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L'hiver et le printemps


Le vieux bonhomme Hiver est là, ou du moins ce qu'il en reste, et vous en avez profité pour réécrire une fable d'Esope, L'hiver et le printemps, un thème classique, dirons-nous, même éculé, mais qui vous tient à coeur quand même!

Je travaille actuellement sur le livre 7 du Tome 2 de mon recueil de fables, livre consacré à Vénus, ou plutôt à Aphrodite, à la beauté, à la Suisse et aux vergers, et cette fable d'Esope sera en effet incluse dans ce livre 7. J'ai modifié et enrichi une première version qui ne me satisfaisait pas, écrite il y a quelques années, appartenant à cette galaxie de fables écrites ou plutôt ébauchées par mes soins lors de la conception du premier recueil. Et comme je parle dans ce livre 7 des Alpes, des montagnes enneigées et de la fonte des neiges, il était pertinent d'inclure cette fable saisonnière et charnière dans ce livre 7. J'ai complété le travail d'Esope en écrivant aussi L'été et l'automne il y a quelques années, mais cette fable sera finalement incluse dans le Tome 3, car ce livre 7 est désormais très copieux, et je ne veux pas le surcharger.

Comment traitez-vous cette fable, ce thème, ce sujet?

Il va sans dire que le contraste entre l'hiver et le printemps constitue un lieu commun de la pensée et de la poésie. Je lis actuellement les poètes romantiques anglais, ceux que je n'avais pas encore lus, à savoir Lord Byron, Percy B. Shelley et John Keats. Le prisonnier de Chillon de Lord Byron m'a aidé à faire la transition entre la littérature suisse et la poésie romantique anglaise! Shelley et Keats ont abordé ce thème. Keats a intitulé son poème Sur la sauterelle et le grillon, et Shelley a écrit L'hiver et l'été. Ces deux poèmes parlent de l'été plutôt que du printemps, mais c'est là une variation légère sur le même thème: l'opposition entre l'hiver et la belle saison. Ces poèmes de Keats et de Shelley ressemblent beaucoup à la fable d'Esope sur le fond, et chantent bien sûr les louanges de la belle saison. Ma version est beaucoup plus longue que celle d'Esope, elle s'étale sur plus de deux cents vers. J'interviens assez peu en tant que conteur, j'interviens juste en début de fable pour lancer un premier monologue de l'hiver, suivi par un dialogue entre l'hiver et le printemps, et c'est le printemps qui conclut la fable avec une jolie saillie printanière amenée par une dernière envolée bravache et lyrique de l'hiver. Ma version met en scène un dialogue entre ces deux saisons, et, surtout, elle essaie de rééquilibrer le tableau: elle donne la parole à l'hiver qui fait entendre et valoir son point de vue. Elle prend aussi en compte les changements climatiques actuels. Bref, elle essaie de moderniser, d'actualiser, d'épousseter ce vieux thème. Pour ma part, j'aime l'hiver autant que les trois autres saisons. Ce n'est pas l'hiver que je redoute le plus, c'est l'été. Je n'aime pas la chaleur et les hautes températures. J'aime porter des lainages. J'aime sentir la fraîcheur ou le froid de l'air sur mon visage. L'écharpe est un vêtement qui m'a toujours plu et fasciné. La rivière est clairement une écharpe de fraîcheur! J'aime la neige et le brouillard. J'aime l'hiver à l'égal des autres saisons, mais l'hiver n'est plus vraiment ce qu'il était, notamment en plaine. Dans les fragments poétiques du Brahmapoutre, j'ai noté que l'hiver n'est plus vraiment l'hiver, mais plutôt un fantôme de l'hiver, ou un automne mort et achevé! Une dépouille de l'automne qui languit jusqu'au printemps. C'est certainement vrai en plaine, loin des hautes montagnes où la neige et le froid peuvent encore faire illusion. Cela dit, j'aime l'hiver dans sa version froide classique comme dans sa version contemporaine, plus douce, qui fait que l'hiver ressemble à un prolongement de l'automne. Je préfère cependant l'hiver traditionnel, froid, long et enneigé. L'hiver possède donc désormais un double inquiétant, un double à la fois trop doux et trop fugace. Je devais intégrer cette donnée nouvelle dans ma version: cette réalité nouvelle, cette inquiétude nouvelle de l'hiver qui s'interroge sur lui-même et qui cherche à se rassurer. Je ne me suis pas glissé dans la peau d'un apologiste du printemps. C'est un thème que j'ai déjà effleuré dans un poème du livre 2 du Tome 1, Le printemps perpétuel. Je mets le froid à l'honneur autant que la fraîcheur, sans rien enlever aux joliesses et aux vertus habituelles du printemps, saison plus tragique et mélancolique que l'été, l'automne et l'hiver en un sens, du moins quand elle entame son déclin au début du mois de juin. Mais des fleurs fanent, des fleurs sèchent, des pétales s'envolent, dès février, mars et avril! Il y a le cycle des saisons, et, à l'intérieur même du printemps, une valse des floraisons.

Aimez-vous les poètes romantiques?

Oui, j'aime bien la poésie romantique. On dit souvent que le Romantisme, c'est le début de la modernité. Je ne sais pas trop, je crois plutôt que c'est un courant charnière entre le classicisme et la modernité. Car le siècle des Lumières est lui-même très riche en poètes préromantiques, notamment en Angleterre et en Ecosse. Chez nous, il est évident que Voltaire a parachevé le Grand Siècle comme Rousseau a annoncé le Romantisme. Le Romantisme, c'est surtout le retour du lyrisme et de l'épanchement personnel dans les poèmes, car, sur le plan purement culturel et formel, le Romantisme ne crachait pas sur le passé, ce qui n'est pas forcément le cas de la modernité, beaucoup plus arrogante et étroite d'esprit. Sur le plan purement formel, la modernité commence réellement avec Rimbaud. Baudelaire demeure très timide sur le plan formel. Baudelaire est un poète charnière entre le romantisme et la modernité. Cela dit, le Rimbaud des poèmes en vers est aussi important et intéressant que le Rimbaud des poèmes en prose, notez-le bien. Je dis cela car les gens ont tendance à essayer de faire croire que seul le Rimbaud des Illuminations et d'Une saison en enfer est intéressant.  Retenez ceci également: Rimbaud a rejeté et renié la poésie, certes, mais c'est surtout sa propre poésie qu'il a reniée, sa propre expérience poétique qu'il a reniée, pas celles de Pindare ou de Ronsard! C'est l'aventure même, l'impasse même, de la poésie moderne, qu'il a vue et qu'il a reniée. Rimbaud a créé, et aussitôt rejeté et renié la poésie moderne. Rimbaud a compris les limites de son projet poétique, de la poésie moderne, au bout d'une trentaine de pages seulement! Rimbaud était un homme lucide et intelligent. La poésie moderne est à la base un pur jeu verbal déconnecté des réalités fondamentales, déconnecté de la nature et du passé, des pensées et des sentiments. En fait, une fois passé l'adolescence, une fois entré dans la vingtaine, dans l'été de la jeunesse, Rimbaud est redevenu un fils de paysan, réconcilié avec le bon sens terrien de ses pères et une forme de sagesse pratique, terre à terre, pour ne pas dire bassement utilitariste. Mais Rimbaud n'a pas repris la ferme de maman pour autant, il va sans dire. Et il n'est pas allé à Chypre pour méditer sur la naissance d'Aphrodite, mais pour travailler dans les mines de cuivre. Il avait la bougeotte, il était un peu dérangé et malade. 

J'ai remarqué que vous aimiez bien clouer le cercueil de la poésie moderne!

Je n'ai pas besoin de clouer son cercueil. La poésie moderne est morte et enterrée depuis longtemps.  Elle est née chez nous avec Rimbaud, elle a grandi avec Mallarmé et Apollinaire, et elle est morte avec la génération surréaliste qui est aussi la génération de Francis Ponge, de René Char et de Jacques Prévert. La génération surréaliste fut la dernière grande génération en matière de poésie française, voire européenne et mondiale. Le centenaire du premier manifeste du surréalisme, c'est pour très bientôt, c'est pour 2024. Je pense que je consacrerai d'ici là ou à cette occasion, une fois terminé et publié mon premier recueil de fables, une série de billets de blog consacrés à la poésie et abordant des sujets précis: Poésie et versification, Poésie et intelligibilité, Poésie et morale, Poésie et chanson, Poésie et société, Poésie et langage, Poésie et philosophie, Poésie, vérité, ruse et mensonge... 

Les Romantiques étaient plus mûrs, plus sages et moins excités que les Modernes. Ils étaient tourmentés eux aussi, mais de façon différente. Ils étaient radicaux eux aussi à leur manière, mais ils ne jetaient pas le bébé avec l'eau du bain. L'intelligence, l'intelligibilité et l'érudition tenaient encore une place majeure dans les poèmes. Les images étaient mises au service de l'expression des sentiments et de la pensée, et venaient épaissir les narrations, embellir les poèmes narratifs. La nature joue dans la poésie romantique le rôle central qu'elle doit toujours jouer. Ce qui est fascinant chez ces trois poètes anglais, c'est leur précocité poétique bien sûr, mais aussi le fait qu'ils moururent jeunes tous les trois, ce qui n'est pas le cas de Coleridge et Wordsworth, même si Coleridge ne fut réellement poète que dans sa jeunesse lui aussi. Ces trois romantiques anglais ont écrit leurs grands poèmes à l'âge où Rimbaud décida d'abandonner la poésie, c'est-à-dire dans leur vingtaine, dans l'été et dans l'automne de leur jeunesse si vous voulez, tandis que Rimbaud, lui, fut poète dans le printemps de sa jeunesse. Ce n'est pas une mince différence, je crois. Ces trois poètes moururent jeunes tous les trois: Keats à 26 ans, Shelley à 30 ans et Byron à 36 ans, tandis que Rimbaud mourut à 37 ans.

Pour revenir à vos deux fables saisonnières, votre première intention était de les placer l'une à la suite de l'autre...

Sinon l'une à la suite de l'autre, du moins dans le même livre de fables. Mais ce ne sera pas le cas. Je vais conserver L'été et l'automne pour le Tome 3. Le thème des quatre saisons comme le thème des trois grands âges de la vie sont des thèmes structurants de certains de mes recueils de poèmes, et notamment de ce premier recueil de fables. Ce premier recueil de fables reprend et fond ensemble ces deux thématiques dans un certain nombre de pièces, thématiques qui passent au second plan dans les deux recueils de fables suivants, même si l'on trouvera dans les deux recueils suivants des références aux saisons et des personnages, notamment des animaux, de tous les âges. Ces deux thématiques sont effet très proches l'une de l'autre, étroitement liées, comme fondues ensemble par le jeu des métaphores. En effet, les trois âges de la vie sont souvent associés à des saisons, mais surtout, ce qu'il faut savoir, car il convient d'essayer d'être fin, original, de pousser jusqu'au bout ce qu'on pourrait appeler la logique des images, c'est que chaque âge de la vie traverse lui-même les quatre saisons. Il existe en effet, si l'on veut affiner le discours poétique, la réflexion métaphorique et philosophique, voire la logique mathématique découlant des chiffres correspondant aux quatre saisons et aux trois âge de la vie, douze âges de la vie. Comme il existe trois Grâces, neuf Muses, et douze dieux olympiens. Il existe un printemps de la jeunesse, comme il existe un été de la maturité et un automne de la vieillesse. Il existe aussi un automne de la jeunesse, un automne de la maturité, et un printemps et un été de la vieillesse... Les transitions entre ces différents âges peuvent être imperceptibles et douces, comme elles peuvent être douloureuses et heurtées... Là aussi, il n'y a pas de règle fixe et absolue. Mes différents recueils de poèmes explorent entre autres, chacun à leur manière, cette dimension poétique des choses, ces territoires des trois grands âges de la vie, qui sont fondus ensemble dans les faits, de la même manière que le fleuve s'écoule d'un seul tenant de sa source jusqu'à son embouchure.

C'est-à-dire concrètement...

Le Brahmapoutre est un véritable recueil des quatre saisons dans la tradition des recueils des quatre saisons. Les Rafraîchissements sont, eux, structurés autour des trois grands âges de la vie. Les baigneuses sont clairement centrées sur le temps des baignades, donc sur la belle saison, et plutôt sur l'été que sur le printemps, même si l'hiver est très présent aussi dans le poème scandinave comme pendant logique de l'été, pour faire contraste avec l'été, saison phare et reine de la Scandinavie. Les Poèmes du capitaine sont clairement un recueil dédié à la maturité où domine la figure du capitaine (qui s'exprime et se confie à la première personne). C'est le recueil de poèmes où j'essaie clairement de peindre la maturité idéale, de montrer la maturité en action, de montrer comment fonctionne l'esprit, le cerveau, la pensée, d'un homme complet, réellement très, très mature. Vous êtes autorisée à voir un lien entre la mâture en pin du navire et la maturité du capitaine écrivant ses poèmes en cabine. Le capitaine est un homme à la fois érudit, intelligent, inspiré, clairvoyant, lucide, rêveur, et très sûr de lui. Voire mature et mûr à l'excès, se grisant un peu de sa maturité légèrement alcoolisée, car c'est aussi le recueil où je me lâche le plus, où ma liberté de ton et de parole est la plus libre, la plus riche et la plus complète, le recueil où je peux aborder librement tous les sujets d'un point de vue thématique, même si le monde de la mer et de la navigation prédomine, informe, détermine et structure l'ensemble. Le capitaine pense que la cale de son navire transporte un vallon verdoyant...

La cale du navire est un vallon verdoyant dans ses poèmes. Et le capitaine se promène tous les jours aussi bien sur le pont du navire que le long du ruisseau qui serpente dans ce vallon, qui lui rappelle les vallons de sa jeunesse et de l'intérieur des terres... Tout un programme! Comme La coquille de noix doit beaucoup à Francis Ponge et à Homère, Les poèmes du capitaine doivent beaucoup à Coleridge et à Rimbaud.

Ce sont là vos principaux recueils de poèmes, non?

Je pense, en effet. N'oublions pas non plus les trois recueils de fables, les poèmes et réflexions poétiques en prose de jeunesse, et La coquille de noix qui est un long poème en prose qui précède Les poèmes du capitaine. La coquille de noix et Les poèmes du capitaine, cela fera un beau volume Pléiade! Dans La coquille de noix, je parle du capitaine à la troisième personne. Dans Les poèmes du capitaine, le capitaine s'exprime à la première personne. Je travaille aussi sur d'autres recueils de manière beaucoup plus sporadique. Je veux dire par là que s'agissant de ces projets-là, je me contente de prendre des notes, de noter des idées, je n'écris pas même de fragments poétiques. Les quatre recueils dont nous venons de parler sont bien ceux qui occupent le plus mon temps et mon esprit quand je ne travaille pas sur les fables et sur les trois recueils de fables. C'est pourquoi je me permets d'en parler un peu, et passe sous silence les autres. Je pourrais pourtant vous parler de la poésie chevaline grecque par exemple! Les chevaux de la Grèce ancienne ont eu leurs poètes et il nous reste quelques fragments de leurs poèmes... Qui nous sont bizarrement parvenus en français... Vous ne le saviez pas? Maintenant, vous savez! Homère le premier a donné la parole aux chevaux, et le renard de mes fables écrit des sonnets...

Vous allez bientôt entrer dans l'automne de votre maturité!

Oui, j'ai placé le début de la maturité à 33 ans, qui est l'âge de la mort du Christ, et je reprends l'âge de 63 ans des Romains pour ce qui est de l'entrée dans la vieillesse. Bizarrement, j'associe aussi dans mon esprit (sinon dans mes poèmes) aux âges de la vie les numéros des départements français! Si bien que la maturité commence en Gironde et la vieillesse dans le Puy-de-Dôme, ce qui peut paraître logique quand on pense par exemple aux volcans éteints d'Auvergne! Ou à la tour de Montaigne! Je vous dis cela à titre anecdotique, les numéros des départements ne jouent pas un grand rôle dans mes poèmes! Il existe bien sûr une part d'arbitraire dans le choix de ces âges précis, mais on doit bien se fixer des repères à peu près cohérents divisant la vie humaine en trois tiers à peu près égaux, sachant que la dizaine des neuf Muses correspond en gros à la longueur d'une vie humaine aussi longue que possible, voire aussi idéale que possible si l'on peut atteindre ce grand âge en relative forme et santé. Je me suis fait en effet la réflexion ces jours-ci, lors de la visite d'un vieux château fermé à double tour, abandonné à sa solitude, visite dont les trois grands témoins furent mon chien, un chevreuil et un épervier (il me semble), que, selon ma propre classification, se terminait pour moi l'été de la maturité! Autant dire qu'idéalement, à partir de 47 ans ou 48 ans, âge de la Lozère, on est bien au milieu du gué. J'ai commencé à publier mes fables et mes poèmes au milieu du gué, qui est l'âge aussi où La Fontaine publia son premier recueil de fables en 1668. Mais, bien sûr, là encore, il faut être prudent et souple avec les nombres. Ne pas être trop systématique. Il faut se dire que chacun des douze âges précis de la vie peut avoir une longueur variable en fonction des expériences de chacun. Pour la jeunesse, la découpe est plus claire avec l'enfance et l'adolescence correspondant clairement au printemps de la jeunesse à mes yeux. Je pense que l'été de la jeunesse commence vers 20 ans et l'automne de la jeunesse vers 25 ans. Je place l'hiver de la jeunesse entre 30 et 33 ans. Je pense que de tous les printemps de la vie, celui de la jeunesse doit être le plus long, et peut-être que des trois étés de la vie, celui de la maturité est le plus long aussi. Cela me fait drôle de penser que je suis en plein été de la maturité! J'ai toujours l'impression d'avoir 25 ans, et d'être en fait dans l'automne de la jeunesse! Du moins sur le plan intellectuel et mental. Mais je dois m'abuser: probablement qu'à 25 ans, je n'étais pas comme je suis actuellement. Et pour revenir à la poésie romantique, et notamment à Byron et à Chateaubriand, je n'étais pas hanté par les ruines antiques quand j'avais 20 ou 25 ans, mais par la solitude et l'abandon d'une jolie gorge encaissée, par la solitude et l'abandon d'un "Puits noir" pour reprendre la terminologie du peintre Gustave Courbet. Cette gorge joue un grand rôle dans mon imaginaire et dans plusieurs recueils de poèmes, et notamment dans le troisième et dernier recueil de fables. Les ruines qui occupaient mon esprit à cet âge n'étaient pas celles des temples antiques, mais plutôt celles des vieux moulins et des vieux ponts, ruines moins pathétiques et moins tragiques que les ruines antiques, ruines qui enjolivent clairement les bords des ruisseaux et des rivières. Les moulins et les ponts seront d'ailleurs très présents dans le deuxième recueil de fables dont l'action est située dans la vallée du Lison.  

Comment faites-vous pour parler de la vieillesse dans vos poèmes sachant que vous ne la connaissez pas?

Je travaille de la manière suivante: je possède un fichier sur lequel je consigne toutes mes notes et citations de lecture concernant les trois âges de la vie. Tous les grands poètes, tous les grands écrivains, tous les grands philosophes, ont, au fil des siècles, livré leurs réflexions et leurs pensées sur les différents âges de la vie, et, comme je l'indique par ailleurs dans mes fables, les pensées sur la jeunesse et sur la vieillesse dominent très largement, les auteurs n'osant pas trop s'aventurer sur le terrain de la maturité, et pour cause: c'est en effet l'âge le plus trouble, le plus fuyant, celui dont il est le plus difficile de parler. L'âge qui semble être le plus protéiforme en un sens, mais c'est peut-être une illusion. Par ailleurs, comme tout un chacun, j'ai fréquenté au cours de ma vie des gens de tous les âges. L'observation et l'érudition suppléent en ce domaine le manque d'expérience directe. Il est clair que la jeunesse et la vieillesse, les deux bouts extrêmes de la vie, tendent à focaliser l'attention, et sont devenues deux sources de lieux communs assez répandus et probablement assez justes dans leur ensemble. Ce qui n'est pas du tout le cas du grand âge intermédiaire, supposé correspondre à la maturité. Le plus faux de ces lieux communs est celui attribuant la sagesse à la vieillesse alors qu'il faudrait plutôt l'attribuer au savoir, à l'expérience, à la prudence et à la clairvoyance, mais aussi au maintien et au rayonnement d'une certaine forme d'innocence. Il serait intéressant de mener une étude sur ce sujet, d'étudier ce que poètes et philosophes ont dit sur les différents âges de la vie, et à quels âges de leurs vies ils l'ont dit ou écrit, et de comparer aussi les pensées des uns et des autres en fonction des aires culturelles, des pays et des époques. Il y aurait là un superbe livre à écrire. Keats a écrit son poème Les saisons humaines évoquant les âges de la vie alors qu'il est mort à 26 ans! Byron, qui est toujours jeune homme lorsqu'il écrit Childe Harold, passe son temps à célébrer la jeunesse et à parler de sa perte avec regret comme s'il avait quarante ou cinquante ans! Ce qui est quand même très étrange. Je fais une description rapide des âges de la vie dans un poème du livre 1 du Tome 1 intitulé Enée allaité par une tigresse. Il est dans ce poème trois vers qui décrivent bien la situation de Byron: 

 

Le jeunesse? C'est une enflure 

Que l'on regrette toujours quand elle n'est plus 

Et parfois lorsqu'elle mène toujours la danse! 

 

Le jeune homme aime bien faire la fête, faire du bruit, mais il aime bien jouer aussi à l'homme mûr! Tous les enfants rêvent de devenir grands et tous les adultes restent plus ou moins des enfants. Les adultes éclairés veulent conserver en eux une certaine fraîcheur enfantine. Les poètes qui vivent très longtemps existent eux aussi. Voyez Hugo qui a traversé son siècle! Qui était réellement qualifié pour parler de tout ça!

Comment expliquez-vous ce silence relatif sur la maturité? Qu'est-ce que la maturité selon vous? La maturité idéale?

Je n'ai pas tout lu, loin s'en faut. Mais je pense que je suis dans le vrai lorsque j'affirme que dans la littérature, la maturité est le grand oublié, le parent pauvre des trois grands âges de la vie. Je pense qu'on parle beaucoup de la jeunesse parce qu'elle est liée à la liberté, à l'insouciance et à l'amour, et qu'on parle beaucoup de la vieillesse parce qu'elle est liée à la maladie, à la décrépitude et à la mort. Je pense que ce sont là des thèmes fondamentaux qui obsèdent un peu les esprits. Je pense qu'inconsciemment on rattache l'idée de maturité à la sagesse elle-même, ce qui est somme toute assez naturel et logique, et ce qui tétanise un peu les esprits, qui ne veulent pas s'embarquer dans des considérations trop longues et trop complexes, trop philosophiques. La maturité idéale est à mes yeux un entre-deux parfait où le meilleur de la jeunesse se mêle au meilleur de la vieillesse. Je pense que l'expérience prime sur l'innocence, mais que l'innocence n'a pas disparu: une certaine innocence continue à vivre et à exister, à porter l'expérience comme le temps porte la vérité. Le rêve est moins présent que dans la jeunesse, mais il est toujours présent, toujours actif, mieux choisi, plus robuste et plus nourricier. Je pense que c'est aussi un âge, ou plutôt une qualité, où l'homme possède une bonne connaissance de soi et une certaine confiance en soi. Je pense que les hommes mûrissent au contact des vérités et des désillusions comme les fruits mûrissent au soleil et grâce à la pluie, grâce à l'eau pompée par les racines. L'homme mûr marche sur deux jambes indispensables: celle des doutes et celle des certitudes. Il n'y a pas d'un côté le doute vertueux et de l'autre la certitude vicieuse. Le doute peut être vicieux, préjudiciable, la certitude juste, vertueuse. L'homme mûr respecte sa conscience et la morale. Il n'instrumentalise pas et ne défigure pas la morale à des fins politiques, idéologiques et économiques, un fléau politique, médiatique et journalistique de notre temps. Nietzsche a dit dans un poème que la conscience ne torture que les consciencieux. Tous les hommes ne sont pas honnêtes et  consciencieux... L'homme mûr tend vers la sagesse, mais sans faire une religion de cette quête ou recherche. Il connaît la valeur du délassement et de la fantaisie. Et, ici, il ne faut pas confondre le délassement et la fantaisie avec le divertissement et le consumérisme culturel qui se traduit souvent à notre époque par une consommation de produits audiovisuels sous-culturels, une consommation de produits sous-culturels formatés par des gens intéressés pas forcément très matures... Je pense que la maturité idéale surfe encore sur la vague de la jeunesse et reste marquée par un certain enthousiasme qui prédomine encore sur la mélancolie. Voilà le portrait rapide que l'on peut faire de la maturité idéale, qui est en fait une qualité plus qu'un âge.

La maturité, pour reprendre une image chère au capitaine, est-elle le creux ou la crête de la vague de l'existence humaine?

Je pense bien sûr qu'elle est les deux. Elle est le creux car au centre de la vie, placée entre la jeunesse et la vieillesse, qui sont des temps forts aussi à leur manière, et elle est la crête, la cime, car c'est l'âge où normalement la pleine possession des moyens intellectuels n'est pas trop entravée par les déboires physiques, les problèmes de santé, les complications de la vieillesse qui tendent à obscurcir les jours. 

Vous parlez d'innocence et d'expérience, de doute et de certitude, d'enthousiasme et de mélancolie, vous semblez apprécier les binômes, les contraires qui s'épaulent, les oppositions qui se complètent à merveille. Cette capacité à réconcilier, à marier pour le meilleur, serait-ce là un trait majeur, un marqueur certain, distinctif, de la maturité comme de la poésie?

Je crois que la maturité est l'âge de la réconciliation des contraires et des opposés, l'âge où ils se complètent et s'épaulent le mieux, et il est judicieux ici en effet de comparer la maturité et la poésie elle-même. Comme la maturité idéale réconcilie des contraires et des opposés afin qu'ils puissent atteindre leur plein épanouissement, la poésie fait de même. Elle opère des rapprochements, elle unifie et fond ensemble du divers et du varié dans des ensembles harmonieux et homogènes: les poèmes. C'est pourquoi la poésie utilise les images et les métaphores, et pourquoi le poème peut être lui-même allégorie et métaphore. Je pense que l'enthousiasme et la mélancolie sont les deux forces vives et motrices qui motivent la geste et l'écriture poétiques. Et ces deux forces se partagent les vies humaines comme font les joies et les peines dont elles sont les compléments et les prolongements. Les joies débouchent sur l'enthousiasme, les douleurs et les peines sur la mélancolie. Le plaisir aussi peut déboucher sur la mélancolie, car le plaisir est moins pur que la joie. Je pense que la mélancolie intervient de manière profonde avec l'âge, quand le corps commence vraiment à grincer, et quand on commence à voir la mort en action autour de soi, frappant des proches, des êtres chers, mais aussi de simples animaux, autour de soi. La mélancolie intervient aussi quand les amours sont contrariées, et il faut entendre ici le mot amour au sens très large, pas seulement au sens amoureux ou sexuel. La mélancolie peut cependant intervenir à tous les âges de la vie, comme la sagesse, l'enthousiasme et la capacité créatrice. Je pense qu'il existe un corpus fixe de la sagesse applicable à tous les âges, mais je pense aussi que la sagesse comporte une part de souplesse qui lui permet de s'adapter aux différents âges de la vie. Je veux dire par là que le jeune homme sage, s'il existe, mettra en pratique des préceptes adaptés à la jeunesse qui seront légèrement différents de ceux de l'homme mûr ou de l'homme âgé, même si ces différents préceptes appartiendront toujours à une même grande famille, celle des préceptes de la Sagesse. Il serait intéressant d'écrire un manuel de sagesse divisé en quatre parties: préceptes généraux pour tous les âges, préceptes pour les jeunes hommes, préceptes pour les hommes mûrs, et préceptes pour les hommes âgés. La vie, comme l'amour, est faite de peines et de joies. La poésie doit refléter cela. Le poète doit donc essayer de faire la part belle à l'enthousiasme comme à la mélancolie. Le grand poète est un poète complet, un poète à la fois printanier et automnal: il sait rendre à chaque saison ce qui lui revient. Il sait être enthousiaste et mélancolique au printemps, mais aussi en été, en automne et en hiver. Idéalement, il doit tendre vers cela, vers cette complétude. J'ai lu Georg Trakl récemment, poète autrichien assez torturé, sorte de Byron, mais aussi de Baudelaire de la campagne autrichienne écrivant un peu comme le Rimbaud des Illuminations, ressassant un certain nombres d'images récurrentes finement choisies dans des petits tableaux qui se ressemblent tous, faisant la part belle aux couleurs, notamment à la couleur bleue. On le qualifie généralement de poète expressionniste. C'est clairement un grand poète de l'automne, du crépuscule et du déclin, dont je conseille vivement la lecture. J'aime beaucoup sa poésie car ses poèmes évoquent et décrivent clairement des paysages de campagne, de moyenne ou petite montagne. Trakl aurait été un poète complet, un poète universel au sens large du terme, s'il avait pu donner un pendant printanier et matinal à sa poésie automnale, vespérale et crépusculaire. Byron fut aussi un jeune homme hanté par l'idée de l'automne et du déclin, un peu comme Georg Trakl, mais dans un registre et dans un style très, très différents!

Il serait intéressant ici de parler de la maturation du poème, de la maturation du recueil, de la maturation du poète, et de la maturation de l'homme!

Assurément. Vaste sujet. Mais nous ne le ferons pas aujourd'hui! Quand je vous parlerai en détail des Poèmes du capitaine, nous y reviendrons peut-être!

Vous conservez la thématique générale des trois âges de la vie pour le Tome 3 du premier recueil de fables...

Oui, elle parachève le premier recueil puisque le Tome 3 lui sera largement consacré. Cette thématique structure le Tome 3. Le Tome 3 sera divisé en quatre livres: un livre consacré aux enfants et à la jeunesse, un livre consacré à la maturité et au vieillissement, et un livre consacré à la vieillesse et à la mort. La longue fable en prose qui fermera le Tome 3 (et le premier recueil) sera une relecture personnelle de la cosmogonie grecque. J'explore le thème de l'apparition, de la révélation et de la naissance dans Culotthée, et le thème de la renaissance dans La bouse de vache, via une relecture personnelle de la cosmogonie grecque. La bouse de vache commence comme un pongien consacré à la bouse de vache, puis dérive vers une relecture de la cosmogonie grecque. Je pense toujours à la terre plate des Anciens quand je vois des bouses de vache dans les prés. La fabrique du pré de Ponge n'est pas très loin non plus. Voilà pourquoi je peux placer ma fable L'été et l'automne dans le Tome 3, à quelque distance de la fable d'Esope L'hiver et le printemps, incluse dans le Tome 2 avec Culotthée.

Esope a écrit une fable sur les âges de l'homme...

Il existe en effet une fable d'Esope qui s'appelle Les âges de l'homme. Elle est assez rigolote car, au lieu d'assigner aux différents âges de la vie des saisons, ce qui n'est pas très original, j'en conviens, elle assigne des animaux! Le boeuf, le cheval et le chien! Cette fable d'Esope se déroule pendant l'hiver. Les animaux réclament à l'homme un abri, et l'homme leur accorde cet abri en échange d'un certain nombre d'années de vie, car l'homme trouve évidemment sa vie trop courte. Il ne vit pas aussi longtemps que la tortue, la grue, le cerf ou la corneille! L'homme veut allonger sa vie. La fable dit que l'homme originel qui vivait peu d'années, le temps imparti par Zeus, était pur et bon. Une sorte de bon sauvage ou de bon civilisé, puisque la Grèce ancienne a réussi à faire vivre ensemble de manière harmonieuse, idéale, civilisation humaine et monde naturel. Et c'est aussi pourquoi la Grèce antique doit toujours demeurer un modèle. Sur ce point, les choses ont commencé à dérailler avec les Romains, obsédés par le pouvoir et la domination, et les choses n'ont fait qu'empirer depuis avec le développement de la technique et de l'arrogance humaine. Dans la fable d'Esope, l'homme vivant les années pris au cheval devient vantard et fier. L'homme vivant les années du boeuf devient lourd et pesant (cela fait penser aux propos de Céline sur l'homme lourd et pesant!). L'homme vivant les années du chien devient coléreux et "clabaudant" (cet adjectif ne me semble pas très heureux, mais passons). Cette fable est évidemment un peu injuste pour les trois animaux concernés, mais elle est intéressante car elle est très sophistiquée et divise la vie humaine en quatre périodes. Si l'on respecte la logique, le cheval vient allonger la jeunesse et fait voir un jeune homme vantard et fier, le boeuf correspond à la maturité et fait voir un homme lourd et pesant, et le chien fait voir un vieil homme amer et colérique. Le chien est généralement le symbole du Cynisme, donc le symbole d'une certaine liberté et insouciance, mais dans cette fable, il semble bien symboliser la vieillesse bougonne et grognon. Cette fable d'Esope est donc très sombre: sombre sur la nature même des trois âges de la vie humaine, et sombre parce qu'elle ne mentionne aucune qualité du cheval, du boeuf et du chien! Elle n'aborde pas non plus la question des âges des animaux. Or, les âges de l'homme et les âges des animaux se recoupent bien sûr: les animaux aussi connaissent la jeunesse, la maturité et la vieillesse, comme l'homme. Le poulain partage plus de points communs avec le veau et le chiot qu'avec le vieux cheval. Comme on peut le voir, cette fable, bien que déjà très sophistiquée pour une fable ésopique, peut être encore enrichie et améliorée. Je réécrirai un jour cette fable qui sera incluse dans le livre breton.

C'est cela qui est bien avec les fables d'Esope: elles offrent une trame, elles sont malléables, elles ne sont pas figées, on peut les enrichir, les assouplir, les améliorer, les faire grandir, fructifier!

Elles peuvent être améliorées sur le fond comme sur la forme, poétiquement, mais aussi substantiellement. On peut améliorer l'intrigue, le récit. On peut, comme La Fontaine, se faire conteur et enjoliver la fable au point d'en faire un poème, mais on peut aussi tirer des moralités légèrement différentes. Montaigne a dit que la fable ésopique portait potentiellement en elle plusieurs moralités. Les fables ésopiques peuvent être grosses de plusieurs versions, elles invitent aux variantes comme les mythes grecs. La fable ésopique est donc essentiellement protéiforme en son essence. C'est un canevas qui se suffit à lui-même, mais qui peut aussi grandir, évoluer. Les moralités peuvent d'autant plus évoluer qu'elles dépendent d'intrigues qui peuvent, elles aussi, légèrement évoluer. Les moralités qu'on trouve à la fin des fables d'Esope sont souvent très courtes, très sommaires, ressemblent souvent à des ébauches comme les courts récits qui les amènent. La meilleure preuve est fournie chez nous par les fables du labyrinthe de Versailles de Charles Perrault. Il en tire des moralités galantes plutôt que des moralités classiques, applicables aux aléas de l'existence. Elles donnent des leçons et des maximes pour la conduite des amants plutôt que pour la conduite des hommes. Perrault écrit en introduction, et c'est l'Amour en personne qui parle: "Les maximes serviront aux amants pour se tirer d'une infinité d'embarras où ils se trouvent tous les jours." Esope est l'auteur des fables, l'Amour l'auteur des moralités des fables de ce labyrinthe. Bref, ces fables d'Esope qui, à la base, sont faites pour éclairer les hommes sur les embûches que leur tendent la vie, leur propre nature, les autres hommes et la société en général, peuvent aussi trouver un sens, une moralité, quand déplacées dans un contexte plus spécifique et étroit, ici le terrain de l'amour, le champ des rapports de séduction et de conquête amoureuses.

Il serait bon ici de donner un exemple!

Prenons par exemple la fable Le duc et les oiseaux, qui est la première fable du labyrinthe de Versailles. J'ai donné moi-même une version de cette fable (présente dans le livre 1 du Tome 1, dans le livre anglais) et je m'en suis servi pour parler de la monarchie britannique et de son image: je l'ai donc entraînée sur le terrain politique. La fable a été résumée ainsi par Charles Perrault: Un jour le Duc fut tellement battu par tous les Oiseaux, à cause de son vilain chant et de son laid plumage, que depuis il n'a osé se montrer que la nuit. Voyons maintenant le quatrain de Benserade et la moralité galante de Perrault. 

 

Les oiseaux en plein jour voyant le duc paraître, 

Sur lui fondirent tous à son hideux aspect. 

Quelque parfait qu'on puisse être, 

Qui n'a pas son coup de bec? 

 

(Qui ne reçoit pas son coup de bec? aurait été plus heureux, mais passons) 

 

Tout homme avisé qui s'engage

Dans le Labyrinthe d'Amour, 

Et qui veut en faire le tour, 

Doit être doux en son langage, 

Galant, propre en son équipage, 

Surtout nullement loup-garou. 

Autrement toutes les femmes 

Jeunes, vieilles, laides et belles, 

Blondes, brunes, douces, cruelles, 

Se jetteront sur lui comme sur un hibou.

Pensez-vous que l'on pourrait, à partir des fables d'Esope, tirer des leçons et des maximes pour les artistes et les poètes, voire les fabulistes, comme Perrault a tiré des leçons pour les amants?

Oui, certainement. Les fables de La Fontaine sont ce qu'elles sont, car La Fontaine a tiré pour son art de fabuliste la leçon qu'il y avait à tirer de cette fable. Les fables d'Esope sont un peu frustes sur la forme et sur le fond, ce sont un peu des hiboux! Pourtant, le hibou est parfait aussi à sa manière, semble dire Benserade! La fable ésopique est parfaite en tant que fable ésopique, c'est-à-dire en temps que fable n'ayant pas de prétention poétique, en tant que trame dénudée et savante, au repos, attendant qu'on vienne la revêtir d'un feuillage printanier et de la livrée des Muses. Comme Perrault a annexé le genre de l'apologue à la poésie galante, le fabuliste peut tenter de l'annexer à la réflexion sur son art, sur la pratique de son art, voire au domaine plus large de la création poétique. La Fontaine se servait en général des premières fables de ses livres pour réfléchir sur son art de fabuliste. On peut très bien imaginer un livre de fables, sur le modèle de Perrault, qui serait consacré entièrement à une telle réflexion. J'ai prévu de consacrer un livre de fables au parc et aux jardins du château de Versailles. Je commence à voir ce que va devenir le livre breton, mais mon livre versaillais reste encore assez flou. Ce serait là une piste à explorer. Je pense toutefois que le hameau de la Reine y jouera un plus grand rôle que le souvenir du labyrinthe disparu. Je pense que le souvenir de la ménagerie du roi jouera aussi son rôle, notamment du fait des animaux exotiques qu'on pouvait y voir. Je pense toutefois que les animaux exotiques que l'on trouvera dans le deuxième recueil de fables s'en viendront du zoo de la citadelle de Besançon! Ils auront entendu parler dans leurs cages de ce roi lion éclairé vivant au bord du Lison...

Le Tome 2 avance...

Oui, il avance à son rythme. Il me reste encore quatre ou cinq fables à écrire. J'ai surtout consacré ces derniers mois à l'écriture de trois longues fables: Les noces du soleil, Les noces d'un mulot et Le choucas fraudeur. Ces trois pièces sont longues, et je vais être contraint de suspendre l'écriture du Choucas fraudeur. Les deux premières sont au repos pour le moment, je devrai les relire à tête froide et reposée. Je ne savais pas si j'allais inclure Les noces du soleil et Les noces d'un mulot dans ce Tome 2, c'est pourquoi je n'ai pas parlé d'elles dans mon billet de blog du mois d'octobre dernier, mais en écrivant et en retravaillant des fables plus courtes consacrées à la haute montagne et aux torrents, à la Suisse et au lac Léman, j'ai compris qu'il fallait absolument les inclure dans ce livre 7, comme la fable L'hiver et le printemps. Les noces du soleil, c'est Le soleil et les grenouilles chez La Fontaine. Les noces d'un mulot, c'est La souris métamorphosée en fille chez La Fontaine. Les noces du soleil font un millier de vers, et Les noces d'un mulot trois cents vers. On ne pourra pas dire que j'ai peur de la comparaison avec le maître. Ces deux fables m'ont d'ailleurs obligé à supprimer, à retirer des fables de ce livre 7 que je devrai essayer de recaser ailleurs! Quant au Choucas fraudeur, elle est vraiment très longue, elle sera vraiment très longue, elle n'est pas encore finie, et elle ne pourra pas être incluse dans le Tome 2, et ce d'autant plus que je l'écris en vers libre moderne. Le choucas fraudeur sera en fait inclus dans le troisième recueil de fables! Probablement dans le Tome 11 ou 12! Car je place, je situe le concours de beauté des oiseaux, thème central de cette fable, dans la gorge encaissée dont je vous ai déjà parlée, au pied d'une petite cascade, au bord d'un magnifique bassin d'eau claire. Et, en fait, la thématique du lieu du concours de beauté, la thématique de la beauté même du lieu du concours, y est aussi importante que le concours de beauté des oiseaux. La fable sera donc divisée en deux grandes parties: la réflexion sur le choix du lieu du concours de beauté occupe la première partie, et le concours de beauté des oiseaux occupera la seconde partie. Cette fable fera au moins 60 000 mots, je pense. Elle sera la pièce centrale du Tome 11 ou 12. Les Fables du Lavoir se termineront au bord d'un ruisseau comme le recueil de La Fontaine, au fond de cette gorge à la fois ombragée et lumineuse, celle dont je parle au début de la dédicace générale qu'on trouve en tête du recueil. Le dernier tome du troisième et dernier recueil sera consacré en son entier à cette gorge encaissée, fraîche, ombragée, creusée de marmites, ponctuée de cascades, ornée de cascatelles, où perce la lumière du jour. Je vous parlerai de cette longue fable dans mon prochain billet de blog car c'est vraiment un sujet passionnant. Nous parlerons alors des différents âges de la fable.  On trouvera finalement dans mon troisième et dernier recueil un certain nombre de fables écrites en vers libre moderne. Nous en reparlerons quand nous évoquerons ensemble Le choucas fraudeur.

Mettons maintenant à jour la liste des fables qu'il vous reste à écrire pour terminer ce tome 2!

Vos désirs sont des ordres, Delphine! Ce tome 2 sera en fait le tome 3! Car le tome 1 sera enrichi et scindé en deux tomes différents: le tome 1 et le tome 2. Le livre 7 (ou 11) est désormais très copieux, il fait déjà presque 30 000 mots, je ne peux donc pas le gonfler beaucoup plus. Le livre 7 est un peu hypertrophié en nombre de mots et le livre 6 un peu hypertrophié en nombre de fables. Il est difficile de parvenir à des livres égaux en termes de nombre de mots et de nombre de fables. Il me reste cependant à inclure dans ce livre 7 la fable sur le lac gelé, deux ou trois fables concernant les vignobles suisses et l'univers de la vigne, et une fable sur la mouette. La fable d'Esope La chauve-souris, la ronce et la mouette sera finalement incluse dans le livre breton. Il me reste donc à écrire les fables suivantes pour compléter le Tome 3:  

 

L'âne trompé par le lac gelé (Léonard)  

Les effeuilleuses (fable de mon invention)

La vigneronne de Montreux (fable de mon invention)

L'araignée et la grappe de raisin (Léonard) 

La mouette du lac Léman (Esope) 

 

Il se pourrait que je fusionne les deux fables sur les vigneronnes. Ce travail terminé, je pourrai relire et probablement retravailler un peu la longue fable en prose Culotthée, et me pencher sur l'écriture d'un prologue. Car, vous l'aurez compris, le début du Tome 3, c'est le milieu du premier recueil de fables. Je dois donc marquer le coup! Et le Tome 3 sera terminé pour ce qui est de sa composition en terme de pièces choisies. Je n'aurai plus alors qu'à le relire et qu'à fignoler ici et là quelques vers. Ce Tome 3 est ainsi construit: le livre 5 (en fait 9) est un livre consacré à la Franche-Comté, contenant des fables se déroulant dans la campagne française. Il effleure, traverse en vitesse le canton des cascades où seront situées la plupart des fables des deux recueils suivants. Le livre 6 aborde différents thèmes plus ou moins connectés entre eux, et l'ambiance y est plutôt nocturne. Ces deux livres sont assez sombres d'inspiration, même si le livre 6 voit renaître le jour et s'achève sur une note d'espoir et de lumière. Le livre 7 (en fait 11) est un livre plus joyeux, plus optimiste, plus guilleret, qui fait la part belle aux vergers, aux arbres fruitiers et aux fruits, car Culotthée, la pièce en prose qui achève ce Tome 3, donne la parole à un personnage mythologique nouveau, qui est quand même un rejeton, un fruit un peu spécial! Le fruit des amours du dieu Hermès et de la nymphe Castalie. Un nouveau fruit juteux de la connaissance!