Je ne suis point de ceux
Qui aisément reculent
Lorsqu’il s’agit à deux
De chanter le salon d’Hercule.
Mon maître a tant fait pour le cabinet des jeux,
Prouvant par ce biais qu’il n’est point un songe creux,
Que je dois changer d’antichambre,
Si je tiens à franchir la barre de septembre.
Rien ne m’arrête, une fois lancé sur mon char;
Je ne me montre pas avare:
Le pied à l’étrier, j’entrevois le grand soir,
Je récolte les lauriers-roses de la gloire.
Je ne crains pas la roue d’Ixion.
Mes fables feront des récitants des almées.
Je sonne la trompette de la renommée
Avant même qu’elle ne soit accoutumée
A mes emportements, aux fruits de mes passions.
Au moment de la relecture du poème,
Je m'en remets un peu à la raison quand même,
Je donne du temps à la réflexion.
Elle a beau tenir, sinon l’égide, les rênes,
La bride, ce n’est pas la raison qui m’entraîne
Au salon d’Hercule attenant,
Où elle freine à peine mon élan.
Ainsi, il dure plus longtemps,
Et fouetté par la vue de Diane autant,
Sur mon cheval brun qui se cabre,
Je peux brandir le pinceau autant que le sabre.
En peignant ce salon, je m’accorde un sursis,
Je m’octroie le plaisir d’établir une trace.
Certes, j’en ai conscience aussi,
Chacun doit rester à sa place:
La mienne n’est pas de ramper sous le tapis
Avec un prix Goncourt, au milieu des chenis.
Jugez plutôt si je m’abuse:
Mon maître et moi, nous encadrons sans ruse
La divine chambre des Muses
Où Molière joua l’Ecole des maris!
Devant les flambants coloris
De Charles le Brun, le peintre,
Qui déposa au plafond mieux que des épreintes.
Leur bon sujet, je tiens fort à faire mentir
Pour ce qui est de la Prudence:
En poésie, on ne doit point trop la sentir,
Sous peine de perdre le rythme de la danse.
Dans ce petit théâtre concocté
Canton des libéralités,
Accompagné de ses pétillantes amies
Déclamant sous le regard expert de Thalie,
Le bon Molière malgré lui
Peut faire tomber tous les masques;
Et, dans cet intérieur béni,
Donner libre cours à ses frasques
Pour saluer chapeau bas le bon écureuil
Succédant à Mécène, le romain bouvreuil.
Dans les faits, jouant comme un fauve
Sur une scène blottie au fond d’une alcôve
(Qui ne fut jamais achevée de son vivant:
Y manquèrent cariatides à l’avenant
Sur colonnes qui encadraient la scène),
Il pouvait voir les neuf Muses, dont Melpomène.
Ce qu’il ne pouvait voir, juste au-dessus de lui,
C’était l’image même de la Nuit,
Sortie discrètement de son petit réduit,
Et reprenant ici, après quelques errances,
La pose aperçue dans Le Songe avec prescience.
Cette image alanguie et molle du Sommeil,
Vautré sur un nuage à l’abri du soleil,
Et laissant choir des pétales sur les Florides,
N’est rien moins que torride.
Chateaubriand le sait: les Creeks étaient malins;
Apollon dirigea toujours son char plus loin.
Par ailleurs, s’agissant d’un songe,
L’important est qu’il se prolonge,
Se fortifiant tel un alizé, un zéphyr,
Désireux de forcir et de s’appesantir
En avant du char et de l'attelage équestre.
Je pourrais ajouter d’autres gâteries, certes;
Et toutes du même acabit,
Ce salon est un vrai gourbi!
Je pourrais me plaindre de la perte
De la tenture qui racontait Clytemnestre,
Et qui recouvrait des lambris;
Ou évoquer ces tables aux plateaux en marbre,
Aux lions pieds sculptés dans des arbres,
Afin qu’elles pèsent sur un céleste appui.
Mais qu’importe, là où je suis,
Tout le monde le sent, le bruit déjà circule:
Egaler mon maître représente un défi
Digne des travaux d’Hercule.