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L'Epervier de Diane 3

Il y a longtemps que je ne vous avais vu et posé des questions, nous nous retrouvons enfin aujourd'hui pour parler de poésie. Je n'irai pas par quatre chemins: où en êtes-vous de l'écriture de votre poème consacré à la déesse Diane?

J'ai terminé les trois premières parties de ce long poème qui sera composé de neuf parties dans sa version longue et d'un abrégé de ces trois premières parties dans sa version courte, celle qui sera incluse dans le Tome 3 des Fables du Lavoir. Elles sont quasiment achevées, il s'agit juste maintenant de les relire à tête calme et reposée pour modifier ici et là quelques vers. Plus un poème est long, plus le poète doit se faire architecte. Or, dans le cas de ce poème, cette architecture se dévoile lentement, elle ne se donne pas du premier coup. Elle participe un peu elle-même au strip-tease, à l'effeuillage des nymphes au bord des bassins. Cela prend donc du temps d'écrire ce poème, de concevoir, d'agencer et d'achever ses différentes parties. Cela prend du temps de les trouver au bord du bassin, posées sur de la mousse. Je vais publier cette année le Tome 3 des Fables du Lavoir (le Tome 3 du premier recueil) et les trois premières parties de la version longue de l'Epervier de Diane. Je me dirige donc vers un poème assez long, d'un millier de pages environ, si je prends comme base de calcul la police 14 que j'utilise pour écrire. Ou plutôt pour composer, pour agencer, pour retoucher, pour peaufiner. Je me dirige vers un poème composé de neuf parties ou neuf chants, qui sera divisé en trois tomes pour sa première édition. Il va sans dire qu'à terme ces trois tomes (et neuf parties) ne formeront qu'un seul livre, mais étant donné la multiplicité de mes projets et travaux et le temps que prend l'écriture d'un tel poème respectant un certain nombre de contraintes de versification, je suis obligé de publier au fil de l'eau. Ce premier tome, ou volume, contient Diane et les Muses, Diane et la chasse, et Diane et Plaisir-Fontaine. La version courte du poème sera constituée d'un choix de passages puisés dans ce premier volume, sera donc un abrégé des trois premières parties de la version longue.

Je vais devoir sélectionner à l'intérieur de chacune de ces trois parties les passages méritant le plus de figurer à l'intérieur d'un recueil de fables, ceux relatifs aux thèmes de la vertu et du plaisir, et ceux relatifs aux relations que Diane entretient avec la pratique de la chasse et les animaux sauvages. Je pensais au début que la partie consacrée au thème de l'amour serait incluse au début du poème, mais je préfère désormais la placer au centre du poème. Je ne veux pas attaquer ce poème avec le thème de l'amour, je ne veux pas donner le sentiment que l'amour, que la crainte de l'amour, est la source de tous les comportements de la déesse. 

Les trois parties du tome 2 seront très probablement La toilette matinale de Diane, Diane et l'amour, et Quatre heures dans la montagne. Une toilette matinale solitaire et une baignade collective dans le bassin d'un torrent de montagne dominant la mer encadreront le thème de l'amour. Je songe ici à un torrent corse ou sarde. Pour ce qui est du dernier tome, je me dirige vers une partie consacrée à Rome et au Latium et une partie consacrée au ravin du Puits Noir. Je ne sais pas encore si la partie consacrée à Tivoli sera incluse dans la partie consacrée à Rome et au Latium, en constituera le centre, ou constituera une partie indépendante. Je vais essayer d'équilibrer ces trois tomes, faire en sorte que le tome 2 et le tome 3 soient à peu près aussi longs et aussi riches que le tome 1. Les parties peuvent, quant à elles, varier un peu en longueur. Dans ce premier tome, Diane et les Muses, cela fait environ 150 pages, Diane et la chasse 100 pages, et Diane et Plaisir-Fontaine 90 pages. Je pense avoir à peu près épuisé mes notes, sinon ma matière, pour Diane et les Muses et pour Diane et Plaisir-Fontaine. En revanche, s'agissant de Diane et la chasse, je possède encore pléthore de notes, beaucoup de choses à insérer dans la suite du poème. Quand je parle de Diane et la chasse, je ne fais pas que référence à la chasseresse cruelle chassant et tuant des animaux ou à une traque de jeunes filles en fleurs, à une traque de chair fraîche. Je fais référence surtout au thème de la course-poursuite qui est principalement celle du narrateur courant (ou plutôt volant, grâce à ses vers ailés) après Diane et son cortège de nymphes. Ce thème du mouvement, de la course et de la course-poursuite est central au poème et irrigue chacune de ses parties. Il est lié au thème de l'air, au thème du vent, de la brise et du souffle d'air. Le zéphyr se permet, peut se permettre avec Diane et les nymphes des choses qui me sont interdites. Le souffle d'air léger est une sorte de médiateur entre le poète, la déesse et les nymphes. Je peux voir certaines choses de loin et parfois de près; le zéphyr, lui, un tantinet décoché par mes soins, peut circuler entre les nymphes, atteindre et toucher ses cibles.

La compagnie des jeunes Italiennes, vous plaît-elle plus que celle des jeunes Françaises ou Anglaises?

Je ne me donnerais pas tant de peine et de plaisir à écrire ce poème si les amies de Diane ressemblaient à des nymphes allemandes du Cranach. Mon sujet m'oblige à fréquenter des nymphes italiennes, c'est ainsi, et je ne le regrette pas. Un poème où je mélangerais des nymphes de nationalités diverses ne ressemblerait à rien. On a affaire à des nymphes italiennes venant de toutes les parties de l'Italie. Toutes les couleurs de cheveux sont représentées dans ce poème. Ce qui peut être problématique dans ce poème, vu l'époque perverse dans laquelle nous vivons, ce n'est pas tant la nationalité des jeunes filles que leur âge. Moi-même, en écrivant ce poème, je ne donne pas d'âge précis, je reste assez flou, je joue sur le côté un peu sulfureux de la chose. Tout ce que l'on sait, c'est que les Muses sont légèrement plus âgées que Diane et que Diane est légèrement plus âgée que ses amies et compagnes. Quant à l'âge de ses compagnes, cela reste assez flou, et j'entretiens volontairement ce flou. Je parle de jeunes filles plutôt que de jeunes femmes. Dans Diane et la chasse, j'aborde le thème de la cueillette, de la cueillette qui est plus innocente et plus sympathique que la chasse, et donc le thème de la cueillette des fruits. Des fruits défendus en l'occurrence. Je n'hésite pas à parler des fruits verts et des fruits mûrs des nymphes, des seins en train de mûrir des nymphes, et ce d'autant plus que mon poème est aussi un poème de la belle saison, avec tout ce que cela implique en terme de maturation des fruits et des choses. Les jeunes filles sont des fleurs qui portent de beaux fruits en devenir, le cortège de Diane constitue donc à sa façon un aimable verger en mouvement. Je le reconnais à ses fruits. Je ne peux pas vous dire grand-chose d'autre. Je n'essaie pas de provoquer les féministes ou d'écrire une éloge de la femme objet ou de la jeune fille objet offerte au regard masculin. Je répète, ces nymphes ne sont des objets que pour le zéphyr et le souffle d'air. Et je n'ai pour modèle stylistique de mes vers que les choses légères et les riens qu'elles portent sur le dos dont le zéphyr fait lui-même partie. Je nomme la plupart des parties du corps féminin dans ce poème, mais je tourne aussi autour du pot si l'on peut dire, je prends le contrepied du célèbre tableau de Courbet. Je pense d'ailleurs que la mode ou la pratique du sexe féminin rasé renvoie peut-être à un désir pédophile inavoué. Les femmes mûres ressemblent ainsi à des petites filles. Il est troublant que personne n'en parle et ne s'en inquiète. Je sais bien qu'on a affaire dès lors à des adultes consentants, mais je m'interroge quand même. Courbet est visiblement passé de mode! Cela dit, tous ceux qui connaissent les tableaux de Courbet et la grotte de Plaisir-Fontaine auront compris que la grotte béante peut être une métaphore du sexe de la déesse. Je n'en dis évidemment rien dans mon poème. La grotte de Plaisir-Fontaine reste avant tout pour moi une bouche d'ombre. En général, soyons honnêtes, les grottes de cette région, les grottes du pays de Courbet, font penser à des sexes féminins plutôt qu'à des bouches d'ombre, et ce pour une raison simple: la source du Lison fait réellement penser à une bouche d'ombre, le caractère anthropomorphique de cette cavité ne laisse pas place au doute. On peut voir distinctement, au-dessus de la grotte, de la bouche déversant le flot, deux yeux et l'arrête du nez d'un visage marmoréen, ciselé dans la pierre par une nature hugolienne inspirée. Ce qui n'est pas le cas pour les autres grottes emblématiques de la région. Il n'y a donc pour moi de bouche d'ombre véritable dans la région que cette grotte de la source du Lison. 

De quelle couleur sont les cheveux de Diane?

Diane a les cheveux châtains comme certaines de ses amies, et peut être confondue de loin avec une de ses amies, ce qui risque fort de sauver ma peau, je pense, dans la quatrième partie du poème lors de la toilette matinale. Je pense en effet que dans La toilette matinale de Diane, le poète confondra la déesse avec une des nymphes aux cheveux châtains. Autant dans Diane et Plaisir-Fontaine, le poète se trouve à quelques pas de Diane délassant son pied meurtri dans l'eau d'un bassin, autant dans La toilette matinale de Diane, le poète se trouvera à distance et la confusion sera donc rendue possible avec une nymphe aux cheveux châtains jouant à la déesse Diane, peut-être d'ailleurs avec l'accord et selon les volontés et désirs de la déesse elle-même. Plus mutine et plus joueuse qu'on ne pourrait croire.  

Avez-vous le sentiment d'écrire un hymne à la déesse?

Oui, très certainement, et même un hymne que les autres dieux pourraient lui envier, mais comparer un poème aussi long et aussi ambitieux aux hymnes homériques qui sont quand même dans l'ensemble des hymnes assez courts, est difficile. Il faudrait plutôt le comparer aux poèmes homériques eux-mêmes, mais la comparaison ne tient pas vraiment non plus car mon poème n'est pas à proprement parler un poème narratif. Il ne se passe rien dans mon poème!

Ce qui ne l'empêche pas de dégager un certain parfum épique, lié au risque que j'encours bien sûr à voir un jour la déesse nue, lié aussi à cette courte-poursuite incessante dont je parlais tout à l'heure. Diane est une forteresse comme Troie, une forteresse qui ne sera pas prise et pas mise à sac. Les campements éphémères de Diane et des nymphes dans les montagnes répondent à leur manière au campement lourd et massif, décennal et militaire, des Grecs sur le rivage troyen. Oui, assez étrangement, on peut trouver des échos de l'Iliade et de l'Odyssée dans ce poème d'apparence légère et licencieuse! Et il y a bien effectivement quelque chose d'héroïque à écrire un tel poème à notre époque. Je ne suis pas ballotté de rivage en rivage à bord d'une coquille de noix au gré du bon plaisir de tonton Neptune, mais ballotté de montagne en montagne (donc de vague en vague aussi) au gré du bon plaisir de sa nièce Diane, qui est la divinité la plus libre et la plus sensuelle du panthéon ancien. Je ne m'attache pas au mât, j'essaie de m'attacher au cortège de la déesse, et je garde mes yeux bien ouverts. Les Sirènes peuvent chanter tant qu'elles veulent, elles ne font pas le poids face au chiton court de la déesse. Le poète ne fait que courir après la déesse et son cortège de nymphes dans l'unique espoir de les voir se baigner, et la déesse et son cortège ne font que voler de montagne en montagne et de bassin de baignade en bassin de baignade, avec la certitude que pour elles cette voltige ne s'arrêtera jamais. Il n'y a pas d'intrigue réelle. On est amené à se poser des questions, règnent certains petits mystères, mais il n'y a pas d'intrigue réelle. Ce poème est un hymne à la déesse, mais aussi et surtout un hymne à la vie libre, sauvage et vertueuse, plus qu'aventureuse, que mène Diane. Rien en effet ne peut lui arriver, mis à part l'honneur ou l'horreur d'être vue entièrement nue par moi, le poète qui lui consacre un hymne dont Vénus peut être jalouse à bon droit (ne nous voilons pas la face sur ce point). Les Muses opèrent dans les parages, Diane est bien informée, elle a conscience de tout cela, elle est secrètement touchée et flattée par le poème en train de s'écrire: je jouis donc d'une certaine mansuétude de sa part. Je dois faire attention cependant à n'en pas abuser.

J'écris aussi un hymne aux coins reculés et perdus, un hymne aux bouts du monde, un hymne aux montagnes, aux torrents, aux cascades, aux feuillages qui ombragent, qui cachent et qui recouvrent, aux bassins de baignade, et aussi, je dois dire, bien sûr, un hymne au désir, à l'érotisme et à la sensualité. Pas à la nudité, mais à la petite tenue, à la tenue légère. Ceux qui n'aiment pas les torrents de montagne, les bassins de baignade, les feuillages et les jeunes filles devront s'abstenir de lire ce poème. 

Diane et son cortège ne font voir et ne font vivre dans ces déserts de verdure qu'elles animent que l'union étroite de la vertu et de la sensualité. Dans ce poème, je suis arrêté dans mon élan par la fraîcheur, la pureté et la vertu que m'opposent Diane et ses amies. Je risque de souiller les choses. Dans le poème consacré à Artémis, je serai arrêté dans mon élan par le lesbianisme assumé et le vice débridé que m'opposeront Artémis et ses copines crétoises. C'est moi qui risquerai plutôt d'être souillé. Il s'agira bien alors de vice débridé. On sera très loin du lesbianisme maternel, policé et civilisé de Sappho. Artémis partira de là, mais dérivera vers autre chose. Artémis aura des choses à se reprocher, à se faire pardonner, aura mauvaise conscience, tandis que Diane, elle, restera irréprochable de bout en bout, telle une incarnation de la vertu romaine immémoriale, celle qu'on attache généralement aux grandes figures de la république romaine, même si les femmes vertueuses ne manquèrent pas sous l'Empire, à l'époque des Auguste et des Néron. Je me fais l'effet d'être un rejeton du bas empire en comparaison. Je conserve une certaine affection pour Messaline, je ne vous le cache pas. N'oubliez pas ce que dit Sade: le vice embellit les femmes. Je ne crois pas qu'il embellisse les hommes. Il en fait plutôt des monstres, des gargouilles de cathédrale.

La vertu a-t-elle encore un sens et un intérêt quand on fait le choix de vivre retiré du monde, quand on vit loin des hommes et des dieux en totale liberté dans les montagnes?

C'est une vaste question philosophique que vous posez là. Une de celles que les sages eux-mêmes abordent assez peu. Il est clair que la vertu de l'ermite vivant seul à l'écart dans la montagne ne sert pas à grand-chose et n'est pas trop mise à l'épreuve. Il est clair que dans les faits, la vertu de la déesse doit être comprise au sens étroit et sexuel du terme. Diane et les nymphes pensent que la virginité vaut de l'or. Diane et les nymphes vivent dans une sorte d'Arcadie et d'âge d'or perpétuels où le seul vice qui guette vraiment est celui de l'oisiveté. Elles se contentent de peu et n'ont besoin de rien. Elles vivent de camaraderie, de fougères et d'eau fraîche. Les caresses des zéphyrs semblent leur suffire. Les dissentions qui peuvent surgir entre elles ne sont en général que des peccadilles pimentant leurs jours. Diane ne chasse plus les animaux, elle ne chasse plus que son seul bon plaisir, que les haltes propices et heureuses, que les heures douces et agréables, que les heures dorées d'un plaisir sans mélange. Les plaisirs sont ceux de la tranquillité de l'âme, de la liberté et de la camaraderie. Ceux de la beauté des lieux qu'elles habitent et traversent sans les déflorer. Elles déflorent à peine les bassins d'eau claire dans lesquels elles se baignent. Ils ont tôt fait de retrouver leur virginité. 

Il existe deux sortes de sages: celui qui vit détaché de la cité et celui qui essaie de soigner la cité. Il y a le sage actif et visible qui mouille la chemise en ville, tel Socrate, et le sage inactif et invisible qui se la coule douce dans les montagnes, tel le sage taoïste d'extrême orient. Par soigner la cité, il faut entendre aussi, surtout à notre époque, soigner la gouvernance perverse de la cité, soigner le gouvernement malade de la cité qui entraîne la cité vers l'acculturation, la folie, la crétinerie, la pauvreté, la violence, la mort, le chaos et les abysses, et cela pour le profit de quelques-uns qui ne sont pas des hommes d'élite, mais aussi et surtout pour le profit d'intérêts étrangers grossiers. 

Diane appartient à la seconde catégorie. Elle est détachée du monde. Apollon, lui, tend à faire le va-et-vient, le yo-yo, à osciller entre ces deux pôles contraires de la sagesse. Cela seul pourrait suffire à expliquer son caractère ombrageux. Il tente de soigner la cité avec les arts et la vérité, avec la prudence que ses oracles font naître dans les esprits, il doit supporter à ses pieds la foule des pèlerins visitant son sanctuaire de Delphes, mais il passe aussi beaucoup de temps dans les solitudes des vallons sauvages, isolés et reculés. Du côté de Tempé et de Sparte notamment. Il est est sombre et taiseux, mais il sait se faire entendre. La Pythie et les bouches d'ombre parlent pour lui. Les poètes décochent ses vérités et ses flèches verbales. Diane, de ce point de vue, est beaucoup plus sereine et rayonnante qu'Apollon. Elle ne voit plus les malheurs, les misères, les vices et les perversions des fugaces et des éphémères. Elle n'est plus confrontée à toute cette indigence. Elle a trouvé un bol d'air pur, un espace de liberté intermédiaire entre le monde d'en bas des hommes et les nuages d'en haut des dieux, ses semblables, et n'entend plus le quitter. Elle ne veut pas que les misérables affaires des hommes viennent perturber, salir et gâcher son monde à elle. Diane n'a pas trop d'état d'âme sur ce point, elle a fait son deuil de la raison et de l'intelligence des hommes. Elle sait bien que les endormis se croient éveillés et que les manipulateurs se croient intelligents. Son message, c'est: démerdez-vous sans moi. Vous ne méritez pas de me voir dans ma tunique blanche immaculée. Mes compagnes ne sont pas faites pour vous. Le regard d'un écureuil a plus de prix à mes yeux que le regard d'un homme. Débrouillez-vous avec Vénus. Tel est son message. Diane a progressé sur le chemin de la vertu au cours des siècles. Elle a notamment embrassé à bras le corps la vertu de compassion, elle a abandonné la chasse, et ses flèches ne sont plus destinées qu'aux pauvres et misérables hères qui ne veulent pas suivre le même chemin qu'elle et qui osent encore venir déranger sa solitude et ses plaisirs avec leurs loisirs grotesques, pervers, barbares, reptiliens. Elle ne croit pas que des bourreaux corrompus et des serfs volontaires méritent sa compassion. Diane n'est pas Boèce. Diane n'est pas une sophiste vertueuse. Son pardon se mérite. J'écrirai un jour les fables de Socrate, soit une traduction française réussie (je l'espère) des fables que Socrate aurait jadis écrites en grec ancien, mais je ne vous le cache pas, à titre personnel, mon modèle est plutôt le sage taoïste d'extrême orient, d'où mon goût affirmé pour la poésie extrême orientale en général. 

Il y a ceux qui chevauchent Pégase, ceux qui chevauchent les dragons ou les troncs des pins tordus, et ceux qui chevauchent les motos des journalistes de France Télévision. 

La souffrance est réelle et les plaisirs sont imaginaires. que pensez-vous de cette assertion?

Je pense qu'elle est fausse. Je pense toutefois que la proposition inverse est encore plus fausse. C'est en ce sens que votre proposition est juste, à la marge donc. Les plaisirs sont à la fois plus nombreux et plus volatiles que les souffrances et les douleurs. Ils sont réels, mais courts, éphémères, tendent à s'enchaîner beaucoup plus vite que les souffrances et les douleurs qui ont, elles, le chic de s'appesantir et de traîner en longueur. Un plaisir a vite fait de chasser l'autre. C'est si vrai qu'un plaisir qui dure ne peut être au fond qu'un délice. La palette des souffrances et des douleurs est beaucoup plus restreinte, plus concentrée. Je vous garantis que du côté de Plaisir-Fontaine, les plaisirs sont bien réels, et ce même quand Diane et les nymphes sont absentes. Voir les bassins où elles se baignent, tourner autour, admirer et approcher leur timide et fragile teinte turquoise, c'est déjà beaucoup, croyez-moi. La baignade constitue vraiment pour elles le summum du plaisir terrestre. Elles s'épuisent à la course dans les airs et se requinquent dans les eaux limpides des bassins, au son des chutes qui les protègent, au son des fracas des cascades qui couvrent leurs voix, leurs appels, leurs cris et leurs éclats de rire. Elles courent et volent beaucoup, ressentent donc souvent le besoin de se rafraîchir, de se débarbouiller le corps des souillures de l'air et de la sueur. Elles s'appesantissent légèrement autour des bassins d'eau pure et d'eau fraîche. Leurs campements, comme les abbayes des moines, sont toujours situés dans des lieux reculés, sauvages et riants où l'on peut aisément trouver matière à baignade.

Je ne suis pas loin de croire que voir ainsi Diane et les nymphes se baigner constitue le plus grand plaisir, le plus beau plaisir, oserais-je dire, que l'existence terrestre puisse offrir. Ce n'est pas pour rien si chez les musulmans, le prophète promet des jolies vierges aux guerriers tués au combat. Je pense souvent à eux en écrivant ce poème. Ce ne sont pas des jolies vierges qu'il faut promettre, mais des jolies baigneuses heureuses et épanouies. 

J'ai prévu plusieurs scènes dans le poème où je serai clairement témoin des baignades, clairement mis en présence de Diane et de son cortège de nymphes faisant trempette. Je reste vague sur les lieux traversés quand le poème est en mouvement et quand j'aborde des thématiques générales comme les Muses, la chasse ou l'amour. En revanche, je situe et décris assez précisément les lieux quand je suis en leur présence ou effectivement témoin d'une baignade. Il y a dans ce poème les mille et une  baignades que je rêve de voir, et les trois, quatre rencontres effectives avec Diane et les nymphes autour des bassins. Ces scènes de baignade, rêvées ou réelles, nécessaires et vitales, qui sont aussi indispensables aux nymphes que le liquide amniotique à l'embryon, ponctuent la course-poursuite, imposent des haltes prolongées, et permettent à tout le monde de souffler un peu. On a donc dans la troisième partie du poème une longue pause dans la reculée de Plaisir-Fontaine connue pour sa remise de chevreuils, reculée où Diane et les nymphes font vaguement trempette, car c'est la fin de l'hiver, car il fait encore frisquet dans les parages. On aura dans la sixième partie du poème une baignade collective des nymphes en présence des Muses. Une scène d'allégresse et de liesse générales. Dans la première partie, je parle de la relation qui existe entre Diane et les Muses, mais je ne suis pas témoin de leur rencontre. Il est judicieux de retarder ce moment, ce plaisir, et donc de placer cette rencontre dans une autre partie du poème. On verra dans le troisième tome Diane et son cortège au fond du ravin de Tivoli, près de la grotte de tonton Neptune, et Diane et Apollon dans le ravin du Puits Noir, près d'Ornans. L'aire géographique de ce poème est donc assez vaste. Diane parcourt toute la botte italienne, toutes les Alpes, descend et remonte les Apennins, mais parcourt aussi la Corse, la Sardaigne, et fréquente les marges du massif jurassien. Dans La Tunique d'Artémis, Artémis, elle, ne sortira pas de sa retraite obscure, de sa forêt arcadienne, refuge de ses vices, de ses défiances et de ses cachotteries. L'espace géographique parcouru sera plus étroit et plus limité. Plus confiné. L'ambiance générale du poème sera plus lourde, plus sombre et plus étouffante. Le poème consacré à Diane égrène tous les moments clefs d'une belle saison. La visite de Plaisir-Fontaine a lieu courant mars, au tout début du printemps, au moment d'une fonte des neiges. La toilette matinale aura lieu à la fin du printemps. La baignade collective dans la montagne en présence des Muses aura lieu en plein milieu de l'été. Tivoli et le ravin de la Brême seront visités à la fin de l'été et au début de l'automne. Le poème parcourt ainsi tout le spectre de la belle saison, comme indiqué plus haut lorsque nous avons abordé le thème de la maturation des fruits. Pour Diane et les nymphes, je vous assure que les plaisirs ne sont pas imaginaires non plus. Elles butinent les montagnes comme les abeilles les fleurs, et l'eau pure est leur nectar. 

Nous parlons de plaisir alors que Diane reste avant tout une figure du désir. Elle suscite et fait naître le désir avant tout car à la fois chaste et très séduisante. Elle est aussi très clairement une figure de la femme inaccessible ou impossible à soumettre. Elle montre aux hommes qu'on peut être court-vêtue et ne pas être une grosse cochonne!

Diane oppose au plaisir sexuel humain (ou divin) qu'elle semble promettre une riche palette de plaisirs tout à fait innocents. Diane prend grand soin toutefois de cacher ses plaisirs innocents. Les plaisirs innocents sont en un sens beaucoup plus légers que les plaisirs coupables, et donc peut-être répréhensibles eux aussi d'une certaine manière. Peut-être que pour les femmes, susciter le désir constitue le plus grand des plaisirs. Le royal plaisir. Diane et les nymphes se passent de ce plaisir que le poète ravive, leur remet en mémoire. L'ambition principale du poète dans ce poème est bien sûr de se rincer les yeux, mais il est aussi et surtout d'être toléré par Diane et ses compagnes. Pour arriver à cela, à ce quasi miracle, il ne peut étaler la violence du désir ou l'éventuelle violence de son propre désir. Il ne peut se faire le chantre de la violence du désir. Il ne peut imiter Jupiter avec Callisto ou Actéon avec Diane. Il doit montrer à la déesse et aux nymphes, via son poème, que son désir est sous contrôle et a été dompté. Je me suis fait la réflexion ces jours-ci, devant un rosier grimpant, que couper des fleurs sèches procure plus de plaisir que couper des fleurs fraîches. C'est le genre de réflexion que la déesse Diane aime entendre dans la bouche d'un poète à n'en pas douter. Le désir irrépressible de possession physique et de viol éventuel qui en résulte est remplacé dans ce poème par le désir d'imitation, de vol (de voltige) et par le désir de contemplation. D'acceptation et de fréquentation régulière.

Le poète se contente d'un rôle de simple témoin et de simple connaissance. Le poète sait bien que pouvoir les fréquenter à sa guise, être admis dans leur campement, constituerait déjà une prouesse, un auguste privilège. L'amour rend poète, disaient les anciens. Je crois que cela est vrai aussi du désir qui, d'une certaine manière, informe autant que la mémoire. Quand j'écris La Coquille de noix, j'assouvis très clairement un désir de navigation en mer. 

Et Hyacinthe dans tout ça?

Hyacinthe sera positionné entre Diane et Artémis, sera un poème charnière qui permettra de passer en douceur de l'aire géographique italienne à l'aire géographique grecque, et ce poème me permettra bien sûr d'évoquer la cité de Sparte, pour laquelle j'éprouve une affection profonde et certaine, notamment du fait de sa localisation géographique et de son ambition autarcique, mais aussi de peindre Apollon. J'ai terminé la partie introductive du poème qui est assez longue. Il me reste à écrire la partie narrative qui sera aussi longue que le poème Adonis de La Fontaine. Je l'ai déjà entamée, mais Diane occupe le principal de mon temps pour le moment. Je suis assez pressé d'y retourner pour ne rien vous cacher, j'aimerais passer mon été franc-comtois dans le Péloponnèse, sur les versants du mont Taygète, avec Apollon et Hyacinthe. Je pense que je publierai dans un premier temps Hyacinthe avec L'Adonis de La Fontaine. Je n'ai rien trouvé de long sur Narcisse mis à part un poème du Moyen-Age qui a été publié avec un Pyrame et Thisbé et un Philomena en collection poche Folio. On fait souvent référence à des personnages mythologiques dans les poèmes des siècles passés, on leur consacre parfois des petits poèmes, mais on ne leur consacre pas véritablement de longs poèmes. Quand les thuriféraires de la poésie moderne veulent se moquer de la poésie d'avant, de la vraie poésie, de la poésie immémoriale et intelligible, ils attaquent en général le vers régulier, l'usage de la rime régulière ou de la rime tout court, et l'antiquaillerie des références mythologiques. Ronsard, qui est un grand poète, qui fut visité par les Muses bien plus que ne le furent jamais un Malherbe ou un Baudelaire, se prête bien à ce type de critiques. Rimbaud, qui fut avant tout un adolescent rebelle et tout le contraire d'un dandy, qui fut aussi et surtout à mi-temps, ne l'oublions pas, un poète satirique (voire satyrique!) d'une grande causticité, s'est adonné à ce penchant facile et puéril des modernes, et s'est moqué de la déesse Vénus, allant jusqu'à évoquer crûment son trou du cul. Vous aurez compris que pour ma part, je ne puis me permettre dans mon poème, dans mon hymne à la déesse Diane, de parler du trou du cul. La vérité est en fait la suivante: les poètes français et européens ont rarement consacré de longs poèmes aux figures mythologiques anciennes. On a le Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau. On a la Galatée de Cervantès, que je n'ai pas lue, et La Fable de Polyphème et Galatée de Gongora, que j'ai lue. C'est tout ce qui me vient spontanément à l'esprit. Viau, Cervantès, Gongora et La Fontaine. L'idéal serait de publier un recueil de trois longs poèmes consacré aux trois jeunes hommes métamorphosés en fleurs. Un Narcisse, un Adonis et un Hyacinthe. On pourrait y associer des métamorphoses de jeunes filles éventuellement. Ovide, avec ses Métamorphoses qui sont surtout un catalogue, une longue suite d'ébauches achevées, nous invite surtout à écrire des poèmes plus longs et plus fouillés.

Vous ne semblez pas pour le moment vous intéresser beaucoup au poème consacré à Artémis.

Ecoutez, afin de ne pas trop nuire à ma réputation, je préfère m'en tenir pour le moment à une déesse vertueuse, à une incarnation de la vertu, plutôt qu'à une déesse cédant à l'ennui, au vice et à ses pulsions. Ce poème sur Artémis m'entraînera vraiment sur un terrain sulfureux, celui d'un lesbianisme assumé et débridé que la déesse tiendra à maintenir caché et secret. Artémis, perdue dans un monde véritablement désert où il n'y a plus rien à chasser, sinon l'ennui, sombrera dans l'oisiveté, puis dans la débauche sexuelle. Ce sera vraiment un poème noir. L'écriture de ce poème n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Je m'en tiens pour le moment à Diane et à Hyacinthe. Je suis obligé aussi de laisser de côté Les Baigneuses. Les Baigneuses, La coquille de noix, Les Rafraîchissements, Les Poèmes du capitaine, Les Poèmes grecs et j'en passe. Je me dis parfois que mes recueils achevés ne seront que la partie émergée d'un iceberg. Il y aura au final les recueils achevés, les recueils entamés inachevés, et les notes, bribes et fragments des recueils non entamés. Je suis un inconditionnel de la symphonie inachevée de Schubert et un adepte des fragments de la malheureuse Sappho. Je m'accommode donc assez bien de cette réalité. Il existe en art un sublime de l'inachevé et un sublime du fragmentaire, auxquels on pourrait adjoindre un sublime de l'annonciation. Dans La Coquille de noix, je passe beaucoup de temps à annoncer de manière grandiloquente et lyrique Les Poèmes du capitaine à venir, poèmes que le capitaine de la coquille de noix en question écrit ou écrirait soi-disant dans sa cabine, poèmes dont je ne sais pas trop si c'est vraiment une bonne idée que de tenter de les écrire pour de bon! J'en ai déjà écrit un certain nombre toutefois. Je verrai bien. 

Dans le poème consacré à Diane, je ne sollicite pas trop les épisodes de la mythologie. Je m'en tiens surtout à l'épisode d'Actéon et à l'évocation de Niobé dont le rocher a été déplacé au bord de la Brême. Je risque fort de convier Hippolyte dans le dernier tome consacré en partie à Rome et au Latium. En revanche, dans le poème consacré à Artémis, la mythologie grecque, les différents épisodes de la mythologie grecque concernant Artémis, donc la biographie même de la déesse, seront très présents. Mon poème consacré à Artémis, qui sera écrit en vers libre moderne, sera donc très différent de celui consacré à Diane, sur la forme comme sur le fond. Le but est de créer un saisissant effet de contraste entre ces deux poèmes, entre ces deux déesses, et cet effet de contraste sera recherché aussi lors de l'écriture des trois poèmes des BaigneusesL'Eponge de mer (baignade en mer du côté des îles grecques), La Ceinture enchantée (baignade en rivière à l'intérieur des terres) et Soleil Tentaculaire (baignade dans les lacs suédois sous les auspices du soleil de minuit). Ce thème des jeunes filles ou jeunes femmes s'ébattant librement dans la nature sauvage, idyllique, me plaît beaucoup, mais j'ai d'autres projets poétiques, je ne peux pas lui sacrifier tous mes autres projets poétiques. Je vais vous faire une confidence, une révélation: il y avait (il y a) parmi mes projets de prose et de romans, un roman érotique, un roman érotique qui devait prendre place dans une série de romans de genre. L'idée était d'écrire, comme Cervantès a écrit un long roman de chevalerie (qui mérite l'appellation de poème), une suite de romans de genre. L'idée était de donner à une seule et même intrigue, à une seule et même série d'événements, une version aventureuse (un roman d'aventure), une version policière (un roman noir), une version érotique (un roman érotique), une version épistolaire (un roman épistolaire), une version courtoise (un roman courtois), une version philosophique (un roman philosophique). 

Une version sentimentale à l'eau de rose?

Et pourquoi pas, Delphine? J'avais prévu ainsi une série de huit romans. Je ne mènerai probablement jamais à bien ce projet littéraire. Je ne suis pas expert en littérature érotique, mais le peu que j'ai lu me semble assez pauvre sur le plan littéraire. La littérature érotique attend toujours son Cervantès et son Marcel Proust. Je ne choisis pas au hasard les noms de ces deux écrivains. Je doute fort que cet homme providentiel sera moi. Nous avons bien sûr Sade, qui est très bon dans son genre, mais je pense à quelque chose de plus doux et de moins philosophique, à quelque chose de plus léger et de plus érotique, à une prose véritablement poétique où la figure paternelle du château, isolé ou non, n'en resterait pas moins prépondérante. Dans cette suite de romans, il s'agirait d'imiter un peu le Faulkner de Tandis que j'agonise. Les points de vue différents et divergents sur une série d'événements donnés ne seraient pas donnés par les témoins, les personnages du roman, mais par les genres romanesques différents employés pour la décrire. Cela n'a jamais été fait dans l'histoire des lettres à ma connaissance. C'est un projet littéraire fabuleux. Je m'en tiendrai à mon projet plus modeste d'être un émule de Valéry Larbaud et de son Barnabooth. J'ai ce qu'il faut dans mes cartons pour cela. Je pourrais m'y atteler demain matin. Quand un homme a de belles idées qu'il ne peut mettre à exécution lui-même, il a le devoir de les partager, d'en faire part au reste du monde afin que ces idées puissent éventuellement essaimer, vivre et fleurir ailleurs, trouver une forme de réalisation et d'aboutissement ailleurs. Sylvain Tesson pourrait être intéressé, lui qui n'ose pas dire ouvertement devant les caméras du monde entier que les sexes masculins en érection sont des dandys plutôt que des rebelles. Utiliser le détour métaphorique des stacks pour dire ces choses-là n'est pas très courageux de sa part. 

Vous êtes sérieux, là?

Très sérieux. Tesson, il me semble, escalade inconsciemment des pénis de pierre. D'un point de vue esthétique, il est certain que le pénis de pierre l'emporte haut la main sur le pénis de chair. Tesson n'a donc pas tout à fait tort. Il est dommage que Tesson n'ait pas consacré un chapitre entier au quartier de l'Estaque à Marseille. Tandis que je gravite autour de vierges farouches, Tesson, lui, gravit des verges hautaines, fièrement dressées à quelques mètres des côtes. Et comme le stack est la figure cachée d'un phallus de granit ou de calcaire, la calanque peut être la figure cachée d'un sexe féminin, voire carrément la figure cachée d'un vagin réalisant son fantasme de lumière et de clarté. D'ailleurs, je suis certain que lors de ses excursions à Cassis, Tesson passe beaucoup plus de temps au fond des calanques qu'au sommet des stacks. Je suis certain qu'il passe la nuit sur le rivage, au fond de la calanque, emmitouflé dans un stack de couchage. Evidemment, si l'on tient à pousser la métaphore jusqu'au bout, jusqu'au fond, on est forcé de conclure qu'il n'y a de sexes masculins véritables en mer que les voiliers qui viennent mouiller au fond des calanques. Les zodiacs boudinés ne sont pas vraiment les bienvenus. N'oubliez pas que pour les Grecs anciens, l'écume des vagues, c'est du sperme. Cela peut paraître grossier comme métaphore au premier abord, mais cela ne l'est pas du tout. C'est au contraire juste, efficace, clinique, opaque, direct et précis. Mais bon, laissons ici ces considérations sexuelles et métaphoriques, passionnantes au demeurant. L'idée serait en fait plutôt de décrire la jeunesse ou la vie d'un homme en usant de ce procédé littéraire, en assignant un genre romanesque ou littéraire différent à chaque période clef de la jeunesse ou de la vie de cet homme. Un genre adapté à la période concernée, il va sans dire. Ce projet est plus réaliste que celui dont je vous ai parlé, et c'est bien cela que j'avais l'intention de faire, mais je ne crois pas que j'en aurai le temps, et peut-être n'en aurais-je pas le talent et l'énergie. Un tel projet littéraire pourrait remplir la vie entière d'un grand écrivain. Il faudrait soit romancer sa propre vie, soit créer son personnage avec soin et lui faire vivre les moments et les événements adéquats se prêtant à l'écriture de tous ces différents romans de genre.

Vous ne parlez pas des baignades en mer. Diane et ses amies les nymphes, ne se baignent-elles jamais dans la mer?

C'est certain, Diane et ses amies, et ce sera encore plus vrai pour Artémis et ses amies qui ont véritablement des choses à cacher, préfèrent l'eau douce à l'eau salée, le bassin d'eau claire du torrent à la crique turquoise débouchant sur l'infini, sur l'infini des paillettes secouées par les vagues comme si la mer remuante était le tamis d'un chercheur d'or. Cela dit, on peut imaginer des baignades en mer de temps à autre, des nuits passées sur des plages désertes, dans des criques rocheuses et secrètes. N'oublions pas qu'Artémis et Apollon sont nés sur la petite île rocheuse, rocailleuse de Délos. Diane est donc familière des îles et des archipels. Il lui faut juste des îles montagneuses couvertes de pins et de végétation. Des îles avec un couvert forestier et des maquis qui embaument. L'île de Crête possède des criques remarquables. Des ravins étroits et secrets de bord de mer aboutissant à des criques minuscules faisant songer à des mouchoirs de poche ou à des peaux de chagrin. Ravins prisés des moines orthodoxes et des néréides, il me semble. Je vous dis cela car les nymphes qui accompagnent Artémis sont crétoises, et Apollon, métamorphosé en dauphin, fut recueilli par des marins crétois avant d'être déposé au pied du mont Parnasse. Les compagnes d'Artémis sont donc des jeunes femmes brunes, des brunettes plutôt que des blondinettes. Je les ai vues perchées sur des tabourets. Leurs chevelures formeront un bon camouflage, leurs chevelures déchaînées se confondront bien avec les ténèbres des chênaies d'Arcadie. Je ne dépeindrai pas des monts chauves. On aura droit aux monts boisés d'antan. On ne sera plus très loin des Bacchanales de Dionysos selon toute vraisemblance. Dans les forêts, il fait nuit à midi, surtout par temps d'orage et surtout en été. 

Je pourrais peut-être imaginer une toilette matinale en mer, mais fait-on vraiment sa toilette avec de l'eau salée quand on est déesse de la lune? L'eau salée, c'est surtout bon pour Thétis, Aphrodite et les néréides. Cela peut être bon aussi pour une nymphe aux cheveux châtains. Je ne sais pas encore, je verrai. Le problème que j'ai avec cette toilette matinale en mer, c'est la pauvreté du feuillage alentour, à moins d'imaginer un étang de bord de mer. Je sais que tout cela existe en Corse et qu'il y a même des tortues dans les étangs. Etant donné le caractère trouble et la triple nature de la déesse, des eaux saumâtres pourraient peut-être lui convenir. Il y a peu de chance en tout cas que j'écrive en parallèle, que je mène de front, que j'alterne l'écriture de L'Epervier de Diane et de La Tunique d'Artémis

L'Epervier de Diane est écrit en vers libre classique comme la plupart de de vos fables. Est-ce vraiment le même vers libre classique qui est utilisé dans  L'Epervier de Diane et dans les fables?

Le vers libre classique de L'Epervier de Diane est en effet assez différent de celui des fables. Il est beaucoup plus libre et beaucoup plus inventif. Les fables sont clairement des poèmes courts et narratifs d'un genre précis, contraignant. Les fioritures doivent rester discrètes et ne pas détourner l'esprit du lecteur de l'intrigue centrale qui doit illustrer la moralité énoncée au début de la fable ou bien accoucher de la moralité finale telle une sage-femme. Je n'ai pas ce type de contraintes avec L'Epervier de Diane. La colonne vertébrale du poème n'est pas une intrigue, mais le désir de voir Diane et les nymphes au bain et de pouvoir les chanter librement. Je ne crains pas même les éventuelles redites et répétitions qui sont surtout à mes yeux des variations sur des thèmes obsessionnels et nécessaires obligés. Quand un vers de onze syllabes dont je suis satisfait coule naturellement de source, je le conserve comme tel, je ne me force pas à atteindre le sacrosaint nombre de douze syllabes pour former un alexandrin. Je le laisse comme tel et je théorise en passant la chose dans le poème. Je n'hésite pas, à l'intérieur même du poème, à aborder des questions de forme et de versification. D'une façon légère et ludique adaptée à l'esprit et à l'esthétique générale du poème. 

Vous théorisez?!

Uniquement dans mes poèmes, dans mes pensées et dans ces billets de blog. Je théorise en passant, en amateur éclairé, sans forcer. Je lâche juste ici et là l'essentiel de ma pensée. Je n'ai pas le temps d'écrire des ouvrages de théorie poétique, d'accumuler des phrases et des arguments, des paragraphes et des chapitres. Je pourrais écrire un épais ouvrage déglinguant, dézinguant toutes les vues des théoriciens de la poésie moderne si je le voulais, mais cela me demanderait trop de travail. Il me faudrait avoir un secrétaire sous la main déblayant le gros du travail pour moi ou écrivant le livre à ma place, livre que je signerais à la fin après l'avoir lu, relu et corrigé. Si j'étais un Malherbe ou un Baudelaire, un poète ne portant en lui qu'un seul recueil de poèmes, je le ferais très certainement, je tomberais volontiers dans ces arguties, dans ces facilités et dans ces délices mondaines et laïques. Je lis actuellement Poésie et Vérité de Goethe, un remarquable récit de ses années de formation et de jeunesse. Goethe exprime assez bien ma pensée sur ce sujet. Il écrit quelque part que la théorie, c'est bon pour ceux qui n'ont pas grand-chose à dire ou qui ont quelque chose à se reprocher. Cela sert à masquer le vide ou l'infirmité. C'est une feuille de vigne. Toute théorie est le signe d'un défaut ou d'un arrêt de la force créatrice. Je suis assez d'accord avec ça. Goethe a aussi écrit: On aime dans la jeune fille ce qu'elle est et dans le jeune homme ce qu'il annonce. Les féministes vous diraient que cette citation constitue une preuve que Goethe vivait dans une société patriarcale qui tend à chosifier les femmes. Elle n'en reste pas moins juste et belle. On voit dans la jeune fille une fleur appelée à faner et dans le jeune homme un arbre appelé à se développer. Que les femmes se rassurent: les jeunes hommes tiennent rarement leurs promesses ou toutes leurs promesses. Beaucoup de jeunes hommes n'annoncent rien. D'autres n'annoncent rien, mais créent la surprise! Aime-t-on dans la petite fille ce qu'elle annonce, soit la jeune fille qu'elle annonce? Cela se pourrait bien.

Il en venait tellement sous ma plume de ces vers de onze syllabes, et de façon si libre et si naturelle, je me suis dit au bout d'un moment qu'il était dommage, qu'il devait être préjudiciable de chasser ainsi le naturel, de chasser autant le naturel. J'ai commencé à y voir un acte sacrilège allant contre les desseins et désirs de la déesse elle-même. J'ai compris aussi que l'alexandrin me ralentissait dans ma course! Les principaux vers utilisés dans ce poème sont donc les vers de douze syllabes, onze syllabes, dix syllabes, huit syllabes, sept syllabes, six syllabes, cinq syllabes, quatre syllabes et trois syllabes. Exceptionnellement peuvent apparaître un vers de treize syllabes ou un vers de deux syllabes. J'ai beaucoup de mal à utiliser le vers de neuf syllabes. Le chiffre neuf est pourtant celui des Muses. J'ai l'impression qu'il y a là comme un interdit, c'est très bizarre comme sentiment et réaction. J'évite donc le vers de neuf syllabes, mais le poème aura probablement neuf parties! Neuf chants pour reprendre la terminologie homérique. Oui, je pense que je devrai employer ce mot qui est quand même plus joli. 

S'agissant de la rime, je crois que vous avez une opinion originale sur le sujet qui vaut un peu révélation! Allez-y! Mettez les pieds dans le plat comme une harpie! Le moment est venu! Nous sommes en 2025! Il est tant de nous réveiller!

Oui, j'ai une opinion originale, très originale, révolutionnaire même! Vous êtes prête, Delphine? Bien accrochée à votre fauteuil d'intervieweuse? Je peux y aller franco? Fermez les yeux et écoutez bien! Je ne crois pas que la rime sclérose les poètes ou les ait sclérosés par le passé. Je crois plutôt que ce sont les poètes qui ont sclérosé la rime et l'usage de la rime en poésie. Vous avez bien entendu cette bombe atomique? Je répète car c'est vraiment une affirmation de ouf, un truc de dingue. Je ne crois pas que la rime sclérose les poètes ou les ait sclérosés par le passé. Je crois plutôt que ce sont les poètes qui ont sclérosé la rime et l'usage de la rime en poésie. Voilà qui décrasse le cerveau! Je crois en effet que la rime est innocente de tous les torts et de tous les vices et autres chapeaux que des chauves et des perruqués (ou perroquets) veulent lui faire porter. Je pense qu'entre la poésie régulière rimée du temps passé et la poésie moderne souvent non rimée, il existe tout un continent de la rime qui n'a pas encore été exploré, continent que le vers libre classique de La Fontaine a le grand mérite de nous faire entrevoir. C'est ce continent que j'essaie en partie d'explorer dans L'Epervier de Diane. Et c'est aussi pourquoi ce poème m'est si cher et mérite tant d'attention et de soins. L'usage que je fais de la rime dans ce poème, l'inventivité que j'essaie de déployer dans la manière d'amener les rimes et d'agencer les sonorités, les effets poétiques qui en résultent, sont, je crois, assez neufs, sinon révolutionnaires. Je ne fais pourtant pas grand-chose, je ne fais qu'assouplir le vers libre classique de La Fontaine. Par ailleurs, il y a vraiment une grande jouissance à faire rimer ensemble des mots ayant une même sonorité et à former ainsi des couples. On l'a oublié.

Le poète éprouve le sentiment d'être un apparieur, un entremetteur, un véritable arrangeur d'unions sacrées. C'est très plaisant comme sensation. On a l'impression de rendre heureux les mots, les mots qui se morfondent dans les phrases qui les forcent au célibat. Les mots n'aiment pas trop la solitude. Les mots n'attendent en fait que cela: passer devant l'autel avec tel ou tel compère. Les mots sont polygames, vous l'aurez compris. Mais fidèles aussi. Ils passent et repassent devant l'autel, se marient plusieurs fois avec le même compère tellement le mariage fonctionne bien! Tellement ils ont envie de banqueter et de faire la fête! Ils renouvellent ainsi leurs voeux de poème en poème. Arbre et marbre s'aiment vraiment à la folie. Tant d'amour qui dure, c'est vraiment beau, incroyable, cela mérite le respect. J'innove, je renouvelle, mais il y a cependant une chose avec laquelle je ne transige pas: l'alternance régulière des rimes masculines et féminines. Je ne supporte pas le chaos visuel que crée l'anarchie en ce domaine. On n'a plus alors des nymphes sous les yeux, mais bien des harpies! Faire rimer ensemble une rime masculine et une rime féminine me semble être le comble du mauvais goût. On ne peut faire cela que si l'une des deux rimes est placée à l'intérieur du vers. Nous parlons ici d'un poème où les vers se suivent, sans strophes. On pourrait aussi imaginer un long poème où le poète enchaînerait des strophes rimées très différentes les unes des autres, mélangerait les vieux schémas strophiques d'antan et des strophes nouvelles de son invention. Mais là aussi, je crains un peu le chaos visuel qui en résulterait. Le chaos visuel serait bien plus réel que la cacophonie auditive. 

Pourquoi Niobé est-elle présente dans ce poème? Pour Actéon, on comprend aisément, mais Niobé?

Il me plaît de greffer des éléments de la mythologie ancienne dans les paysages franc-comtois de mes fables et poèmes. Je dis bien greffer. On a affaire véritablement à des greffes, à des greffons, à des opérations de greffage. Il ne s'agit pas de faire vivre des aventures françaises ou franc-comtoises aux dieux anciens. Il s'agit de suggérer leur passage, d'inscrire leur présence temporaire. Je suis encouragé en cela par la présence du val d'Amour qui correspond géographiquement à la basse vallée de la Loue. Le dieu Amour, et donc sa mère, Vénus, sont présents en basse vallée de la Loue. Je saisis la perche que tend le val d'Amour. Ces greffes sont peu nombreuses et très légères. J'ai greffé un duo grec et un duo romain. Zeus et Hermès ont choisi la reculée de Valbois comme lieu de séjour où ils se rendent quelquefois, et de l'autre côté de la Loue, Apollon et Diane ont jeté leur dévolu sur la reculée de Plaisir-Fontaine et sur le ravin de la Brême. Diane occupe Plaisir-Fontaine et Apollon le ravin de la Brême, le ravin du Puits Noir. Diane rencontre parfois Apollon dans le ravin de la Brême, ce sera la scène finale, je pense, de L'Epervier de Diane, à moins que la partie consacrée à Tivoli n'ait finalement ma préférence comme conclusion italienne du poème. Le rocher de Niobé a été déplacé par Apollon et Diane, il se trouve désormais au lieu-dit La Couille aux Chèvres (nom véridique désignant un pré humide, je pense), à l'entrée amont du ravin du Puits Noir. Diane et Apollon ont pris Niobé en pitié et ont voulu lui offrir un asile plus riant et plus champêtre que les environs de Smyrne. Ce rocher existe bien, m'a toujours beaucoup plu, a été peint par Courbet, je pense, dans son tableau Le Ruisseau de la Brême qui peut être vu à Besançon. Je voulais lui conférer une identité forte et marquée, inattendue et mémorable. Il était nu et blanc dans ma jeunesse comme sur le tableau de Courbet. Trente années l'ont recouvert d'une verdoyante végétation. Il est maintenant recouvert de mousse et ombragé par un arbre. Il est posé au bord du ruisseau et trempe bien dans l'eau. Le pré est parfois piétiné par des vaches, ce qui le rend bien plus fangeux que les larmes de Niobé qui ont cessé de couler. La grotte Couturier, au bord de la Loue, est la grotte où je situe les amours nocturnes de Séléné la lune et du berger Endymion. Pour finir, j'ai créé un personnage mythologique grec de toutes pièces, présent lui aussi dans les parages, détenteur de nombreux secrets et détenteur des fables de Socrate, détenteurs surtout de la traduction française des fables de Socrate, Culotthée, fils d'Hermès et de la nymphe Castalie, certes, mais surtout éduqué à Delphes par Apollon, Culotthée qui fera son apparition dans le second recueil de fables. C'est tout. Vous voyez, c'est très léger comme présences divines et mythologiques anciennes. Je donne de brefs coups de pinceau. On est dans l'évocation rapide et légère. Faire plus me ferait sombrer dans la lourdeur et dans le kitsch. Il est à noter que dans le long poème consacré aux nymphes tisserandes qui sera inclus dans le Tome 4 des Fables du Lavoir, Adam et Eve ont été métamorphosés en rochers par les dieux anciens qui ont eu pitié d'eux après la chute. Ces deux rochers existent bien eux aussi, on peut les voir, ils baignent aujourd'hui au fond du creux Billard, à quelques pas d'une grotte secrète et cachée qui forme l'entrée dérobée du vaste appartement souterrain des nymphes tisserandes. Bref, Adam et Eve se trouvent à deux pas de la source du Lison, donc à deux pas de la bouche d'ombre. 

Vous y songez beaucoup aux fables de Socrate?

Une fois paru le troisième tome du premier recueil de fables, je m'attaquerai à l'achèvement du quatrième et dernier tome de ce premier recueil de fables. J'ai prévu trois recueils de fables en tout, et mon idée est de placer les fables de Socrate en avant dernier livre de mon troisième et dernier recueil. Vous aurez compris que si je respecte ma vision des choses, mon ambition, mon projet, je n'écrirai pas ces fables avant une, voire deux ou trois décennies. Voire jamais. J'ai donc décidé de travailler sur le livre de fables consacré aux fables de Socrate plus tôt que prévu, c'est-à-dire parallèlement à l'achèvement du premier recueil. Donc bientôt, donc dans les années à venir. Je travaillerai aux fables de Socrate, mais aussi à la réécriture d'un certain nombre de fables de Phèdre qui prendront place dans les tomes 1 et 2 du premier recueil de fables. J'écrirai également plus tôt que prévu Le Choucas fraudeur, cette longue fable que je veux écrire en vers libre moderne, tirée, inspirée d'une fable ésopique ancienne, Le choucas et les oiseaux, qui est devenue chez La Fontaine Le geai paré des plumes du paon. Cette fable, d'après mes plans, doit s'insérer elle aussi dans le troisième et dernier recueil. Or, je ne veux pas trop retarder non plus le moment de son écriture. Ce sont là deux projets poétiques qui me tiennent très à coeur. Je ne voudrais pas passer le restant de mes jours à les repousser aux calendes.

Et vos poèmes des quatre saisons?

J'ai déménagé récemment, il y aura bientôt deux ans. Ce déménagement et le changement d'existence qu'il a produit ont quelque peu perturbé ma vie intérieure et ma tranquillité d'esprit, tant et si bien que j'ai dû laisser de côté les poèmes des quatre saisons pour le moment. Par ailleurs, je vis désormais du côté du massif jurassien. Or, ces poèmes des quatre saisons sont le fruit de mes années passées dans le sud-ouest de la France, et je tiens à conserver à ce recueil ce caractère de poèmes du sud-ouest de la France. Je m'interdis donc un peu désormais d'écrire de nouveaux poèmes des quatre saisons. Je ne voudrais pas que des poèmes inspirés par le Jura viennent contaminer des poèmes inspirés par la Gascogne. Je ne suis pas trop inquiet, c'est juste une question de disponibilité d'esprit, mais force est de constater que pour l'instant mon esprit n'est pas disponible pour eux. Il me serait cependant assez aisé de me remettre dans le bain. Il me faudrait juste lire un peu de poésie japonaise, écrire quelques rondeaux des quatre saisons. Il me reste des poèmes à écrire, surtout un nombre conséquent de rondeaux des quatre saisons dont je possède déjà les sujets. Il me reste aussi à écrire une trentaine de tankas, je crois, pour boucler mes cinq séries de cent un tankas chacune comme le veut la tradition japonaise. Et deux, trois autres bricoles, il me semble. Le Jura pourra peut-être me servir de source d'inspiration pour les poèmes d'inspiration coréenne et chinoise. Je ne sais pas. Ce n'est vraiment pas à l'ordre du jour pour le moment. Pour le reste, l'essentiel est bouclé. Je devrai seulement relire, corriger ici et là, et surtout organiser et éditer le tout de façon cohérente, c'est-à-dire agencer, enchaîner les poèmes dans un mouvement de spirale ascendant (ou autre) couvrant un nombre assez grand de cycles complets des quatre saisons. Ce qui me fait un peu peur, c'est la multiplicité des combinaisons possibles qui s'offriront à moi pour ce qui de l'enchaînement des poèmes et de l'agencement des cycles, pour ce qui est de l'organisation interne finale du recueil. Je ne parlerai pas ici de casse-tête japonais, mais bon, je n'en serai pas très loin. L'idéal serait de publier plusieurs recueils, plusieurs combinaisons différentes de tous ces différents cycles et poèmes. Ce qui fait la force et l'originalité de ce recueil, c'est vraiment l'enchaînement de cycles qu'il propose. En général, quand on parle d'un recueil des quatre saisons, on ne parle que d'un seul cycle, on ne s'aventure pas sur le terrain de l'enchaînement de plusieurs cycles avec tout ce que cela peut impliquer de neuf sur le plan de la richesse créative et esthétique. 

Revenons à Diane. Je voudrais que nous finissions cet entretien avec elle. Avez-vous lu les poèmes et ouvrages que le passé lui a déjà consacrés? Je pense aux sept livres de Diane de Jorge de Montemayor notamment.

Non, je n'ai pas lu ces ouvrages que je n'ai d'ailleurs pas sous la main. La plupart de mes livres sont toujours rangés dans des cartons à l'heure où je vous parle, ce qui handicape un peu mon travail, mais ceux-là, je ne les ai pas dans mes cartons. Je n'ai pas lu La Chasse de Diane de Boccace plus susceptible de m'intéresser que le roman pastoral de Montemayor. Non plus ses Nymphes de Fiesole. Idéalement, il me faudrait lire ces deux ouvrages italiens, c'est certain. Je n'ai pas lu non plus L'Hécatombe à Diane D'Agrippa d'Aubigné car j'ai fait l'erreur d'acquérir une édition de poche où les caractères sont minuscules, une édition véritablement conçue pour des elfes et des lutins, je pense. Il me faudrait lire aussi la Délie de Scève! Je ne l'ai pas encore lue car la lecture du Canzionere de Pétrarque m'a quelque peu échaudé. De même, si j'ai beaucoup lu Ronsard, je n'ai pas encore lu Les Amours! Il faudra bien que j'y passe un jour! Comme vous le voyez, pour l'écriture de ce poème, je conserve sur le plan littéraire une certaine virginité comparable à celle de la déesse et des nymphes. Je ne m'inquiète pas trop de ces lacunes littéraires présentes. Les Dianes de ces auteurs ne sont pas véritablement la déesse ancienne. Leurs ouvrages se drapent seulement dans l'ombre portée de la déesse, ils font allusion à des bergères ou à des vraies femmes aimées se prénommant Diane. Ce n'est pas du tout mon cas. Quand je pense à Diane, je ne pense à aucune femme particulière, je pense véritablement à la déesse. Il n'y a pas de place dans ce poème pour une mortelle sacralisée. Je consulte par ailleurs un article universitaire qui résume pour moi les représentations passées de la déesse Diane par les poètes italiens et français. Je pourrais en effet, comme Montemayor, essayer d'insérer des poèmes courts ou au moins une imitation moderne d'un hymne homérique ancien. Je pourrais inclure des blasons ou des madrigaux adressés aux nymphes du cortège de Diane et à la déesse elle-même. C'est une possibilité. On pourrait penser qu'après avoir tant couru après Diane et les nymphes, et les avoir vues, sinon fréquentées, le poète a eu le temps de se familiariser avec les unes et les autres, et le temps de leur consacrer des petits poèmes, des petits riens. Dans les déserts de verdure, que faire d'autre à part admirer les paysages, construire des cabanes de feuilles, contempler des nymphes, se baigner seul ou avec elles, et composer des petits poèmes? On pourrait inclure un recueil de petits poèmes à l'intérieur du grand poème, un recueil de petits poèmes qui formerait l'une des parties du vaste poème. Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Je ne voudrais pas sombrer dans la légèreté. Je pense que dans ce poème, les nymphes apportent la légèreté nécessaire, la légèreté qui m'évite de sombrer dans le pathos d'un amour passion pour la déesse. Je dois naviguer entre deux écueils: le pathos de l'amour passion qui agacerait et excèderait la déesse au plus haut point et un ton par trop grivois et licencieux qui pourrait heurter la sensibilité et la pudeur de Diane et des nymphes. Dans le tome 1, je suis assez chiche de détails. Plus j'avancerai dans le poème, plus il me faudra donner des détails, rendre palpable le fait que je deviens peu à peu familier de Diane et de son cortège. D'où l'utilité éventuelle de petits poèmes dédiés spécifiquement aux unes et aux autres. 

Comment procéderez-vous pour l'élaboration du tome 2?

Je possède déjà pas mal de choses sous la main. Si je me dirige bien vers l'élaboration d'un tome dont les haltes précises se situent du côté de la Corse et de la Sardaigne, il me faudra, je pense, utiliser les notes qu'il me reste sur le thème de la chasse et tous les passages que j'ai déjà ébauchés, écrits sur le thème de l'amour. Comme la troisième partie du poème se passe dans le Jura et que la quatrième partie ou la majeure partie de la quatrième partie se passerait en Corse, il me faudrait démarrer la quatrième partie sur les chapeaux de roue, c'est-à-dire en reprenant le thème de la course-poursuite qui me ferait traverser la mer et passer la nuit non loin de l'étang ou de la crique où aurait lieu la toilette matinale de Diane à l'aube, au lever du jour. La partie sur l'amour sera intercalée au milieu du tome, et je n'aurai pas de mal à embrayer sur ce thème après la toilette matinale. Pour ce qui est de la baignade collective dans un torrent de montagne, dans un bassin à débordement, en surplomb de la mer, en surplomb de l'immense bassin bleu que constitue la mer, en présence des Muses faisant leur apparition réelle en chair et en os dans le poème, je possède déjà une ébauche de cette rencontre de Diane, des nymphes et des Muses. Je possède la matière, je n'ai aucun souci pour ce tome 2. Je suis un peu plus dans le flou et dans l'expectative s'agissant de l'agencement des parties ou chants du dernier tome. L'idéal serait quand même que je passe un peu de temps en Corse à la fin du printemps. J'aime bien ancrer les envolées de mon imagination dans le concret d'une certaine réalité. 

Quelle est la principale difficulté rencontrée pour l'écriture d'un tel poème?

Le plus difficile quand on écrit un tel poème, un poème aussi long dénuée de véritable intrigue autorisant à peu près tout, ce n'est pas l'architecture qui se dérobe à vous, qui se donne à vous au fil de l'écriture, mais la grande quantité de notes, de chutes et idées générée par la création du poème; notes, chutes et idées qu'il faut gérer et chercher à utiliser à bon escient. Quand on possède beaucoup de notes et de matériaux sous la main, le plus délicat, c'est en fait de trouver les emplacements adéquats, idéaux dans le poème, où ces notes, pensées, idées, images, remarques et réflexions s'insèreront le mieux. Parfois, ce qu'on veut insérer est excellent, a toute sa place dans le poème, mais peut venir comme un cheveu sur la soupe, venir briser la continuité d'un bon passage. Il faut faire très attention à cela. Il faut se méfier des digressions aussi courtes soient-elles, aussi pertinentes puissent-elles paraître. C'est la principale difficulté, ne pas briser, ne pas alourdir la délicate dentelle du poème avec des considérations bienvenues instillées aux mauvais endroits. Ce qui, comme geste poétique malencontreux et maladroit, équivaut à peu près au même que mettre la main aux fesses d'une nymphe! Osons cette comparaison, finissons sur cette pertinente comparaison qui ravira les féministes!


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