En dépit de l’étiage révélant
Un lit défait, le mois de mars perdure,
Persévère dans l’eau fraîche, mais cette fois
On peut nager nue ou en petite tenue…
La robe a été taillée sur mesure…
Elle porte une robe légère de choix…
Elle est portée par une caresse de choix...
Elle fait tout pour qu’on reste sans voix…
Elle abandonne le légendaire qui-vive…
Elle sera le clou de la rétrospective…
Avec la dérive sublime du radeau
Passant sous les ombelles des sureaux!
Sans autre robe et tenue d’Eve que leur flot,
C’est l’apogée du printemps dans sa tête…
Les arbres lui rendent hommage avec
Leurs branches basses, leurs courbettes…
Quoi de plus valeureux qu’une petite fleur?
Une baigneuse venant de vaincre sa peur!
Les Muses débarquent sur le pré, sur la rive,
Et avant même que je ne les chante et décrive
Elles font entendre leurs voix.
Elles ne me laissent pas dans l’expectative
Et ne se sentent aucunement à l’étroit:
Comme si j'étais de la flotte, elles infusent
En moi pour me rendre délectable et joyeux,
Ancien et moderne, classique, vertueux!
Souvent romantique, parfois moyenâgeux!
Elles baignent en moi, lascives et diffusent,
Et se jettent de l'eau au visage! S'amusent!
Dès que je lève vers elles le petit doigt
(L'oraculaire?), elles débarquent pile poil
Où elles sont sollicitées...
Elles croisent sans doute en chemin Prométhée
Montant au ciel… Dans la foulée, cela fait sens,
Les Grâces ont la sagacité, la présence
D'esprit d'apparaître à leur tour, de profiter
De l'aubaine...
Portées par les dernières gouttes de rosée
Matinale s'évaporant du pré fleuri,
Elles dansent et leur ronde me fait songer,
Fait extraordinaire, à une embarcation
Légère qui aurait enfin dompté les flots!
Elles aussi sont sûrement des midinettes
Dans l'âme car, à l'imitation des abeilles,
On les voit rarement dehors avant midi!
Il faut pour cela un soleil qui bondit
Très haut, très tôt, dans le ciel!
Un soleil tombé du lit!
Un soleil vif, entier.
Un appât primesautier.
Un soleil salmonidé, truite!
Un astre fruitier,
Une étoile instruite!
Un soleil bénitier.
Elles ont la suffisance
D'esprit (à travers leurs tissus)
De pointer leurs seins menus
Est ouest auxquels répondent les sabots fendus
Des chevrettes! Elles ne l'oublient pas, la danse...
La plus haute réjouissance!
Et pourtant Dieu
Sait si devant la sereine beauté du lieu,
Elles pourraient! Sont-elles en transe?
Comme l'agneau se désaltérant au ruisseau,
Elles sont surtout sans défense…
Elles sont oublieuses du pinceau…
Elles dansent et leurs rondes sont des volutes…
On ne les voit jamais démentes et hirsutes…
C’est bien l’apogée du printemps:
Les viornes et les obiers se renvoient des hymnes,
Les boules de neige fleurissent sur les ruines;
Les bourdonnements
Semblent ligoter les arbres
Et emmailloter les arbustes…
Les grandes oreilles vertes du bord de l’eau
Poussent aux notes du flûteau…
Recueillent à bas ouverts les samares…
La fringale de pollen n’est pas rare…
Le chien se fait plus renifleur que jamais…
La fringale de nectar reste plus commune,
La plus répandue sous la lune!
On dirait trois bourgeons,
Trois pousses, quatre faons…
Elles dansent
En cadence
Prolongement du frai!
Elles dansent surtout en mai.
Le mois le plus abouti, le mieux fait,
Le mois à leur image…
Le mois à leur avantage…
Celui qui semble être parfait
En tous points. Elles dont l'absence
Constituerait une carence
Dont les Muses feraient les frais.
Elles sont la preuve que le printemps exulte
Et le culte qu'on leur doit est certain. Tumulte
Des bacchantes aux cheveux dénoués! Penchant
Des Grâces pour les chignons et les tresses!
Pour les cheveux noués qui ne cessent
D'accompagner leurs mouvements...
On ne les voit jamais, démentes et hirsutes,
S'agiter, se contorsionner au pied des chutes,
Tendant leurs bras vers l’eau brutale, l’eau abrupte.
L’eau parfumée à l’angélique du ruisseau
S’écoule vers la rivière parfumée au
Chèvrefeuille…
Et si les baigneuses et les nymphes on peut
Confondre quand toutes nagent la brasse
Ou allongent dans la prairie des corps pulpeux,
On ne peut confondre trois Grâces
Et neuf Muses! Les Grâces sont
Beaucoup moins couvertes. Elles portent
Le chiton court et sont versées par l'échanson
Car les chants des neuf Muses les transportent.
Mai leur va comme un onguent…
Elles portent le chiton court comme Diane
Et ses amies. Les nymphes ne condamnent
Leur penchant pour les tissus légers où le vent
Pris au piège n'est jamais gêné dans sa fuite
En avant!
Le temps, hélas, passe encore plus vite
Au printemps...
On pense à un ouragan…
Le vent lui-même se désespère souvent
De le voir passer si vite…
D’en être pénétré si brièvement…
S’éclipsent en été les Grâces souriantes…
Les nymphes ne sont que leurs variantes…
Aquatiques. C’est le printemps: les Grâces font
Des apparitions sporadiques
Selon que les Muses soient là ou non.
Flore, lutinée par les zéphyrs, pique
Légèrement du nez, mais ne leur dit pas non.
L’emplacement du soleil charmé d’Apollon,
Les danses des Grâces indiquent…
L’amour vole plus léger que le papillon…
La nymphe, elle doit réaliser le passage
De témoin
Entre celles qui dansent et celles qui nagent…
Une sage mise au point
Entre toutes celles qui ornent les rivages…
Les nymphes délaissent leurs ouvrages en mai
Et prennent le relais des Grâces début juin.
Les mortelles qui se reluquent
Prendront à leur tour (au solstice) le relais.
On ne verra plus des Grâces les belles nuques
Dégagées! J'aurai de l'herbe jusqu'aux mollets!
Des fleurs jusqu'aux cuisses! Ivresses et fétuques!
Marguerites! Les Grâces s'en vont en juillet…
Elles défont leurs danses
Quand les fenaisons commencent…
Les foins dorés, ce sont les cymbales de trop…
L’assèchement du ruisseau a le dernier mot…
Elles disparaissent bientôt
Avec rondes et couronnes
Dans les sous-bois ombreux.
Elles dansent parfois encore un peu
Sur les îlots de graviers qui somnolent…
En aval des confluences
Des ruisseaux forestiers.
Puis s’endorment dans la nuit noire
De leur armoire forestière.
N’est pas laissée sur le carreau
La grâce, sauf si l'étiage est sévère…
Le radeau de fortune ronge son frein,
Echoue, meurt parfois de chagrin
Quand il n’éponge plus la rivière…
Apparaissent dans l’eau
Les créneaux d’une forteresse…
Les Muses se consolent tout là-haut
Dans les forêts des montagnes
Avec les amies de Diane…
Les baigneuses entrent en lice et tout le jeu
Consiste à faire oublier les trois Grâces…
Elles y arrivent… Ainsi l’été se passe…
La truite tourne grassouillette en ces hauts lieux…
Les nymphes traversent les ronces…
Les tignasses des ruisseaux et des prés…
Les haies, les échauffourées des lisières…
Ressortent du roncier sans une égratignure…
Comme auréolées des hunes de leurs navires…
Elles ont beau se surpasser dans la rivière
Leurs cheveux descendent les fleuves…
Les baigneuses flânent au bord de la rivière,
Rêvent de poèmes qui leur seraient dédiés.
Se déposent sur les radiers
Comme la loutre (ou la nièce de la meunière!).
Le vice et la vertu se tiennent par la main
Et randonnent tout l’été vers des lendemains
Qui chantent!
Le vice et la vertu cherchent un antre...
Comme si l’obscurité pouvait être chantre
De leur union bien plus que le vaste soleil.
Je vous laisserai glisser entre…
Je ne vous laisserai pas poiroter au seuil!
J’ai disposé dans les bois des fauteuils
Cosy, des banquettes moisies,
Des méridiennes garnies,
Des indiscrets, des écureuils,
Des confidents et des chevreuils,
Des souches confortables et pourries;
Des chamois, des fauteuils crapauds
Et des bergères cramoisies
Bourrées de xylophages! Asseyez-vous-y
Sans façons et sans artifices!
Et n'oubliez jamais que parmi tous nos vices,
Il en est un original et plus patient
Que les autres; plus (ou moins) innocent
Que les autres; un spécifique, propre à l’homme…
On l'a sucé au paradis avec le lait!
C’est l’ennui! L’ennui qui assomme.
L’âge d’or l’enchante! Le paradis lui plaît!
Les glands tombaient
Des chênes tels des métronomes.
Le miel ténébreux coulait
Des sapins sans forcer,
En dilettante…
Il croisait la sève montante…
Il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser…
Mais Adam et Eve, eux, ne savaient pas quoi faire.
Ils tournaient en rond comme des léopards en
Cage, ils ruminaient et fulminaient tout le temps,
Sauf que leurs cages étaient de belles clairières…
Les trois Grâces n’étaient pas là pour les distraire…
Orphée, lui, jouait de la lyre et souriait…
Remuait les pierres, faisait taire les chutes…
Le soleil recouvrait leurs petites cahutes
De mèches rebelles ensoleillées. Brillait.
Orphée jubilait,
Buvait du petit lait…
Le lièvre estomaqué priait
L’arc-en-ciel pour que la dorure…
Il arrivait que les arbres s’arrachassent
Du sol de leur propre faîte, et marchassent
Sur la tête et bientôt titubent…
Il arrivait que frênes et tilleuls trébuchent
Sur les racines des chênes énamourés.
Les animaux surgissaient de leurs fourrés
Et de leurs tanières pour l’entourer…
Il n’était pas question de chutes…
De morales à retenir…
Orphée jouait et proclamait l’âge à venir
Des bergers et des flûtes…
On l'a sucé au paradis avec le lait!
C'est l'ennui! N'oubliez jamais
Que nos précepteurs à pelage des forêts,
Que zéphyrs et oiseaux, eux, jamais ne s'ennuient
Dans l’éther ou dans le désert; jamais ne fuient
Les profondes solitudes de leur pays.
Partout, couchés dans leurs fourrés, dans leurs taillis,
Les animaux songent, et, surtout, réfléchissent,
Se demandent comment peut bien naître l'ennui!
Chose bancale et mystérieuse pour les biches
Et les chevreuils! Au paradis, premiers admis!
Les animaux sont nos amis!
Ils contribuent à la beauté, à la sagesse
Du monde, plus que les largesses
Des grands hommes: les poètes éclairés.
Les animaux recherchent les ruisseaux bohèmes,
Les mots fourbus et malmenés
Recherchent les poèmes
Où se baigner, désaltérer.
Modernité de l'eau croupissante qui coule
Avec difficulté: description du gâchis
Dans le meilleur des cas! (à l'écart des chichis!)
C'est du moins ce que le critique eau nette dit...
Voici ce que dit le fabuliste à la foule:
Post modernité de la clarté qui déboule
Sur le tapis vert fissuré
Du billard forestier! Penché!