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Un dokugin de saison: La combe mentholée



La combe mentholée

Il existe une combe

Secrète et mentholée

Où la fraîcheur règne

 

La confiance n'a qu'à bien se tenir

Parole confite de soleil!

 

Même ceux qui lavent

Le bonheur de la connaître

Tendent à l'oublier!

 

On la redécouvre chaque été

Avec un peu de chance

 

Il y faut un ciel voilé

Plus maudites que désirables 

Des éclipses de lune 

 

Le chien hésite à tourner

La poignée du bois de pins  

 

Pourtant, ça me dit:   

Les pommes de pin

Tapissent les aiguilles

 

Jeunes chevreuils de l'année

Jaillissent comme des étincelles 

 

Il y faut un pré fauché

Du foin enroulé en bottes

Rondes ficelées

 

Sinon, pas question d'avancer

Dans la jungle penchée! 

 

Peut-être qu'elles recèlent 

Aussi des trésors de fraîcheur 

Ces bottes qui recyclent 

 

On ne voit jamais l'intérieur

La surface est dure et lisse

 

Elles noircissent

Je parie que la nuit noire

Elles peuvent déballer

 

Qu'elles déroulent en plein jour

Leurs tapis d'étoiles! 

 

Le parfum de la menthe fraîche

Est si puissant, la feuille

Reste ombragée au soleil

 

Mais il ne parvient pas au  

Point culminant du plateau   

 

Il apprécie trop son flacon:

Nous ne pouvons pas parler

De marathon ou de festival

 

Nous croiserons trois bassins

Plongés dans la solitude

 

Le ciel est circulaire 

Le soleil a dérapé

Mercure est mouillé!  

 

Basculer derrière le parapet 

Ce n'est pas longer la crête...  

 

Dans le bois de pins 

L'araignée n'abdique pas:  

Elle reste royale!  

 

Elles tombent dans le vide

Quand on les embête!  

 

En tout cas, où nous allons

Le secret est bien gardé

Par l'indifférence générale 

 

Cela fait partie du processus

De diffusion de la fraîcheur

 

Surtout lorsqu'on débarque

Sous le rocher verdoyant

Au pied du lavoir

On dirait que le premier bassin

Longiligne tire un fil d'eau claire

 

On ne sait pas si la clarté

Rectangulaire deviendra carrée

Mais elle y aspire... 

 

Forcément, pas férocement!

La pureté saute aux yeux!

 

C'est une cascade

De feuilles minuscules

Aux planques divines

 

Le chien se désaltère

Plutôt dans les cailloux

 

Après le lavoir,

C'est un peu la débandade

Sur le chemin...  

 

Celui-ci rêve de raccourci!  

Nous prolongerons le plaisir...  

 

Puis ce sera la pénétration

Dans la combe par le haut

Sous les vivats des ronces

 

C'est vrai, la fréquentation

De l'eau fraîche rend vivace

 

Nous emporterons

Dans nos têtes le soupir

Du poisson rouge  

 

Lui aussi aimerait renifler

Inspirer une combe mentholée

 

Pour la distiller 

Dans les poumons des branches

Du versant boisé?

 

Nous oublions les pruniers 

Et la maison qui a brûlé  

 

On est aspiré

Par la course du chien

Essoufflé par le chevreuil!

 

On se laisse faire qu'on soit 

Ombre ou être de chair

 

Bébés sauterelles

Nous éclaboussent

Et ruissellent presque!

 

Comme l'horizon a été

Dégagé par le tracteur!

 

On sera déçus

Si après la mare profonde

Le ruisseau échoue   

 

Tout le monde veut profiter

De cette auberge astrale 

 

On a du mal à croire

(La fraîcheur monte au nez)

Qu'on est en juillet!

 

Et ce n'est pas que la combe:  

La libellule est primée!

 

Mandoline de fraîcheur

Dans les bois adjacents?

Je veux l'entendre aussi!

 

Je suis jonchée de pics odorants

Parcourus de brins de menthe

 

Un seul bras de ronce

S'étire en paix sur la rive

Pas besoin de baignade!  

 

Pour nous, pour la terre entière

Pour le soleil, le chien se baigne 



Vous êtes gâté, l'inspiration vous est subitement venue dimanche dernier, vous avez composé ce dokugin d'été!

Oui, samedi dernier, samedi 28 juillet pour être précis, le temps était voilé et assez frais, et j'ai pu faire une promenade que d'habitude je ne fais pas en cette saison quand il fait beau et qu'il y a du soleil. Je suis passé par une combe qui possède une jolie mare au bord de laquelle pousse de la menthe sauvage. Elle embaume littéralement la fraîcheur, et il est difficile de l'oublier en cette saison. Ce temps voilé m'a empêché de voir l'éclipse de lune de la veille, du vendredi soir, mais il nous a offert un joli moment de fraîcheur samedi dernier, et m'a permis d'effectuer une belle promenade en plein milieu de l'après-midi. Il nous a offert un petit âge d'or voilé de fraîcheur avant l'arrivée des grosses chaleurs! J'ai composé ce dokugin par un matin chaud et ensoleillé, et depuis c'est un peu la canicule avec des soirées et des nuits beaucoup moins fraîches et des pics de température la journée. J'ai écrit ce dokugin de 50 versets dimanche dernier, dokugin que j'ai retouché un peu cette semaine. J'ai pensé que ce serait bien de le publier sur mon blog afin que les lecteurs puissent se rendre compte de ce qu'est un poème en chaîne ou un poème chaîné, en l'occurrence ici un dokugin. Nous avons parlé du poème chaîné lors de nos entretiens sur le haïku, et je sais qu'il n'est pas facile d'en lire. Il est facile de lire des haïkus, mais très peu de rengas ont été publiés en édition de poche grand public. Moi-même, je n'ai lu à ce jour qu'une dizaine de poèmes chaînés dans ma vie, dont le fameux Trois voix à Minase, qui est supposé être le chef-d'oeuvre absolu du genre avec ses 100 versets. 

Le compte est bon, vous tenez vos six poèmes chaînés!

Je ne sais pas. J'ai écrit six poèmes chaînés en tout, et tous ont été écrits assez vite, et ont été le fruit d'inspirations assez subites. Donc, je ne m'interdis rien, si l'inspiration me vient, j'en écrirai d'autres! Après six, le chiffre rond serait neuf: quatre poèmes chaînés de 36 versets, trois poèmes chaînés de 50 versets et deux poèmes chaînés de 100 versets, avec le poème chaîné de 1000 versets qui viendrait boucler la boucle, tout seul, en pointe! Le hasard a voulu pour l'instant que je suive le fil des saisons. Le dokugin de 100 versets est d'ambiance hivernale et printanière, et s'inscrit dans un paysage de montagne. Les dokugins de 36 versets sont très printaniers, comme mon autre dokugin de 50 versets. Maintenant, mon deuxième dokugin de 50 versets est, lui, très estival. Il me reste donc à boucher le trou entre le milieu de l'été et l'hiver! Je ne vais pas poser un lapin à l'automne! 

Voyez-vous des différences entre les rengas japonais et vos dokugins?

La vérité, c'est que pour l'instant, je n'ai lu que des rengas, pas des dokugins! Il n'est pas facile de lire des dokugins! J'écris donc des dokugins un peu en aveugle, sans savoir à quoi ressemblent les dokugins des poètes japonais. Pour mémoire, rappelons ici que le renga est le poème chaîné écrit par plusieurs auteurs, le dokugin le poème chaîné écrit par un seul auteur. La grosse différence réside bien sûr dans le fait que le poète du dokugin conserve un contrôle total sur l'ensemble du poème. Le renga est vraiment le poème de la dérive. Il n'est pas rare dans un renga de 36 versets de voir les quatre saisons défiler sous les yeux! On saute aussi très vite d'un lieu à un autre, et d'un personnage à l'autre. Dans mes dokugins, la dérive est beaucoup moins marquée. Pour l'instant, mes dokugins chevauchent au mieux deux saisons, et sont généralement assez bien circonscrits géographiquement. Par ailleurs, il n'y a pas beaucoup de personnages, hormis les deux protagonistes qui dialoguent ensemble comme dans La combe mentholée. Il faudra peut-être que je me force à écrire un poème chaîné parcourant l'ensemble du cycle saisonnier. Si j'écris un second dokugin de 100 versets, je pense que j'essaierai d'accomplir la boucle des quatre saisons. Cela me laisse deux poèmes chaînés et 86 versets pour opérer la jonction entre juillet et l'hiver!

Cependant, l'impression de dérive reste malgré tout présente, très vive et sensible dans ce poème...

Oui, la nature du genre fait qu'il n'est pas besoin de franchir de grandes distances spatiales, saisonnières ou temporelles pour créer une agréable et rafraîchissante impression de dérive. Dans le cas présent, étant donné le thème central de ce poème, la jouissance procurée par un moment de fraîcheur au coeur de l'été, un jour de ciel couvert et voilé protégeant des rayons acerbes, violents et hargneux du soleil, l'idée était de créer à la fois une sensation de fraîcheur et une sensation d'exhalaison: celle du parfum de la menthe fraîche. Un parfum dérive dans les airs en suivant des chemins inconnus et mystérieux. Nos narines ne sont pour lui que des cavernes qu'il explore! L'effluve circule presque à la manière d'un fleuve! Je veux le croire!

Et cela reste aussi une poésie très intelligible...

Absolument! Il n'y a aucune difficulté majeure. L'art du genre consiste cependant à placer au sein du poème quelques tercets et distiques plus étranges et plus mystérieux que les autres afin d'épaissir le poème, afin d'obliger le lecteur à s'arrêter dessus, afin de laisser planer un surplus de signification possible, latente. L'image du chien hésitant à tourner la poignée du bois de pins est certainement très importante dans ce poème. Je ne vais pas décortiquer et analyser ce poème, ce n'est pas mon rôle. Ce qui est important aussi dans un tel poème, c'est la ponctuation, avec notamment le ballet des points d'exclamation, d'interrogation et de suspension. On peut noter aussi l'alternance du "on" et du "nous" ainsi que l'alternance du temps présent et du temps futur, alternances qui font écho à l'alternance des deux protagonistes qui semblent dialoguer, alternances qui amplifient l'impression de flottement du poème, impression de flottement très caractéristique du genre.

Cette promenade, je suppose que vous l'avez effectuée seul avec votre chien. Est-ce le chien qui compose avec vous ce poème, qui vous donne la réplique dans ce poème?

Oui, le chien joue un grand rôle dans ce poème, c'est évident. En général, quand deux poètes japonais écrivent un renga, ils alternent en écrivant un distique et un tercet chacun. Ainsi, les poètes n'écrivent pas des tankas: un poète achève le tanka de son collègue avec un distique, et donne le tercet du tanka suivant. Son collègue fait de même et ainsi de suite jusqu'à la fin du renga. Un renga est une suite de tankas vaporeux toujours écrits à quatre mains ou plus. Le poète ne doit pas écrire un tanka homogène. Quand j'écris mes dokugins, je ne calcule rien: il y a deux personnages qui se répondent, on sent qu'il y a deux personnages qui se répondent, mais je me laisse aller, je ne compte pas de manière précise les tercets et les distiques qui auraient été écrits par l'un ou par l'autre. Je ne régularise pas l'enchaînement des versets écrits par l'un et par l'autre. Ceci crée une impression de flou qui colle assez bien au genre. On peut tout imaginer, on peut imaginer que c'est le chien qui me donne la réplique, comme on peut imaginer deux poètes cheminant ensemble en compagnie d'un chien. Le soleil a l'air de s'exprimer au début du poème! La mare à la fin du poème! On a peut-être affaire à un échange où le deuxième interlocuteur n'est pas toujours le même, change, est fluctuant. Ce qui est important dans le renga et dans le dokugin, c'est le titre. Ces poèmes obligent à donner des titres, et ce n'est pas anodin dans le contexte de la poésie japonaise, poésie de poèmes courts et de fragments poétiques sans titres. Le renga, comme le dokugin, est le lieu de la dérive, mais cette dérive est encadrée par un titre qui lui procure un ancrage bienvenu pour fixer dans l'esprit un aspect central du poème.

"Rayons acerbes, violents et hargneux du soleil", vous osez!

Seulement avec vous! Oui, je crois qu'Apollon passe un été difficile. La Suède est en flammes, les feux lèchent les rivages de l'Attique, le Japon étouffe sous les chaleurs et sous les inondations. Apollon fait la gueule, Apollon aimerait pouvoir remballer ses rayons dans sa poche à côté du couteau suisse. Oui, je me sens maudit par cet été de plomb. Mes baigneuses souffrent l'enfer. Vous savez que j'aime les baigneuses! Eh bien, toutes les baigneuses de mon recueil souffrent en même temps! Le recueil des Baigneuses sera divisé en trois grands poèmes: le premier poème, c'est L'éponge, le poème de la baignade divine en mer dans les Cyclades, avec la naissance de Vénus surgissant des ondes... Le deuxième poème, c'est Les baigneuses, c'est la baignade en rivière, dans le Lison, dans le Doubs, avec l'ensemble des créatures terrestres conviées à la baignade, et le troisième poème, c'est Le soleil tentaculaire, c'est le soleil de minuit, c'est la baignade dans le lac suédois, au pays des Hyperboréens! Vous voyez bien que mes baigneuses sont maudites cette année! Vénus ne peut pas regagner le rivage et sa serviette. Les rivières comtoises sont polluées et manquent d'eau. L'eau des lacs suédois est trouble à cause de la fumée des incendies de forêt! C'est une déroute totale! Une déconfiture générale, estivale! Je me console cet été avec l'odeur fraîche de la menthe! Imbattable la fraîcheur de la menthe! Imbattable aussi la fraîcheur de la vérité!