· 

L'Epervier de Diane

Je pensais que nous parlerions aujourd'hui de Culotthée, mais nous allons parler de la déesse Diane à la place!

Oui, cela fait trois mois que je travaille sur L'épervier de Diane, poème qui fait environ 2500 vers. J'ai travaillé dessus tout l'été, et il n'est pas encore tout à fait terminé. Je ne m'attendais pas à ce que ce poème devienne si long, je me suis laissé porter, emporter par le sujet. Je pensais au départ que ce poème ferait environ 500 vers, mais il y avait visiblement matière à beaucoup plus, et je suis obligé de mettre le "holà" comme on dit! J'ai décidé de limiter sa longueur à environ 2500 vers. Afin de limiter sa taille, je m'interdis désormais de consulter mes notes. Je n'ai en fait utilisé qu'une partie de mes notes, il me reste assez de notes pour consacrer deux ou trois autres poèmes à Diane et à Artémis. Le jeu consiste désormais à recycler les chutes, les mauvais passages créés par l'écriture du poème, qui pourraient devenir bons, si modifiés, si améliorés, si réinjectés aux bons endroits dans le poème. Quand on écrit un poème aussi long, on accumule en cours de route des chutes qui peuvent être réutilisées ailleurs et qui viennent s'ajouter aux notes originelles de départ. Certaines de ces chutes peuvent être recyclées à l'intérieur du poème, d'autres non. Ces dernières seront dirigées in fine vers d'autres poèmes.

Ce n'est pas tous les jours que j'écris des poèmes aussi longs, je ne vous le cache pas, c'est donc une expérience assez originale que je vis actuellement. D'autant plus que ce poème est écrit en vers libre classique. Comme je vous disais dans notre précédent entretien, je fais un usage nouveau du vers libre classique, je le rafraîchis un peu, mais le jeu consiste toujours à le rendre ou à le maintenir aussi léger que possible, surtout dans ce poème qui se veut très aérien. Très aquatique et très aérien. Pour vous donner un ordre de grandeur, une tragédie de Racine en alexandrins, c'est un peu moins de 2000 vers, et la plus longue fable du recueil de fables de La Fontaine est un conte qui fait 562 vers, Les Filles de Minée. Ce poème, malgré sa longueur, sera bien inclus dans le Tome 3 des Fables du Lavoir. Je serai seulement obligé de le déplacer dans le livre 10, car il est désormais trop long pour le livre 9 et trop long aussi pour le livre 11. Il me permet en fait de rééquilibrer le livre 10 qui était trop court par rapport à ses deux voisins en terme de nombre de mots. 20 000/30 000 mots par livre de fables, telle est la moyenne autour de laquelle j'essaie de tourner dans ce Tome 3 et dans ce premier recueil de fables.

Je vous arrête tout de suite! Un poème d'environ 2500 alexandrins, cela fait un poème d'environ 25 000 mots!  Soit l'équivalent d'un livre de fables!

Vous avez raison, Delphine. Comme quoi, ces entretiens servent réellement à quelque chose. Grâce à vous, je reste bien ancré sur le plancher des vaches! Je vais être obligé d'insérer ce long poème entre deux livres de fables du Tome 3, comme s'il était une longue fable en prose, et je vais être obligé d'inclure Culotthée dans le Tome 4. Cela m'arrange un peu car La Bouse de vache, poème dont j'avais prévu l'inclusion dans le Tome 4, est un long poème en prose d'inspiration disons grecque, théogonique. 

Un poème dont l'inclusion dans Les poèmes grecs serait de fait plus pertinente. 

Culotthée remplacera La Bouse de vache dans le Tome 4. Je vais retirer La Bouse de vache du recueil de fables, et je vais inclure L'épervier de Diane entre le livre 10 et le livre 12 du Tome 3. L'épervier de Diane sera donc le livre 11 du Tome 3 des Fables du Lavoir!

Adjugé, vendu!

Qu'est-ce qui fait l'originalité de ce poème?

Ce poème, à la base, est un hymne à la déesse sur le modèle des Hymnes homériques.

Il est beaucoup plus long toutefois qu'un hymne homérique. Les hymnes homériques peuvent être divisés en deux grandes catégories: les hymnes courts qui dressent un portrait élogieux du dieu ou de la déesse, et les hymnes longs, narratifs, qui ajoutent au portrait des éléments biographiques, des épisodes mythiques de la vie du dieu ou de la déesse. L'originalité de ce poème tient dans le fait que c'est un hymne long, voire très long, qui n'est pas narratif. Dans ce poème, je ne raconte pas des épisodes précis de la vie de Diane, je n'entre pas dans les détails de sa biographie, même si sont glissées ici et là quelques allusions à certains épisodes. Je m'inscris plutôt dans la tradition des peintres qui représentèrent la déesse au repos, dans la nature, entourée de ses suivantes, amies et servantes, les nymphes. C'est donc un poème très sensuel à la base, centré sur la vie sauvage et libre de Diane dans la nature, dans les montagnes, dans les forêts. Montagnes essentiellement italiennes, mais je lui attribue aussi les parties boisées des Alpes et le Jura. Ce poème me permet de parler des montagnes, des forêts, des torrents, des cascades et des bassins au pied des cascades. Je dresse un long portait de la déesse, et, surtout, je m'adresse directement à elle comme à ses compagnes, je me place, sinon dans la peau, du moins un peu dans la situation d'Actéon, dans la situation d'un Actéon qui serait toujours sur leurs talons, et je joue au chat et à la souris avec la déesse. Je mets l'accent sur le fait qu'elle est romaine, vierge, pure, réellement attachée à sa virginité et à sa liberté, et son attribut central dans le poème n'est pas l'arc, mais l'épervier, soit le filet de pêche. L'épervier de Diane, plus qu'un réseau de mailles fait pour attraper les poissons ou le reflet de la lune, c'est surtout un réseau de ruisseaux, de torrents et de cours d'eau, un bassin versant où nagent et vivent les poissons. Il s'agit aussi pour moi dans ce poème de montrer que Diane et Artémis sont deux déesses différentes, qui n'ont pas la même personnalité et le même caractère, malgré certaines caractéristiques communes. Ce poème annonce le contenu montagneux du livre 12 dédié en partie aux Alpes suisses et au lac Léman. Le poème flotte entre moyenne montagne et haute montagne. Parfois, on a l'impression d'être dans les Alpes, parfois l'impression d'être dans le Jura, mais il est aussi question des monts Sabins et des monts Albains autour de Rome, cela va dans dire!

C'est un poème, il ne contient pas de moralité, je présume!

Non, il ne contient pas de moralité précise, mais il est néanmoins divisé en deux parties, une première partie qui est très longue, l'hymne proprement dit, et une seconde partie, finale, conclusive, beaucoup plus courte, où je taquine réellement la déesse, où j'ébauche une baignade de la déesse avec ses amies dans le vallon de la Brême, baignade que je peux contempler à ma guise, sans être vu, soupçonné et démasqué par la déesse. Baignade que je me garde bien toutefois de décrire dans le détail, pour sauver ma peau et peut-être celle du poème tout entier! Il est bien connu que la nature fourmille de créatures discrètes dont on ne soupçonne pas la présence! D'yeux invisibles et de regards qui nous transpercent à notre insu! Les animaux et les oiseaux nous regardent, et peut-être que leurs yeux seuls ont le pouvoir de voir les dieux pour de vrai! On n'est jamais seul dans la nature, l'homme y est vu plus qu'il ne voit! Cela dit, dans ce poème, je ne fais que suggérer les baignades et les effeuillages: je conserve les descriptions précises de baignades, le motif précis de la baignade, pour mon recueil Les baigneuses! Dans ce poème, je laisse aussi planer le mystère quant à la nature exacte de la métamorphose qui me permet d'échapper à la colère et à la vindicte de la déesse, mais on sent bien que la métamorphose en cerf ne me déplairait pas! Et que les amies de Diane se confondent un peu avec une harde de biches! C'est une métamorphose très indiquée dans le vallon de la Brême où Courbet a peint le Puits noir, certes, mais aussi des remises de chevreuils. La forêt de Levier n'est pas très loin non plus! Dans ce poème, je greffe Diane et ses amies dans le vallon de la Brême, comme dans d'autres poèmes je greffe Vénus dans le val d'Amour, dans la basse vallée de la Loue. La Brême est un affluent de la Loue qui se jette dans la moyenne vallée de la Loue. La moyenne vallée de la Loue se situe entre Ornans et Quingey. La basse vallée de la Loue débute après Quingey.

Vous allez écrire un poème pour Artémis, j'imagine!

Oui, j'écrirai un hymne à la gloire d'Artémis qui sera le pendant de cet hymne à la gloire de Diane. Je pense que je l'écrirai cependant en vers libre moderne afin d'accentuer le contraste entre les deux poèmes et les deux déesses. J'ai accumulé beaucoup de notes sur ces deux déesses au fil du temps. Dans ce poème, il est juste question de Diane et de ses amies courant d'une montagne à l'autre, et reprenant leur souffle au bord des torrents! Rien de plus d'un strict point de vue narratif. Cela donne vaguement le sentiment que Diane court les montagnes et les torrents comme d'autres courent les nymphes ou les jupons! Le poème à la gloire d'Artémis sera très différent, et peut-être inclus dans le Tome 4 des fables. Mais comme je projette aussi d'écrire un recueil de "poèmes grecs" qui contiendra quelques hymnes en plus de la poésie chevaline grecque, il se pourrait qu'il soit inclus dans le recueil de poèmes grecs, je ne sais pas encore. Ce poème sur Artémis viendra peut-être comme un cheveu sur la soupe dans le Tome 4, il me semble, surtout si je l'écris en vers libre moderne. Il serait plus à sa place dans les Poèmes grecs. Je n'ai pas prévu de greffer Artémis dans les paysages jurassiens, je m'en tiendrai à Zeus et à Hermès s'agissant des dieux grecs, et à Diane et à Vénus s'agissant des déesses romaines. Pan et Mercure seront eux aussi présents.  Je ne peux pas greffer tout le monde! Cela deviendrait lourd et maladroit! Le long poème sur Artémis sera clairement centré sur la Grèce et les montagnes grecques, et sur la Crète et sur l'île de Délos pour ce qui est des îles. Je pense que les références et détails biographiques y seront nombreux. Dans ce poème consacré à Diane, je m'attache vraiment à créer une impression générale de "casier vierge" pour reprendre une expression juridique! Diane est non seulement réellement vierge, mais on ne sait rien de précis de sa vie, et ses compagnes restent anonymes, des nymphes italiennes mystérieuses. On sait juste qu'elle est la soeur d'Apollon et la fille de Jupiter, et que Junon, au fond, l'aime beaucoup, aime beaucoup son caractère farouche et ombrageux. Je n'en dis guère plus. On connaît grâce à Callimaque les noms de certains compagnes d'Artémis. Les compagnes d'Artémis étaient crétoises, étaient des créatures féminines émanant des rivières crétoises. Et Artémis avait aussi quelques compagnes en Arcadie dont la fameuse nymphe Callisto. 

Il s'agira dans ce poème de montrer comment Artémis a glissé de la virginité vers un lesbianisme assumé et décomplexé dans la pure tradition de la poétesse de Lesbos. 

Pratiqué cependant en secret, loin du regard des hommes et des femmes mortelles.

Diane ne succombe pas à la tentation, elle reste intraitable sur ce point, malgré les éclats de rire, les éclaboussures et les effleurements multiples et nombreux dans les bassins! Diane et ses compagnes nagent en pleine innocence (ou presque!) et protègent farouchement cette innocence. Diane incarne vraiment la vertu romaine dans tout ce qu'elle peut avoir de plus frais, de plus éclatant et de plus hautain. Les vestales de Rome aimeraient pouvoir la rejoindre et courir avec elle dans les forêts!

Iriez-vous jusqu'à dire que Diane est plus sensuelle que Vénus?

Oui, sans conteste. Vénus, on peut la voir nue, à défaut de pouvoir la toucher! C'est la déesse de l'amour, c'est un peu une déesse publique. Dans mes poèmes, Aphrodite reste plus pure et plus sentimentale que Vénus, plus fragile et plus innocente que Vénus. Dans Les baigneuses, le poème L'éponge de mer sera consacré à la naissance d'Aphrodite dans la mer, dans l'écume des vagues, et à ses baignades et toilettes dans les criques glauques et dans les anses cristallines. Je fais d'Aphrodite la déesse du premier amour et la déesse de la grande passion, tandis que Vénus est plutôt la déesse de la rouerie, de la tromperie, de la séduction et du plaisir charnel activement recherché. Contrairement à Vénus qui peut être représentée nue, qui affiche sa nudité, Junon, Diane et Minerve n'affichent jamais la leur: on ne peut pas les voir nues, c'est interdit. On ne peut ni voir, ni toucher. Et c'est pareil avec Héra, Artémis et Athéna. Et le doute demeure aussi s'agissant des compagnes de Diane qui sont des nymphes, des nymphes vierges qui doivent rester vierges elles aussi. Toutes les nymphes ne sont pas vierges, mais les amies de Diane, elles, doivent le rester, comme Diane. Tout cela est à la fois douloureux et affriolant pour le spectateur car Diane, contrairement à Junon ou à Minerve, porte des tenues légères! Minerve porte des robes longues, Diane des robes courtes et légères pour se déplacer rapidement et pour tirer à l'arc facilement! Tout ce qu'on peut voir, ce sont des jeunes filles joyeuses et enjouées évoluant dans la nature dans des robes légères et courant d'une montagne à l'autre, d'une forêt à l'autre, d'un torrent à l'autre et d'un bassin à l'autre. Pour les voir se déshabiller, pour les voir se baigner nues, pour les regarder sans risque, le poète est forcé de se glisser dans la peau d'une nymphe ou dans celle d'une créature animale présente sur les lieux. En tant qu'homme, en tant qu'être humain, il encourt le courroux de la déesse s'il va trop loin. Je joue sur cet aspect des choses, la référence au mythe d'Actéon est donc très importante. Bien sûr, ce poème est inclus dans un recueil de fables, je fais donc attention à ce que la nature et le monde animal soient présents. Les cerf et les biches notamment, qui sont attribués à Diane.

Ne pensez-vous pas que ce thème de la nymphe sensuelle soit un peu lourd, éculé et balourd?

Non, pas du tout, le côté sensuel de la nymphe est en effet un lieu commun de la poésie, mais un lieu commun qui n'a jamais été exploré en profondeur par les poètes. J'ai relu L'eau et les rêves de Gaston Bachelard au début de l'été, et Bachelard fait allusion à cela, à la facilité avec laquelle le thème de l'eau claire, notamment courante et printanière, peut entraîner le poète sur le terrain des nymphes, des reflets, des jeunes filles reflétant leur beauté, des baignades et de l'érotisme, soit sur le terrain des peintres et des sculpteurs plutôt que sur le terrain des poètes. Bachelard appelle cela "Le complexe de Nausicaa", Nausicaa qui est une princesse mortelle entourée de lavandières dans L'Odyssée, pas une déesse entourée de nymphes. Dans ce poème, je fais bien la distinction entre déesses immortelles et femmes mortelles, femmes irréelles et femmes réelles, créatures inaccessibles et femmes mortelles accessibles ou supposées accessibles. Le narrateur sait qu'il s'intéresse à des créatures inaccessibles, et d'autant plus inaccessibles qu'elles tiennent à conserver leur virginité. Ce qui ne le démoralise pas outre mesure, bien au contraire. On souffre moins devant des créatures inaccessibles contemplées par l'imagination que devant des créatures accessibles qui se refusent et se dérobent sous vos yeux! Comme dit Bachelard, la vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d'irréalité. Et ces nymphes, elles aussi, ne veulent pas souffrir! Elles ne pensent qu'à s'amuser et qu'à se baigner, en toute innocence, ou presque, car il ne leur déplaît pas d'être contemplées et admirées, il ne leur déplaît pas d'éveiller du désir.

Le défi est justement pour moi de rester aussi léger que possible. Ce poème, c'est clairement de la dentelle, et le souffle de la brise y est encore plus palpable, je pense, que la fraîcheur de l'eau claire. J'arrive à produire cet effet grâce à l'emploi du vers libre classique, grâce à l'alternance irrégulière des rimes suivies, croisées et embrassées et des vers de différentes longueurs, mais aussi grâce à la liberté du narrateur qui tantôt tutoie Diane, tantôt parle d'elle à la troisième personne, tantôt vouvoie les nymphes dans leur ensemble. L'interlocuteur direct du poète change donc constamment! Cela crée une impression de tourbillon et de voltige. Cela virevolte. Tantôt je m'adresse au lecteur, tantôt à la déesse, tantôt aux nymphes, ce qui crée une réelle impression de mouvement, de flottement et de légèreté. Mes nymphes sont en fait des Grâces qui se baignent. Elles sont des créatures féminines qui se confondent avec l'élément liquide dans lequel elles baignent et se rafraîchissent, semblables en cela à l'épervier de Diane, qui est double lui aussi. L'épervier de Diane, c'est surtout un réseau de ruisseaux et de cours d'eau. Les ruisseaux qui se croisent, via leurs confluences, forment les mailles d'un filet aquatique dans lequel se prennent les nymphes et les poissons. Le bassin versant, en partant des sources des ruisseaux jusqu'au fleuve rejoignant la mer, constitue lui-même un vaste filet d'eau claire. Surtout dans sa partie amont, montagneuse et sauvage, et dans les parties amont de ses divers affluents. Les nymphes qui accompagnent Diane sont très légères.  Elles l'accompagnent partout dans les forêts. La déesse est rarement seule, et quand elle quitte les nymphes pour avoir des apartés, c'est souvent avec Apollon. Les nymphes doivent être capables de suivre le rythme rapide imposé par la déesse volant d'une montagne à l'autre. Elles s'en viennent du monde aquatique, mais appartiennent aussi au monde aérien de la brise, elles ont besoin d'être caressées par la brise et les feuillages pour sécher un peu! S'alléger un peu. Cela fait partie de leur originalité par rapport aux autres nymphes qui peuvent être "engrossées" par les dieux, attachées clairement au monde terrestre plutôt qu'au monde aérien. Les trois Grâces de la mythologie antique ne se baignent pas! Elles sont légères, dansent au printemps sur les prés, sur les rives des rivières, au bord de l'eau, effleurent avec leurs pieds l'herbe humide et la rosée, mais ne se baignent pas, ne peuvent pas se baigner dans la rivière, car l'eau les alourdirait, et les trois Grâces ne peuvent pas être alourdies. Elles doivent impérativement rester légères et aériennes. Il est possible de faire de la nymphe une Grâce, impossible de faire de la Grâce une baigneuse. Je parle ici de la Grâce de la mythologie: on peut évidemment imaginer une mortelle gracieuse, une baigneuse pleine de grâce gagnant la rivière, et pénétrant dans l'eau pour s'y baigner. Dans mes poèmes, je me permets seulement de dire que l'une des trois Grâces est tentée par la baignade, je ne m'aventure pas plus loin sur ce chapitre! Elle est tentée par la baignade, elle jette parfois des regards du côté de la rivière, mais elle ne quitte pas la ronde des trois Grâces! On sait que Diane est à la base une déesse dite "chasseresse". Le thème de la chasse est donc présent dans ce poème, et concourt lui aussi à la légèreté du poème, car ce que chasse réellement le poète, ce ne sont pas des créatures, mais bien des moments éphémères de repos, de plaisir et de baignade, des moments légers et aériens dans les feuillages, suspendus dans l'eau claire des bassins. Quant à Diane, elle s'est civilisée, elle ne chasse plus les animaux, elle préfère lancer l'épervier sur le reflet de la pleine lune... Diane reste une sage femme (ou déesse) à ses heures... Les eaux printanières sont aussi les eaux primordiales et premières de la création du monde et de la renaissance du monde. Elles annoncent les naissances dans la nature, les nichées, les couvées et les portées, portées musicales et poétiques inclues. Vous aurez compris que la baigneuse me permet surtout de composer un véritable poème de la nature, de peindre un tableau de la liberté, de l'insouciance et de la joie dans la nature. Diane demeure néanmoins l'incarnation d'une certaine sagesse liée au monde sauvage, liée au retrait dans la nature et dans les montagnes, lieux où les vérités peuvent être exprimées librement, loin de la corruption des villes et des soucis de la vie en société, loin des réalités sociales illusoires et trompeuses, loin "des affaires illusoires de ce monde" pour reprendre la terminologie des grands poètes chinois que je relis actuellement.

Ecrire des poèmes profonds et aériens, c'est toujours un défi, même lorsque le poème est assez court! J'imagine que le défi est encore plus grand quand le poème est long...

En effet, 2500 vers, c'est long, et la première partie du poème forme un gros bloc de vers! Les strophes permettent d'aérer les poèmes, insèrent un silence, un repos, entre chaque strophe. Là, il n'est pas question de strophes, le poème est continu. Quand on écrit des poèmes aussi longs en usant du vers libre classique, l'alexandrin a tendance à redevenir clairement le vers dominant, comme lorsqu'on écrit des strophes. Le travail consiste donc pour moi, lors de mes relectures, lors du travail de peaufinage des passages et de finalisation des vers, à réintroduire des octosyllabes dans le poème, car c'est l'octosyllabe qui est vecteur de légèreté, de rapidité et de fluidité, tandis que l'alexandrin (comme la rime riche d'ailleurs) tend à être vecteur de solidité et de stabilité. Je me relis beaucoup. Le poème s'est allongé, non seulement parce que le sujet m'inspire et que je me laisse porter, mais aussi parce que ce travail d'allègement des passages et des vers concourt à la croissance même du poème. Il s'agit pour moi de desserrer, si je puis dire, certains étaux, certains passages, certaines images et certaines idées. Je dévide une pelote, je tire un fil, et c'est ce que font les nymphes aussi: elles dévident la pelote de la source, et c'est cela qui crée le ruisseau dans la nature. 

Ecrire ce poème, c'est un échauffement pour vous!

Vous faites référence à mon recueil de poèmes qui sera consacré aux baigneuses, et vous avez raison. Recueil où les baigneuses me servent un peu d'alibis pour chanter la mer, les rivières et les lacs, la belle saison et les différents moments de la journée. En écrivant ce poème consacré à Diane, j'éprouve l'impression de faire des gammes, de m'offrir une échappée belle loin des fables dans un autre recueil de poèmes, même si ce poème sera en fait inclus dans mon recueil des fables car il énonce en passant certaines idées qui ont leur place dans le recueil de fables.  

J'aimerais que vous nous parliez du travail lié à la rime. Utilisez-vous beaucoup le dictionnaire des rimes?        Faites-vous attention au choix des sonorités pour les rimes? Faire rimer "arbre" et "marbre", est-ce que cela vous pose un problème? Tenez-vous un tableau de bord des rimes déjà utilisées dans le poème afin que certaines sonorités ne soient pas trop récurrentes et dominatrices?

Je ne tiens aucun tableau de bord, et quand on écrit un poème aussi long, on a tendance à oublier en fait des passages que l'on redécouvre quand on les relit. Je suis seulement guidé par la qualité du vers et par le rythme, la fluidité du passage, par la qualité et la fluidité de l'enchaînement des vers. J'utilise le dictionnaire des rimes quand je suis face à "un trou", si je puis dire, car il faut bien comprendre une chose: le mot peut créer le vers comme le vers peut aspirer le mot. Il m'arrive d'écrire des vers dont le but est surtout de placer un mot précis dans le poème, pas forcément pour la rime d'ailleurs. J'utilise le dictionnaire des rimes pour les sonorités où le choix est raisonnable et réduit. Quand j'ai affaire à une sonorité où il existe une grande quantité de mots, j'ignore le dictionnaire, les bras me tombent, j'attends que la solution se présente naturellement à moi. Il est bon cependant de consulter régulièrement le dictionnaire des rimes, car on peut y trouver des mots qui ne viennent pas naturellement à l'esprit, des mots qui peuvent être très utiles pour les poèmes et passages qu'on écrit, des mots qui peuvent ouvrir des portes et/ou débloquer des situations. 

Il est une sonorité dominante dans la langue française, la sonorité en "é": té, ter, lé, gée, ié... Il arrive parfois qu'on se retrouve avec trop de rimes voisines les unes à côté des autres ou les unes à la suite des autres, ce qui alourdit bien sûr le poème. Quand c'est le cas, j'allonge la sauce, j'introduis des vers entre, j'intercale des vers avec des rimes et des sonorités très différentes, je sépare nettement dans le poème ces vers aux sonorités trop voisines. Contrairement à Paul Valéry, qui avait tort sur ce point précis, faire rimer "arbre" et "marbre" ne me pose aucun problème esthétique. Je considère que cela fait partie des figures obligées ou imposées par la langue. Cela fait partie à mes yeux des exercices obligés. Si vous n'êtes pas capable de faire quelque chose d'intéressant avec "arbre" et "marbre", c'est que vous n'êtes pas très doué à la base pour la poésie. Le défi consiste justement à être bon, spirituel, original et léger, là où cela semble être  difficile. Mais on peut aussi faire rimer "marbre" avec "délabre" ou "arbre" avec "sabre". On ne peut pas sabrer les branches d'un arbre, mais on peut admirer un temple qui se délabre ou qui ne se délabre plus... Victor Hugo a fait rimer "ombre" et "sombre" des dizaines, voire des centaines de fois! Je pense qu'il serait intéressant de publier une anthologie, non pas de poèmes, mais de passages rimés, de bouts rimés, où seraient privilégiés les vers faisant rimer des paires comme "arbre" et "marbre", "nymphe" et "lymphe", "exemple" et "temple", "grimpe" et "guimpe"... Ce serait très intéressant, ce serait une anthologie de choix pour tous les fins gourmets! Elle ravirait probablement les dieux de l'Olympe!     

Le choix des sonorités des rimes est un luxe quand on écrit des longs poèmes rimés. Cela concerne surtout les poèmes courts, les sonnets, les ballades et les rondeaux... Quand on écrit des poèmes longs rimés, la trame générale, le rythme et la musique tendent à dicter le choix des sonorités. Le poète peut bien sûr, de temps en temps, choisir sciemment une sonorité précise, mais il préférera influer sur d'autres aspects de la prosodie et de la versification. Le poète doit faire confiance de manière générale à son instinct, à la langue, au rythme et au génie de l'inspiration première.  

Dans le cas du vers libre classique, ce qui compte surtout c'est l'alternance irrégulière des rimes suivies, croisées et embrassées, et l'alternance irrégulière des vers de différente longueur. S'agissant des rimes, ce qui compte, c'est l'alternance régulière des rimes masculines et féminines, et ce qui préoccupe le poète, c'est surtout la fréquence de retour de la sonorité, soit le nombre de vers exhibant ladite rime ou sonorité: deux, trois, quatre ou cinq vers. Il en est ainsi car c'est là une liberté importante, obligée, fondamentale, essentielle, offerte par le vers libre classique par rapport au vers régulier ou par rapport au vers libre moderne. Si la rime revient 5 fois, ce qui est possible, le passage tendra en général à éviter les rimes suivies. 5 fois la même rime d'affilée, c'est un peu lourd, cela doit servir un but très précis. Ce qui est intéressant avec le vers libre classique, surtout lorsqu'on écrit un long poème, c'est qu'on peut inventer, enchaîner un grand nombre de combinaisons. La Fontaine fait parfois usage des rimes embrassées étalées sur 5 vers plutôt que sur 4 vers, comme c'est normalement l'usage, notamment dans les sonnets.

Je crois savoir que vous avez commencé à disséquer un peu les fables de La Fontaine, à remplir vos tableaux consacrés à la versification des fables de La Fontaine... Quels premiers enseignements tirez-vous de ce travail?

Ce qui m'a le plus frappé, et ce pour mon plus grand plaisir, c'est l'importance que La Fontaine accorde aux rimes pour l'oeil. On ne s'en rend pas bien compte quand on lit les fables, mais La Fontaine essaie en général de faire rimer des mots et des sonorités offrant au regard la même orthographe. Je fais moi-même très attention aux rimes pour l'oeil, et quand un alexandrin est beaucoup plus long que les autres sur le papier, cela me gêne un peu! La Fontaine, il me semble, essaie aussi de privilégier les rimes riches et les rimes suffisantes quand il le peut, mais sans en faire une religion. Cela dit, je ne tiens pas le compte précis, pour l'instant, des rimes riches, suffisantes et pauvres... C'est donc juste une impression visuelle. On pouvait s'y attendre, mais c'est confirmé par les statistiques du premier recueil: les rimes croisées occupent la plus haute marche du podium devant les rimes suivies. Les rimes embrassées sont les moins utilisées, mais leur quantité reste néanmoins conséquente et honorable. Les dialogues sont très importants, mais les vers dialogués restent assez peu nombreux en moyenne. On trouve en moyenne deux ou trois portions dialoguées par fable, et les portions dialoguées contenant de réelles répliques, plusieurs répliques, ne sont pas plus nombreuses que les portions dialoguées correspondant à un bref ou long monologue d'un personnage. Il est cependant quelques fables, minoritaires donc, où les dialogues tiennent le haut du pavé et structurent la fable, mais dans l'ensemble la fondation du poème est toujours apportée par la narration. Il est aussi quelques fables, deux ou trois par livre de fables, qui ne contiennent aucun dialogue, aucune parole ou exclamation des personnages. 

Dans les vers dialogués, comme dans les vers narratifs, l'alexandrin tend à être dominant. En revanche, dans les moralités, l'alexandrin et l'octosyllabe tendent à faire jeu égal. Les fables contenant une moralité sont plus nombreuses que les fables se satisfaisant d'une chute, et les moralités situées à la fin de la fable sont plus nombreuses que celles situées au début de la fable. La Fontaine aime bien aussi les fables divisées en trois parties, c'est-à-dire contenant quelques vers d'introduction et une moralité finale encadrant la narration placée au centre. Ce sont là les premiers gros enseignements que je tire de ce travail en cours de réalisation. Je décortique actuellement le livre 8 des fables. C'est mon premier travail le matin avant de me pencher sur Diane: décortiquer deux ou trois fables de La Fontaine! Cela dépend des jours et de la longueur des fables!

J'aimerais lire un extrait de L'épervier de Diane!

Ce désir suffit à lui seul à montrer que vous êtes une femme supérieurement fine et intelligente! Une femme d'élite! Oui, je publierai bientôt sur mon blog, à la suite de cet entretien, les 250 premiers vers du poème! Les désirs des nymphes sont des ordres! Quand on se prénomme Delphine ou Corinne, on connaît forcément les petites montagnes entourant Tivoli, le magnifique ravin de Tivoli et ses prodigieuses chutes!