Le colibri marseillais


"Je dois énormément au canari nantais!  

Je suis désormais le colibri marseillais!

J’ai débarqué hier en provenance des îles.

Pensez si je suis d’humeur joyeuse entre mille!

Frondeur, je butine à bon port,

Je bats des ailes pour amuser tous les gosses, 

Et quand une jolie demoiselle m’accoste,

Je fais l’éventail, pas le mort!

Non, je n’ai pas navigué à bord d’une rosse.

En dépit de la mer grosse,

J’ai fait bon voyage, merci.

Quel bateau le Sans Souci!

Il a tout pour lui, tout pour plaire.  

J’ai quitté le port de Saint-Pierre

En faisant mes adieux au Morne Vert, 

Puis nous avons rejoint la haute mer.  

C’est moi qui ai demandé à rester en cage,

Tout au long du voyage,  

Afin de ne pas être trop dépaysé.

Je craignais beaucoup au large 

D’être repris par les vents alizés.

Il n’en fut rien, et tel un sage,

Arrivé au Vieux-Port, je me suis embrasé.   

Littéralement! Le Frioul m’a rendu barge!  

En quarantaine et tout bronzé,

Je m’en verrais très bien l’otage.   

Et que dire du château d’If? 

Mais l’un ou l’autre, c’est kif-kif!

L’auteur a pondu là deux beaux récifs! 

Ah, cette traversée, quel grand livre d’images!

Près d’un hublot qui paraissait être un brûlot,

Ma cage était posée; je voyais les bulots,  

Et c’est moi que les dauphins suivaient à la nage.    

Comme il me semblait voir Didon dans leur sillage,

J’ai cru que l’on rentrait à Carthage, mais non.  

En tout cas, j’étais perché au premier balcon,

Me sentant alpagué autant par les baleines

Que par les épaves et les chants des sirènes.

Je ne sais pas qui tient la Manche ou le guidon,

Mais avec son aval ou celui du plancton, 

J’ai vu défiler sous mon bec de myrmidon,

Oui, c’est assez dingue, dis donc,

L’observatoire de Meudon, 

Un aqueduc enjambant le Gardon,

Les lumineuses gorges du Verdon,

Les vertiges et vestiges de l’abandon,

Des rémiges, des voltiges, Armageddon,

Le golfe de Modon, le pêcheur d’Anthédon,

La modestie des bourgeons du cynorrhodon,  

Giton et Trimalchion truffés de comédons,

Des idiots tenant les rênes et les cordons,

Des yeux de gobie dans des têtes de dindons,  

Les épigrammes de Marsus et de Pédon,

Mon ami Antipater de Sidon,

Le pays du roi Sarpédon,

Le cendrier de Calydon,

Les archers crétois de Cydon,

Corèbe, le fils de Mygdon,

Les exploits de Poséidon, 

Le Drouvenant et le Dudon,

Les sculptures d’Alcimédon,

Les statues d’Aristomédon,

La main du fameux Girardon,

Le retour du boustrophédon, 

Une omelette aux vieillards et aux lardons,

Un chaton sur son édredon,

Berthe et les ours blancs de la plage du Pradon,

Des picodons engouffrés par une dondon,

Des papillons monarques souffrant des tendons,

Des liposuccions du bedon, 

Une édition poussiéreuse de Corydon,

Le manuscrit tout raturé de Rigodon,

Un chapelet d’iguanodons,

La carapace élégante d’un glyptodon,

Jane Austen gribouillant nue à son guéridon,

Big Ben faisant ding, dingue, dong, 

Odilon Redon et Suzanne Valadon,

Dieu nous arrachant son pardon,

Un pèlerin qui avait le bourdon,

Une flottille de rougets et de gardons,

Des cotillons et des cotylédons,

Vénus armée de son brandon, 

Un espadon qui croyait être Cupidon,

La porcelaine céladon de Montredon,

Un bastidon, un verger couvert d’amandons,

J’en passe des meilleurs, ce n’est pas du bidon!

Mais tout cela n’est que du verre de bouteille, 

Tout cela disparaît aux portes de la ville,   

Car tout ça, ce n’est rien à côté de Marseille, 

Rien du tout, les amis, que de la pacotille!

Venez donc y voir, cette ville est sans pareille!

Elle est vraiment le cœur battant de l’univers.  

Etre ailleurs, c’est être au diable Vauvert!"

 

Ainsi parlait un oiseau-mouche

Dans sa tête à la gent ailée du Trianon. 

Il était chaussé de babouches

Et déjà plume de renom.