A l’intérieur de son dédale
Le renard avait une faim de loup,
Laquelle commençait à le rendre un peu fou.
"Pourquoi ne pas croquer cette cigale?
Mon estomac
Lui fera de ce pas
Une succulente pierre tombale."
Le renard lève le museau, le bout du nez,
Et utilise un vieux stratagème
Eculé (qu'il affectionne? qu'il aime?)
Dont il est le maître. (Je suis très étonné
Qu'on puisse encore le croire efficace!
N'est-ce pas prendre pour idiots
Les hommes et les animaux?)
Est-ce là routine? Est-ce là audace?
Il est vrai que la cigale boit en chantant!
Elle chante en buvant! Il n'est jamais prudent
De faire deux choses à la fois... en même temps...
La cigale peut réaliser ce prodige
Sans forcer! Sans souffrir en aucune façon!
Sans que n'en pâtissent le chant ou la boisson...
Sans qu'il soit besoin qu'un effort elle s'inflige!
"Madame cigale, j’aimerais tant vous voir!
Le chant n'est pas seul à orner votre personne.
Le ruisseau vous inspire du matin au soir:
Pures et limpides vos ailes qui frissonnent
Et qui désaltèrent les yeux! La gorge en plus!
Vingt-cinq degrés Celsius font la joie de Phébus!
Lâchez votre suçoir! Délaissez votre branche!
Il est temps de récolter couronne et honneurs!
Que vos ailes ma soif étanchent!
Venez me rafraîchir et faire mon bonheur."
Elle n'est pas tombée de la dernière pluie:
"Toi, en revanche, tu m'ennuies!
Tu me barbes avec tes flatteries!
J’ai déjà vu dans une crotte de renard...
Des élytres! Allez-vous frotter aux busards!
Variez un peu vos stratagèmes!
Attaquez vos semblables; avec eux,
Livrez-vous à vos tristes jeux.
Mais bonne fille un peu bohème,
Je veux conclure ce poème
En accédant à la seconde moitié
De votre requête, car j’ai un peu pitié!"
Et, en effet, presque en toute amitié,
Le renard vit s’envoler du feuillage
Une feuille au parcours un peu volage,
Une feuille volante au trajet vertical
En hélice, légèrement horizontal:
Une feuille choisie par la méridionale
Musicienne, où il put lire à côté
De la signature quelque peu crottée
La belle dédicace torchée par l'été:
"A Maître Renard que j’embrasse,
Ces quelques mots! Si vous avez du goût,
Une fine oreille et, quand il faut, du bagout,
Je possède, moi, une mémoire vivace.
Le malheur d’une sœur a laissé une trace
Dans mon cœur: je suis savante avant tout.
Votre éloge me laisse de marbre et de glace!
Ce lointain souvenir me fortifie toujours
Et me tient à l'abri de tous vos mauvais tours!"