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Sur la versification des fables de La Fontaine

J'aurais bien aimé lire un second extrait de L'épervier de Diane, mais ce sera pour une autre fois, j'imagine!

Je pensais publier au printemps un second large extrait de L'Epervier de Diane, mais je ne l'ai pas fait, car cela fait maintenant cinq mois que j'ai laissé au repos ce poème pour concentrer mon attention sur la finition des fables du Tome 3. Il y avait aussi un certain nombre de fables que je voulais écrire depuis longtemps en vue de leur insertion éventuelle dans ce Tome 3. Ma conscience m'a forcé à laisser de côté les poèmes des quatre saisons et L'Epervier de Diane. Et pour vous dire la vérité, je pense que j'ai fait un léger "burn out" au mois d'avril. J'ai écrit tellement de rondeaux l'automne dernier et tellement de poèmes "japonais", de tankas, cet hiver, j'ai atteint mentalement un point de saturation et de rupture au printemps dernier, dont j'essaie aujourd'hui de me remettre doucement en ne dispersant pas mon esprit aux quatre vents. Depuis cinq mois, je me repose donc: je travaille seulement mes fables et je limite mes lectures à un seul ouvrage à la fois. Je m'interdis tout autre travail poétique. Je me contente de prendre des notes à côté de cela. Passer sans arrêt du coq à l'âne et du renard au lion, d'une forme poétique à l'autre, d'un genre poétique à l'autre, d'un poème à l'autre, c'est usant à la longue pour le cerveau. J'accepte cette situation sans broncher. Dès que ce travail de finition des fables du Tome 3 sera terminé, je pourrai me concentrer à plein temps sur l'achèvement de L'Epervier de Diane. J'ai profité cependant de la situation: elle m'a permis de célébrer l'anniversaire de la naissance de La Fontaine en publiant quelques fables sur ce blog, fables dont nous pourrions parler aujourd'hui, mais ce n'est pas le sujet du jour.

Nous allons parler aujourd'hui de la versification des fables de La Fontaine comme promis dans un précédent billet, mais avant cela nous évoquerons rapidement le quatre centième anniversaire de la naissance de La Fontaine si vous le voulez bien. Il n'est pas besoin ici de répéter des lieux communs, je serai donc direct: courent-ils encore aujourd'hui, quatre cents ans après sa naissance, un certain nombre d'idées reçues, fausses, sur Jean de La Fontaine?

Oui, certainement. Deux me viennent assez spontanément à l'esprit. La première idée reçue, c'est celle affirmant que La Fontaine serait un écrivain populaire. C'est faux. Si cela était vrai, le grand public connaîtrait mieux son recueil de fables, ses autres poèmes, et, surtout, aurait conscience que la fable est un genre universel et un genre pour adultes plutôt qu'un genre pour enfants. Or, ce n'est pas du tout le cas. La naïveté et l'arrogance prévalent toujours s'agissant de ce point crucial, fondamental. Par ailleurs, un poète populaire, cela n'existe pas à notre époque, cela ne peut pas exister, l'époque est trop pourrie, trop perverse et trop obscurantiste pour cela. Et les rappeurs et autres petits poètes à la gomme de Los Angeles que la propagande médiatique essaie de nous vendre comme tels ne sont pas des poètes populaires non plus, et ce pour une raison très simple: ce ne sont pas des poètes, ce sont au mieux des mauvais poètes (je suis poli, je me retiens, d'autres qualificatifs me viennent à l'esprit), ce sont surtout des produits de consommation et des leviers de propagande idéologique, raciale et politique.

Je ne m'étendrai pas là-dessus. 

La deuxième grande idée reçue concerne la couverture du corpus ésopique.

On croit communément que La Fontaine a mis en vers des fables d'Esope. 

C'est vrai, mais son recueil ne recouvre en fait qu'un gros tiers du corpus. La Fontaine n'a réécrit en tout et pour tout qu'une petite centaine de fables ésopiques (environ 95) alors que le corpus en compte près de 273. Si vous tenez à bien connaître les fables d'Esope, et plus généralement les fables anciennes, la lecture de La Fontaine n'y suffira pas: vous devrez lire directement Esope, mais aussi Babrius, Phèdre et consorts. 

La Fontaine a dit par ailleurs qu'il avait choisi les meilleures fables d'Esope. C'est faux à mon avis: il a choisi des bonnes fables d'Esope, celles qui l'inspiraient le plus et qu'il avait le plus envie de réécrire. Celles qui illustraient des points qui lui paraissaient centraux. 

Il a laissé de côté un grand nombre de fables d'Esope qui sont aussi bonnes que celles qu'il a choisies. En revanche, s'agissant de Phèdre, je crois en effet qu'il a choisi les meilleures fables, mais les meilleures fables animalières seulement: il a délaissé un certain nombre de très jolies fables où les personnages sont des humains ou des dieux. 

Hercule et Plutus, Démétrius et Ménandre, Les arbres choisis par les dieux, pour n'en citer que trois, toutes ces fables sont excellentes et auraient pu avoir, elles aussi, toute leur place dans son recueil. 

Ce dernier point me touche particulièrement car une fois terminée l'écriture de ce

premier recueil de fables, je publierai une édition complète des fables de Phèdre comprenant toutes les fables de Phèdre écrites par La Fontaine, mais aussi toutes les autres... réécrites par mes soins. Je respecterai bien sûr la table des fables de Phèdre telle que nous la connaissons, et ajouterai peut-être un livre sixième de fables latines généralement attribuées à Phèdre pour obtenir un chiffre rond: les six livres de fables auxquels nous sommes désormais habitués. Je projette aussi d'écrire les fables de Socrate. Cela fait 2500 ans que l'humanité éclairée rêve de lire les fables de Socrate...

Je vais lui faire ce cadeau! Ces deux projets me tiennent très à coeur.

Ce sont deux projets poétiques très intéressants en effet!

Pour ce qui est des fables de Socrate, il s'agirait d'écrire un livre de fables, soit une trentaine de fables d'Esope mises en vers par Socrate, puisque Socrate a passé une trentaine de jours en prison avant le jour fatidique où il lui fallut avaler la fameuse ciguë. En terme quantitatif, ce n'est donc pas un gros projet, il s'agit juste d'écrire une trentaine de fables, mais c'en est un en terme qualitatif: je devrai respecter la personnalité et le caractère, les goûts et la pensée de Socrate, tels que nous les donnent à voir Platon et Xénophon pour l'essentiel. Nous ne possédons pas beaucoup d'informations sur cette affaire des fables de Socrate. On sait que Socrate n'était pas poète à la base, et qu'il ne chérissait pas non plus l'écriture. On sait seulement qu'il attendit la mort, qu'il divertit ses jours en prison en mettant en vers une ou plusieurs fables d'Esope. On ne sait rien d'autre! Si ces fables ont réellement été écrites, elles ont visiblement disparu. Soit les disciples de Socrate les ont détruites ne les jugeant pas très bonnes, soit l'histoire n'a pas été tendre avec elles. Platon n'en parle pas beaucoup, ce qui est assez étonnant. Si Socrate avait réellement laissé un petit choix de fables, il me semble que Platon en parlerait beaucoup plus et ferait référence à certaines de ces fables de Socrate dans ses dialogues. 

J'admettrai deux points en écrivant les fables de Socrate: Socrate écrivit à peu près une fable par jour, et son choix de fables avait une vocation philosophique et testamentaire.

Il me faudra donc choisir dans le corpus ésopique des fables illustrant les idées et certaines marottes de Socrate, mais aussi quelques fables montrant un Socrate soucieux de s'amuser, d'égayer ses derniers jours et ses disciples, ses compagnons de cellule, un Socrate donnant libre cours à sa fantaisie du jour, du moment.

J'organiserai ce choix de fables de manière géographique: on commencera par des fables

montagneuses situées sur le mont Hymette, puis on rejoindra la cité d'Athènes en passant par le mont Lycabette, en suivant le cours de l'Ilissos jusqu'à l'île aux Grenouilles du marais de Phalère. Après une incursion dans la ville d'Athènes, dans les quartiers d'Athènes, dans l'agora d'Athènes, au pied de l'Acropole, le Céphise entraînera le lecteur vers le port du Pirée et la mer. 

Pour ce qui est des fables de Phèdre, La fontaine en a réécrit 46 sur les 91 que comporte le recueil de Phèdre divisé en cinq livres! Soit juste la moitié! Ce qui m'a donné l'idée d'écrire l'autre moitié et de finir le travail! Il est clair que certaines fables de Phèdre que j'écrirai pour cette édition seront aussi incluses dans mes recueils et vice-versa. 

Pareillement, le livre (supposément traduit du grec ancien) des fables de Socrate sera inclus in fine dans le troisième recueil de fables, mais je l'écrirai longtemps avant ce recueil. Il sera l'avant-dernier livre du troisième et dernier recueil, donc l'avant-dernier livre de mes fables. Je pense qu'il sera écrit en vers libre moderne. Je mènerai de front ces deux projets. Peut-être que je publierai ensemble ces fables de Socrate et les fables de Phèdre. Nous en reparlerons le moment venu. Dans quelques années!

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Un trait dominant de La Fontaine dont on ne parle pas assez selon vous?

La Fontaine fut certainement de tous les grands écrivains du Grand Siècle le plus libre et le plus subversif. C'est ce qui fait sa grandeur. On parle toujours du "Bonhomme", et il est clair que La Fontaine fut en effet un Philinte plutôt qu'un Alceste... Il fut néanmoins l'écrivain le plus subversif et le plus courageux de son temps. Molière fut subversif lui aussi, mais Molière ne s'est jamais réellement mêlé de politique dans ses pièces. Il s'est seulement attaqué à des groupes de personnes, à certains traits de caractère précis, tout en bénéficiant de la protection du roi. Il ne s'est pas mêlé de philosophie politique et de justice sociale à proprement dit, ce qu'un fabuliste digne de ce nom est en revanche obligé de faire, et ce que fit La Fontaine avec des lions, des loups et des renards. 

Les auteurs tragiques sont restés eux aussi assez timides et discrets sur les questions politiques, se contentant souvent de mettre en scène des souverains antiques. Tout ce joli monde, ce vrai joli monde (quel beau contraste avec le vilain monde de Los Angeles!), était pensionné. La Fontaine s'est mêlé de politique dans ses fables, a fait le portrait de son époque dans ses fables, le portrait de la monarchie absolue dans ses fables, et c'est justement parce qu'il était un "Bonhomme", ou un homme avisé qui connaissait sa vulnérabilité et qui jouait au "Bonhomme", que le pouvoir royal l'a laissé tranquille, l'a maintenu poliment à l'écart. Ni faveurs, ni persécution.

Je suis certain que Louis Quatorze avait parfaitement conscience de tout cela... et qu'en secret, il lisait La Fontaine, dont Molière devait lui dire le plus grand bien en privé.

La Fontaine a été aussi le poète le plus éclectique de son siècle, ce qui est une autre grande qualité. Ses pairs font penser à côté de lui à des spécialistes au registre limité.

Il a pratiqué plusieurs genres poétiques, il a canonisé le vers libre classique dont il est le maître et le héraut, sans négliger pour autant le vers régulier réservé aux "grands genres": comédie, tragédie, satire, épître et élégie.

Quel est le secret de ses fables?

Je connais les ingrédients et la recette. La formule? Je ne sais pas! J'utilise à vrai dire les mêmes ingrédients et la même recette que La Fontaine. Mais nous restons deux hommes différents appartenant chacun à deux époques très, très différentes.

Nous sommes donc deux cuisiniers différents... Nous avons chacun notre style. 

Les ingrédients sont assez simples, ce sont essentiellement des fables anciennes, grecques ou latines. Mais pas seulement: La Fontaine explora en plus la fable indienne. J'explorerai de mon côté la fable moderne, la fable européenne du Siècle des Lumières. Je ne m'intéresse pas trop à Pilpay pour le moment. Mais je ne crois pas que je le négligerai. Je réécris des fables de Marie de France. Il me plaît d'ailleurs à penser que Marie de France fut Eschyle, La Fontaine Sophocle... Je vous laisse deviner la suite! 

La recette est assez simple: il faut cuisiner, accommoder cette fable ancienne (ou moderne, ou toute trame de sa propre invention) avec un vers assez souple et léger, donc un vers libre de préférence, en introduisant des dialogues vifs, pertinents et légers, et en faisant un usage régulier du "Je" sur le ton de la camaraderie et de la confidence.

La vivacité est apportée par la brièveté, par les courts dialogues, par les vers mêlés, mais aussi par l'alternance des temps: temps présent, passé simple et imparfait sont mêlés comme les vers. L'imparfait est le temps de la narration, de la présentation des personnages, de la mise en place du décor, tandis que le temps présent tend à être celui de l'action proprement dite. Le passé simple est un temps précieux, une sorte de temps intermédiaire entre la pompe de l'imparfait et l'immédiateté du temps présent.  

Il suffit de lire La cigale et la fourmi et Le corbeau et le renard pour s'en rendre compte. 

Telle est la recette fondamentale.

Il n'est pas besoin ici de parler de brièveté ou de moralité, choses qui vont de soi.

J'applique la même recette que La Fontaine. Recette que ses successeurs directs du Siècle des Lumières n'ont pas forcément reprise et appliquée d'ailleurs, je tiens à le dire. Je pense notamment à la présence du Je confidentiel où l'auteur prend la main pour faire entendre son sentiment personnel et insuffler à sa fable le ton amical et familier de l'épître. Cela confère à ses fables un caractère chaleureux dont sont souvent dépourvues les fables de ses prédécesseurs et successeurs.

Venons-en maintenant à notre thème spécifique du jour: la versification des fables de La Fontaine. Vous avez décortiqué les fables de La Fontaine l'année dernière.

Comme je l'ai dit dans un précédent billet de blog, il serait intéressant de mener une grande étude quantitative des fables de La Fontaine, et, plus largement, des fables, contes et poèmes de La Fontaine pour les comparer entre eux. Il serait intéressant dans un premier temps de comparer les fables de La Fontaine aux contes et poèmes écrits en vers libre, et, dans un second temps, de comparer les fables de La Fontaine avec les fables d'un certain nombre de fabulistes du Siècle des Lumières qui écrivirent eux aussi leurs fables en utilisant le vers libre classique. Tout cela afin de dégager les traits dominants, marquants et originaux de la versification des fables. C'est là un vaste projet qui pourrait occuper un universitaire. Ce n'est pas à moi de mener à bien un projet si vaste et si ambitieux. 

Je tenais cependant, pour ma propre gouverne, à posséder d'emblée les chiffres clés concernant les fables de La Fontaine, j'ai donc décortiqué l'année dernière ses fables. Cette étude n'est pas complète, pas complètement achevée: je n'ai pas encore rempli les colonnes consacrées aux rimes riches, pauvres et suffisantes car c'est là un travail assez minutieux et assez fastidieux, et il est certainement d'autres données qui pourraient être recueillies en plus de celles sur lesquelles j'ai concentré mon effort. 

Cette modeste étude m'a permis de recueillir les informations fondamentales que je désirais connaître. Il s'agirait maintenant de faire le même travail avec les contes afin de pouvoir comparer ses contes et ses fables.

Les résultats obtenus, vous ont-ils surpris?

Non, pas vraiment. Dans l'ensemble, cette rapide étude quantitative de la versification des fables de La Fontaine m'a permis de vérifier un certain nombre de choses que tout connaisseur de La Fontaine pouvait soupçonner. Je peux vous citer d'emblée les fables types de La Fontaine: les fables types du premier recueil, les fables types du second recueil (incluant le livre 12), et les fables types de l'ensemble du recueil. Quand je parle de "fables types", je parle des fables qui sont proches de la fable type (qui reste une fable imaginaire et purement mathématique). La fable type de l'ensemble du recueil est bien sûr obtenue en faisant la moyenne des deux recueils. Il est bien sûr dans le premier recueil quelques fables qui ressemblent à la fable type du second recueil et dans le second recueil quelques fables qui ressemblent à la fable type du premier recueil.

Fables types premier recueil

Le renard et la cigogne 

Conseil tenu par les rats 

Le corbeau voulant imiter l'aigle 

Le berger et la mer 

Le coq et la mouche 

Le singe et le chat 

L'araignée et l'hirondelle 

La lionne et l'ourse

L'aigle et la pie

Le renard, les mouches et le hérisson

 

Fables types second recueil

L'aigle, la laie et la chatte 

La grenouille et le rat

L'ingratitude et l'injustice des hommes

Le chat, la belette et le petit lapin 

Démocrite et les Abdéritains 

Le marchand, le gentilhomme, le pâtre et le fils de roi

Les dieux voulant instruire un fils de Jupiter

Le loup et le renard 

La querelle des chiens et des chats 

 


Fables types du recueil dans son ensemble

Les frelons et les mouches à miel 

Le lion et le moucheron 

L'oeil du maître

La cour du lion 

Le loup, le lion et le renard 

Le rat et l'huître 

Le loup et les bergers 

Le chat et les deux moineaux 

La chauve-souris, le buisson et les deux canards

Il est assez cocasse de trouver L'oeil du maître dans la troisième liste! Passons aux détails!

Je vous livre en vrac les résultats majeurs:  

La fable du second recueil est plus longue que la fable du premier recueil. Elle comporte en moyenne 17 vers de plus. La fable du premier recueil comporte en moyenne 30,7 vers, la fable du second recueil 48 vers. La longueur moyenne d'une fable de La Fontaine, c'est donc en gros 39 vers.

Alors que dans le premier recueil, l'alexandrin dépasse l'octosyllabe d'une courte tête (3 vers de plus en moyenne par fable seulement), dans le second recueil, l'alexandrin dépasse l'octosyllabe d'une dizaine de vers par fable en moyenne. Le second recueil est donc un recueil où l'alexandrin tend à prévaloir plus fortement que dans le premier recueil. Décasyllabes et autres vers restent employés à la marge dans les deux recueils, et sont clairement marginalisés dans le second recueil puisque la longueur des fables augmente tandis que leur nombre n'augmente quasiment pas (il augmente légèrement pour le décasyllabe et décline pour les autres vers).

Les moralités séparées sont plus présentes dans le second recueil que dans le premier. Dans les deux recueils, les moralités placées à la fin de la fable sont beaucoup plus nombreuses que celles placées au début. Les moralités sont plus longues dans le second recueil que dans le premier recueil, plus longues de 4 vers en moyenne, correspondant quasiment à l'ajout d'un quatrain. 3,3 vers, soit une petite strophe pour le premier recueil, et 7,3 vers, soit quasiment deux strophes, deux quatrains, pour le second recueil. La moyenne s'établissant autour de 5,3 vers, soit un gros quatrain pour l'ensemble du recueil.

L'alexandrin domine nettement dans les moralités du second recueil, ce qui n'est pas le cas dans les moralités du premier recueil où l'octosyllabe domine très légèrement. 

On compte en tout dans le recueil 155 moralités séparées et 86 chutes.

Les vers dialogués sont plus nombreux (en moyenne par rapport aux vers narratifs) dans les fables du premier recueil que dans les fables du second recueil.

Le second recueil est donc un recueil où La Fontaine a donné la primauté à la narration et à la réflexion (aussi à l'épanchement du Je, je pense, mais je n'ai pas séparé et quantifié ces trois entités différentes du discours non dialogué) sur le dialogue, mouvement qui va de pair avec un plus grand usage de l'alexandrin.

Dans les vers dialogués, l'alexandrin reste dominant par rapport à l'octosyllabe comme dans les vers narratifs. Cela vaut pour les deux recueils, la proportion d'alexandrins augmentant légèrement dans le second recueil (3 vers de plus en moyenne par fable au lieu d'un seul vers de plus dans le premier recueil). Il faudrait ici faire une distinction nette entre dialogues et monologues, ce que je n'ai pas fait. Par dialogues, j'entends en fait les paroles des personnages qu'il y ait monologue ou un vrai dialogue avec répliques. Je n'ai pas fait les moyennes s'agissant des "sections dialoguées", mais la moyenne doit se situer autour de deux ou trois sections dialoguées par fable. 

Les rimes croisées sont dominantes dans le premier recueil, les rimes suivies dominantes (d'un souffle) dans le second recueil. Les rimes embrassées sont les moins employées dans les deux recueils, mais leur nombre reste conséquent. On peut noter un certain équilibre en ce domaine. C'est ici que je veux émettre une réserve quant à l'exactitude de mes chiffres: il est parfois des vers qu'on peut classer aussi bien en vers croisés qu'en vers embrassés. Je ne crois pas avoir été consistant dans ma manière de les ranger dans une colonne ou dans l'autre. Dans tous les cas, cela concerne un petit nombre de vers;  cela reste un détail qui n'est pas de nature à modifier de façon conséquente les chiffres et les conclusions.  

En résumé, le premier recueil est clairement plus primesautier que le second avec une

plus grande part faite au dialogue, à l'octosyllabe et aux rimes croisées. Mais aussi aux chutes, même si les moralités séparées (placées au début ou à la fin, ou au début et à la fin) dominent dans le premier recueil comme dans le second recueil.

Le second recueil voit donc La Fontaine rapprocher sensiblement la fable des trois grands genres traditionnels que sont l'épître, l'élégie et la satire (genres où la domination du vers régulier, via l'alexandrin et les rimes plates, suivies, est absolue), mais sans se départir pour autant du vers libre classique qui constitue la base (et la basse?) fondamentale de l'identité poétique et formelle de ses fables.

Cela est vérifié notamment par la plus grande longueur, très nette, des fables du second recueil, et par la moindre importance accordée au dialogue dans le second recueil.   

Tels sont les enseignements majeurs que l'on peut retirer de cette courte étude.

Je n'ai pas étudié les rimes riches, pauvres et suffisantes, mais je pense qu'il doit exister là aussi un relatif équilibre entre ces trois rimes, comme il en existe un entre rimes croisées, suivies et embrassées.

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Versification des fables de La Fontaine.
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Maintenant que vous connaissez ces chiffres et résultats, informent-ils votre propre travail de poète et fabuliste?

Non, pas vraiment. En tout cas, pas au début de l'écriture de la fable. C'est seulement en phase de correction et de finition que je fais un peu attention, non pas à ces chiffres et données, mais disons aux proportions. Il s'agit en général d'introduire, soit des vers courts, soit des rimes croisées ou embrassées afin que les rimes suivies ne soient pas dominantes ou trop dominantes dans les passages où elles semblent l'être. Il s'agit souvent de briser des séquences de rimes suivies qui sont trop longues à mon goût.

Je n'opère aucun comptage précis dans tous les cas. Je reste guidé par la fluidité et le rythme. Je fais clairement confiance à mon instinct. Chaque fable est différente à cet égard. Il n'y a pas de règle absolue. Je ne me force jamais, par exemple, à introduire un dialogue supplémentaire. Le nombre de dialogues, de sections dialoguées dans une fable s'impose de lui-même. La longueur du dialogue ou du monologue aussi. Pareil pour les moralités: rien n'est écrit à l'avance. Je ne sais pas en commençant l'écriture de ma fable comment elle se terminera. C'est en cours de route que se dégage peu à peu la structure de fable. Il y a en gros trois structures possibles, trois types de fables: la fable d'un seul tenant sans discours ou moralité séparé, la fable avec un discours ou une moralité séparé (au début ou à la fin), et la fable avec un discours et une moralité séparés encadrant la narration, l'intrigue. 

L'écriture de chaque fable constitue une aventure nouvelle. Pour reprendre la métaphore culinaire, disons que le fabuliste improvise à chaque fois une nouvelle fable, prépare à chaque fois un gâteau original, légèrement différent des autres, bien que les ingrédients et la recette demeurent toujours sensiblement les mêmes.