Pris entre les griffes par les serres de l'aigle!
Il est loin le temps où Zeus fit monter au ciel
L'agneau: le berger Ganymède.
Moins visionnaire et moins léonin que Daniel,
Etranger au doute comme au péché véniel,
C'était en matière de prince une pointure!
On disait de lui que l'amour de la nature
Le rendait noble et véritablement princier.
Le jeune prince penché sur une onde pure
Ne vit rien fondre sur son reflet aspergé
D'eau claire! Sur son beau visage de berger.
Enlevé à la terre, installé dans l'Olympe,
Mélangé aux divinités de la plus simple
Des façons, il devint dans le moelleux séjour
Nuageux une eau fraîche allégeant un vin lourd.
Ce prince plaisait de profil comme de face!
C'est pour cela que Zeus en fit son échanson!
Il est bon que parmi les dieux un ange passe.
Eros disait de Ganymède: "Ce garçon,
Sa présence arrête les zéphyrs qui le frôlent!
Quand Hélios l'admire, Phébus trie les rayons!
En oublie sa lyre, ses pinceaux, ses crayons!"
Hébé dut céder le premier rôle
Car le boire reste primordial chez les dieux.
Elle sert l'ambroisie (l'entremets) de son mieux.
Elle sert l'ambroisie qui n'est pas de la soupe!
Tous deux forment un joli couple.
Ganymède devint l'échanson attitré
De l'Olympe où il se plut à rester cloîtré.
Le prince Ganymède verse dans les coupes
Le nectar.
Le lion, lui, fit cet affreux cauchemar:
Zeus avait fondu dans la brume,
Dans le gras double de la brume: le brouillard.
Cela puait le loup, la fouine, le tocard.
Le sol était jonché de plumes.
Les aigles étaient désorientés et perdus.
Des vautours dont les cous étaient ridés et nus
(Ils n'étaient donc pas des gypaètes barbus)
Jugèrent le moment venu...
Je ne sais pas si l'on peut rire ou rugir jaune
Dans un rêve, mais si c'est bien
Le cas, le lion, lui, n'en fit rien.
Les vautours placèrent ensuite sur le trône
Un nouveau roi des dieux!
Un virtuose de la poudre aux yeux!
Une chétive créature!
Ils visèrent dans sa pâture
Un berger au teint frais, un bel adolescent
Ambitieux aux airs inoffensifs, innocents,
Pouvant aisément séduire et tromper son monde
Avec son beau visage et sa belle faconde.
Il avait tout, sauf la cervelle de l'emploi:
Les vautours en firent logiquement un roi.
Un prince prêt à tout, dépourvu de scrupules,
Instrumentalisant, pervertissant, blessant
La morale, comme font toutes les crapules.
Un prince gonflé d'air, et ballonné de vents,
Circulant partout dans un nuage d'encens,
N'ayant en réalité qu'une seule idole:
Le dieu Plutus! Qu'un modèle: le dieu Eole.
Un prince incapable de tenir sa parole.
Bref, un faux Ganymède devint Jupiter!
Faux Jupiter s'entend! Devint une ombre
Jetée en pleine lumière hors de sa pénombre...
Une aberration profonde dans l'univers...
Au lion, le cauchemar paraissait ubuesque,
Le fruit de l'imagination d'un écrivain!
Tellement il était pathétique et burlesque,
Et tragique, le lion continua néanmoins
De dormir pour en voir la fin!
Ce que n'aurait pu faire âme chevaleresque!
Il surgit toujours dans les cauchemars parfaits
Et dantesques un élément curieux, surfait:
Une scène imprévue, immonde,
Portant le grotesque à son comble,
Qui force le réveil, sinon notre respect.
Une saynète qui fait l'effet d'une bombe!
Le lion se réveilla en sursaut, en sueur,
Au moment où un singe fit un doigt d'honneur
Aux léopards, aux éléphants et aux girafes!
Le cauchemar commit là une grosse gaffe!
Celle qui permet enfin de s'en dégager!
Le lion se réveilla troublé... Mais soulagé
D'avoir échappé à l'abominable rêve...
Ne l'oublions jamais: parfois ce qui relève
Du domaine des songes doit porter conseil!
Ce qui n'est que simulacre dans le sommeil
Constitue une réalité indéniable
Sévissant en plein jour, horrifiant le soleil.
Forçant les endormis debout au grand réveil.
La précieuse moralité de cette fable,
Je la médite parfois au fond d'un vallon:
Il vaut mieux être un vrai fils d'Apollon
Qu'un faux Jupiter manipulé par les serres
De petites mains étrangères.