissant et moins virevoltant que l'animal, l'homme ou le dieu. Il est statique, il ne possède pas de bouche, il est moins facile à mettre en scène. Et ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard si le chêne de La Fontaine est un chêne chahuté, déraciné, un chêne qui a été fortement secoué! Il est intéressant de noter que l'arbre joue un très grand rôle dans les fables de Léonard de Vinci. On peut presque parler d'arboretum à leur sujet! Un tas d'essences différentes sont représentées. Certains diront que les fables de Léonard sont plus des fabulettes que des fables...

Si je ne m'abuse, les fabulistes du siècle des Lumières ont accompli deux choses essentielles: ils ont créé de nouvelles trames, inventé de nouvelles fables, et ils ont élargi la palette des personnages. On trouve dans leurs fables beaucoup d'insectes, de fleurs et d'objets que l'on ne trouve pas dans les fables anciennes.

C'est vrai. Ce goût du siècle des Lumières pour les miniatures et les beaux objets, on le retrouve en effet jusque dans les fables et dans le choix des personnages. Florian a fait du château de cartes un sujet et un titre de fable! La Fontaine qui aimait le jeu n'aurait pas osé! N'y aurait pas même songé! Et s'il a songé peut-être parfois dans ses rêveries à écrire de telles fantaisies, il n'est pas passé à l'acte! Les objets deviennent plus présents dans les fables du dix-huitième siècle. On trouve par exemple dans Florian plusieurs miroirs, une lunette, une balance, un balancier, une lanterne magique, mais aussi le lierre et le thym. Cela donne un côté précieux aux fables de cette époque. C'est bien d'avoir élargi ainsi la palette des personnages admis dans le cercle ou le giron des fables, mais je crois que les animaux, les hommes et les dieux demeurent clairement les personnages primordiaux dont le genre ne peut pas se passer. Et s'agissant plus spécifiquement des hommes et de leurs activités, je l'ai déjà dit ailleurs, les métiers immémoriaux sont requis et indispensables, car ils portent en eux une charge et une dimension poétiques dont sont totalement dépourvus les emplois de l'ère moderne et de la civilisation contemporaine. Je n'écrirai jamais une fable intitulée Le journaliste et l'informaticien... C'est tout à fait impensable! Ce serait une hérésie poétique et esthétique! Une abomination! Il me faut des vigneronnes et des lavandières, des laboureurs et des maçons!

Le peintre Courbet, votre cher cousin dont certains réclament l'entrée au Panthéon, apparaît comme personnage de fable dans le Tome 2...

En effet! Et mes fables aussi, c'est une espèce de Panthéon! Un Panthéon moins froid et moins glacé que le Panthéon parisien! J'ai écrit quelques poèmes s'inspirant directement de ses toiles, j'évoque parfois en passant sa peinture, sa présence ou son souvenir, mais dans le Tome 2, il apparaît bien comme personnage dans une fable d'Esope, la fable Hermès et le sculpteur. Ma fable s'intitule Mercure et Courbet. Dans cette fable, le dieu ne joue pas un rôle très flatteur, je ne pouvais donc pas utiliser Hermès! Courbet est un peintre qui a fait quelques sculptures, notamment un magnifique buste à la gloire de l'Helvétie. Ma fable est donc relativement réaliste! Mais il s'agit bien de peinture dans cette réécriture de la fable ancienne! Pas de sculpture, pas de bustes en plâtre! Courbet apparaîtra aussi comme personnage dans le Tome 3, mais cette fois dans une fable de mon invention. Le Tome 2 débute avec un poème inspiré d'un autoportrait de Courbet: Courbet au chien noir, un tableau que j'adore, car j'avais un chien noir dans ma jeunesse, et parce qu'il fait voir ce qu'on pourrait appeler une "bohème champêtre".

Pour finir, une dernière question: ce premier recueil contiendra quatre longues fables en prose. En ira-t-il de même dans les deux recueils suivants? Continuerez-vous d'écrire ainsi des longues fables en prose pour accompagner vos fables et vos poèmes?

C'est une bonne question. Je pense en effet que l'architecture générale du deuxième recueil ressemblera à celle du premier recueil. Je pense donc qu'on trouvera en effet à côté des livres de fables et poèmes des textes plus longs pour compléter et orner les recueils. Je ne suis pas certain toutefois que ces pièces seront uniquement des longues fables en prose. Je pense que le deuxième recueil contiendra un recueil de sonnets, et peut-être, cela dépendra de sa taille, la correspondance amoureuse d'un rouge-gorge, la correspondance amoureuse d'un rouge-gorge écrivant des lettres d'amour à une biche. Je sais aussi qu'il y aura un conte de fées avec une belle princesse célibataire vivant seule dans un château, entourée d'oiseaux et d'animaux. Cela fait déjà quatre longues pièces si on ajoute à cela Le combat de coqs de Maître Renard, longue fable en prose écrite dans l'esprit du Roman de Renart, longue fable qui me permet de décrire précisément le village de Lizine et ses environs immédiats, qui formeront le décor central du troisième et dernier recueil. Quatre longues pièces, le compte est bon! On voit d'ailleurs par là, par cette variété même, où la prose le dispute aux vers et le conte à la littérature épistolaire, que je renoue un peu avec l'esprit du Songe de Vaux de La Fontaine! Ce que je sais, c'est que le deuxième recueil sera écrit en vers libre moderne, et le troisième recueil en prose poétique ou en vers libre classique assoupli comme le premier recueil. Soit les vers libres modernes seront encadrés par des vers libres classiques assouplis, soit l'ensemble s'achèvera sur de la prose poétique. Avec un retour à la prose originelle des fables d'Esope, mais une prose qui sera poétique. C'est tout ce que je sais à cette heure, et si je me projette déjà de manière réelle dans le deuxième recueil, s'agissant du troisième recueil, les décisions finales seront prises par un vieil homme!