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L'Epervier de Diane (début du poème)

Cérès lia en gerbe les Muses 

Pour empêcher leur fuite dans les bois!

Leur évanouissement dans les forêts qui diffusent

Tes amies, les nymphes... C'est là

Pure précaution, sage prudence, je crois 

(Je parie même que le lien ne se sent pas), 

Mais on ne sait jamais! Les Muses

N'ont pas froid aux yeux!  

Leur pardonnent tout les dieux.

Les Muses trouveraient aisément mille excuses

Pour aller grossir leur nombre et polir l'éclat

De tes amies: nymphes sensuelles qui refusent

De s'offrir, mais qui batifolent avec toi!

Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?

Le dérapage au fond des bois?

Comportement peu chrétien et peu orthodoxe

De leur part ou invitation à se palmer?

Il est conseillé de ne pas s'en alarmer!   

Les Muses ne crachent pas sur les paradoxes... 

Non plus sur les sophismes bons à infirmer! 

Si elles goûtaient à pareille joie  

Et s'engageaient dans cette voie,

Elles ne mettraient jamais le holà!  

Fin ou un bémol à cette nouvelle vie:  

Les Muses perdraient le goût et l'envie 

De gazouiller avec les enfants d'Apollon.

Fini les hommages des vierges de l'Hélicon! 

On les verrait en Italie plutôt qu'en Grèce,

Et les poètes n'auraient plus qu'à consoler

Les pauvres Charites plongées dans la détresse.

Leurs sauts et leurs brisés ne seraient plus ailés! 

Et les trois Grâces ne pourraient avoir mauvaise

Conscience puisque les Muses, tout à leur aise,

Ne quitteraient plus les nymphes piémontaises,

Mais peut-être sont-elles en fait calabraises!

Le monde serait plongé dans le malheur!

La nature, cette merveille auréolée 

De paroles, de chants et de couleurs, 

Bondée de symboles, d'animaux et de fleurs,

Ne serait plus qu'un mausolée

Peuplé de poèmes mort-nés dans la douleur.

Le manque d'inspiration est un ver qui ronge.

Portant leur croix, couronnés de fil barbelé,

Les poètes erreraient seuls et désolés

Dans des élégies à rallonges.

On chercherait en vain dans cette production  

Famélique un vieux fonds de bagatelle,

La trace d'une inhumaine, simple mortelle,

Le prénom d'une belle aux superbes poumons.  

Que de larmes, que de mouchoirs et que d'éponges!

Les vérités ne seraient pas filles des songes, 

Non, certes (car elles ne le seront jamais:

Aux clairvoyances viennent s'ajouter les faits,

Et quand sont absentes les preuves,

La vérité ne peut déchoir;  

La vérité est juste veuve;   

Elle flotte drapée dans un long habit noir.

Mais ne croyez pas qu'elle pleure,  

S'oublie, se morfond ou se meure:

Elle est vivante et ne fait que pâlir.

Le temps ne pourra que la raffermir.

Vérité fondamentale sur terre

Dont chacun doit se souvenir:

Dans certains cas, il est facile, aïe, de faire

Disparaître les preuves, ouille! Soutenir

Le contraire, c'est être complice de crimes

Et de forfaits... C'est être vicieux et pervers.

Si la traversée du désert

Fait respirer l'air pur des cimes

Loin des fraudeurs et autres vicelards

Et corrompus, ce n'est pas l'effet du hasard.)

Mais elles pleureraient la perte des mensonges!   

Je parle de ceux qui animés par les vers

Expriment la vertu, et se montrent diserts.

Je parle de ceux que les neuf Muses allongent

D'eau pure et de clarté! Ils sont des alcools forts

Qui savent reconnaître et amalgamer l'or!

Les vérités (elles font partie de l'hygiène),

Aux mensonges de qualité, ne font pas peur!

Ils aiment les défis, relever la hauteur!

Ils adorent les vérités, leur oxygène!  

Les dépouillent de leurs graves habits de deuil

Si besoin est, puis ils leur rendent le sourire,

Valeureux chevaliers servants et joyeux sires

Auxquels ces dames réservent un bon accueil.

Temps béni des tournois, des blasons, des emblèmes,  

Des belles vérités parcourues de frissons

Quand un mensonge s'agenouille et dit: Je t'aime!

Ainsi des Muses dont les âmes sont 

Imperméables aux angoisses!   

Ainsi des Muses dont les chants ne froissent,

Dont les mensonges qui ressemblent à du vrai 

Ne collent, ne poissent jamais!

Ainsi des Muses qui ne comptent pas leurs heures

Sous l'Olympe enneigé où brille leur demeure.

Ainsi des Muses dont le principal époux

Est bien le dieu de la vérité en personne!

Apollon! Pour ma part, grecques ou saxonnes, 

Je les aime vierges, doctes et sans tabous.

Je sais bien qu'elles resteront jeunes et souples

Bien que célibataires et jamais en couple.

Vieilles filles et la hantise des tyrans.

Je suis bon prince et tolérant: 

La liberté leur est laissée

De prendre des amants imaginaires qui

Occupent leurs songes et leur pensées;  

Ainsi elles volent, souvent ensemencées. 

Pour ce qui est du monde réel (riquiqui?),

On ne les verra jamais chez moi amoureuses,

Eprises de quelque poète, Orphée ou dieu;

Oublieuses de leurs devoirs et dons précieux.

Je laisse cela aux mortelles désireuses

De recevoir les confidences des hauts lieux.

Entre doctes déesses et femmes complexes,

Entre toutes ces créatures du beau sexe, 

Il me plaît d'être un intermédiaire avéré,

Une sorte de roseau (parfois très perplexe,

Plutôt accommodant, que jamais rien ne vexe),  

Dans lequel Muses peuvent souffler, délirer

(De temps en temps!) quand ça les amuse.   

Je me laisse faire, manipuler: les Muses

Sont dotées de la science infuse,

Maîtrisent maintes matières et moult sujets,

Et possèdent en plus une vaste mémoire.  

Je veux bien être une halte sur leur trajet!    

Il faut ajouter à cela, non dérisoires,  

Prudence et réserve devant le premier jet.  

Pour bien chanter la chasseresse Diane, 

Leur faut-il fuguer à neuf dans les bois

Sur ses traces? Doit-on leur emboîter le pas?

Escalader rochers et s'agripper aux lianes?  

Meilleur moyen de les garder auprès de soi,  

Quitte à se mettre minable! En piteux état! 

Si c'est le moyen d'éviter la sécheresse,

La panne, je signe en quatrième vitesse.

Ce n'est pas s'égarer dans une digression  

Oiseuse que soulever pareille question! 

Car à défaut de pouvoir soulever des jupes, 

Autant soulever à la place au bord de l'eau

Des questions qui nous préoccupent,

Ecarter ici et là des petits rideaux

De lierre, de perles, ou d'écume fleurie.  

Si elles sont déjà parties

En forêt sur les traces de Diane, lâchant

Apollon taiseux pour sa sœur introvertie...

Lâchant la musique, sinon le chant,

Pour les nymphes bien assorties,   

Bien joué! Les Muses qui ne savent gésir  

Sont premières à me lire quoi que j'écrive 

Penché sur mon bureau ou debout sur la rive.

Tant mieux si pour elles mes désirs    

Sont des ordres et des requêtes  

Qui deviennent réalité!

En effet, pourquoi ne pas prendre le poète

Au mot? Pourquoi ses ailes et ses volontés

Ne pas faire? Ses intuitions ne pas lester, 

Et ses désirs secrets ne pas concrétiser,

Anticiper? S'en faire une joie, une fête? 

Fini l'échauffement, plus rien ne les arrête:

Je leur cours après (je les talonne?) en sachant

Que les nymphes ne tombent pas toutes rôties

Dans le bec! (Ne sont pas des oies ou des hosties!)  

Je leur cours après (je les talonne?) en tâchant

De ne pas les perdre de vue!

Elles volent aussi vite que les oiseaux  

Se glissant entre les rameaux,

Entre les épines d'un roncier en nuage,

Et seront d'ici peu dans vos parages

Pour peu que séduites par des ramages

Vous vous dissipiez au bord d'un ruisseau.

Je veux être le témoin de vos entrevues

Et l'auditeur jamais tari   

De vos conciliabules nourris

D'eau fraîche qui soulève!

Un parfum enivrant peut entrer dans un rêve! 

Venir remuer dans son sommeil le dormeur!

Muses, vous pénétrez dans les bois! la rumeur  

Du ruisseau doublé d'écume, c'est la parole

Des nymphes doublée d'hermine! C'est un lâcher

De barres: devant moi les Muses caracolent! 

De leur élan je suis désormais entaché

Dans la contrée des plaisantes ténèbres!  

Trouées comme un tombeau funèbre

Par des flots de lumière en décélération.

Elles savent où accourir, où elles volent...  

Entre mille branches, cette navigation

Doit beaucoup à Hermès et à Eole.

La bergeronnette fait signe de ralentir

Avec sa queue! En vain! Je ne vais pas mentir! 

Je veux contempler leur arrivée opportune

Dans le campement évanescent de fortune!

Eau que oui! Entendre les hourras et les cris

Des nymphes aux anges, louloutes ou souris. 

Je ne veux pas manquer la moindre goutte

De vos échanges sous la voûte

Des feuillages et frondaisons!

Je veux voir pendus aux branches

Des rayons de soleil, des avalanches

De linge frais, la lumière en haillons!

Cela va et vient dès que l'aurore suggère

Le soleil! Vous ne dormez pas comme des loirs!

Surgies et levées dès l'aube de nulle part

Comme au printemps les primevères.

Cachez donc ce reflet! Brisez-moi ce miroir!

Ne me distrayez pas avec des simulacres!

Faites comme si elles descendaient d'un fiacre!  

Non, d'un char!

Versant le jour ensoleillé dans un manoir

Naturel, fait d'arbres, mais aussi de fougères.

Je veux voir comment Diane va les recevoir...

Si elle pourrait les confisquer à son frère

Apollon (qui admire leur clarté  

Autant qu'il adore leur volubilité!).  

Pour l'instant toujours pas d'empreintes

Au bord de l'eau, seulement des épreintes!

Il est bon et succulent d'être devancé

Par des loutres qui les ont vues passer.

Nous savons combien elles sont légères! 

Aucune trace nette sur la roche-mère. 

Je ne m'offusque pas du pouvoir détachant

Des nymphes donnant libre cours à leur penchant.

Et seulement quand viendra l'heure de la pause,

L'heure du bain, l'heure de pantoufler

Dans l'eau claire, l'heure des poses,

Je pourrai à mon tour souffler!  

Eberlué par le spectacle!

Soufflé comme une chandelle par ce miracle: 

Des baigneuses allant, puis revenant dans l'eau! 

Les nymphes, elles font concourir entre elles

Le naturel des poses! Zeuxis et Apelle!

C'est la détente suprême pour le cerveau! 

Pour les soupiraux de l'âme! Les suppléantes 

Des Muses excellent avec hanches, bassins,  

Et ne cèdent rien aux floraisons, suppliantes,

Maladives, dès que le vent grisé survient.

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, dans sa leste société,

Dans la corolle de ses meilleures amies,

Sauf à les suivre là-bas avec volupté,    

Ce serait un désastre pour l'humanité.    

Les poètes seraient dérobés du feu, damne!

Et sombrerait leur enthousiasme!

Les poètes seraient tous orphelins!

Je me vois très mal bâillant aux corneilles

Ou accroc au goulot de la bouteille! 

Qu'on ne s'y trompe pas: le vin

N'est qu'une béquille à côté de leur présence.

Quand les Muses sont là, l'ivresse récompense    

Le poète, et le pauvre Bacchus est marri. 

Par quoi remplacer la hauteur de leur esprit?

La beauté intérieure de ces dames?

Leur sapience serait en miasmes!  

Ce serait la fin des jeux et des ris 

Et l'agonie de l'inspiration poétique.  

Tout projet poétique serait farfelu!

Les Muses ne prêteraient plus

Attention à leurs nourrissons, ne seraient plus

Sensibles à leurs vers, aux pouvoirs magnétiques

Des images! Des enchaînements et fondus!

Aux brusques écarts du papillon éperdu!

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, dans sa leste société,

Dans le calice des rocs de l'humidité,

Dans la corolle de ses meilleures amies,

Telles des étamines à la vérité

Puisqu'elles sont neuf et savent émettre,  

Le poète solitaire ne pouvant être

Que le pistil à leurs côtés,

Les nymphes useraient de tous leurs sortilèges:  

Les neuf Muses resteraient fourrées au milieu

Des Nymphes formant une fleur ou un cortège!   

Un cortège dès que la fleur quitte les lieux...  

Dès que les pétales de nymphes s'éparpillent

Au vent, Diane aimant souffler sur

Les petites lunes, sur  

Les aigrettes des fleurs... Sur l'oiseau qui sautille

Autour du bassin déserté où eurent lieu... 

Les monts sont très soucieux, les montagnes inquiètes,

Quand Diane en un lieu trop longtemps s'arrête...

Je n'ose imaginer Diane fermant les yeux,

Mais sait-on jamais car elle trouve son frère

Efféminé quand il joue de la lyre au pied

Du mont Pélion ou ailleurs, parfois en galère,

Pour son plaisir ou pour expier. 

Les nymphes deviendraient le siège

De l'androcée des neuf Muses prises au piège...  

Apollon serait forcé d'aller réclamer

Les Muses à Diane avec un brin de causette...

Un argument de sa musette...

Les nymphes sont assez nombreuses pour former

Une grande fleur ou trois fleurettes...  

Quatre ou cinq avec les sœurettes!   

Bien que toujours déliées et magnifiquement

Libres en apparence, elles seraient préfixes

Des nymphes au début, mais le temps s'écoulant,

Les jours passant, elles deviendraient leurs suffixes. 

Les Muses ignoreraient tout, ne sauraient rien

Des malheureux poèmes en train de s'écrire!

Des strophes inachevées souffrant le martyre!

N'opérerait plus le charme des entretiens

Passés, charmants, périlleux à enfreindre!   

Leur lointain souvenir finirait par s'éteindre

Dans leur mémoire et leur esprit!

Voilà où mènent les baignades et les cris!

Ô éclaboussures! Comment alors dépeindre?

Comment composer bien?  

Je ne sais trop! Je crois en effet que le pire

Serait la rupture de cet antique lien.

Au lieu de vagabonder avec le sourire,

Poètes erreraient vides, désaffectés.

La poésie serait anéantie

Au beau milieu des beaux jours de l'été!

Je n'accepterai sur ce point de repartie.

Le monde serait plongé dans un désarroi

Profond, extrême, immense, sans frontières.

Muses ne quitteraient plus torrents et rivières,  

Subjuguées par leurs rivales, leurs reliquats?  

Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?

Le pendant aquatique frappé d'amnésie

Expliquant pourquoi le nectar et l'ambroisie

Sont nécessaires à Zeus et à Jupiter? 

Ici tombent les pétales, s'écoule l'onde

Dont est amouraché un courant d'air...

Se fait horizontale et planante la sonde... 

On voit défiler les dépouilles des instants,

Mais pour vous les nymphes, dans la flache automnale

Où la belle mire sa vingtaine boréale,  

Rien ne change! Toujours de la fuite du temps  

On parle, mais personne jamais ne s'avise 

De donner un nom au sinistre poursuivant  

Qui le harcelle... La course des eaux symbolise

Le passage du temps, mais aussi la cerise

Sur le gâteau quand elle traverse le parc   

D'un château! Le fond du ruisseau est la patrie

De l'âme blessée qui méprise les ressacs, 

Mais par le flot insouciant la pensée meurtrie

Est soulagée. Combien de grammes ou de marcs

Pèse une feuille morte, ou brune, déposée

Au fond? Je ne ressens nulle angoisse ou pression

Devant les eaux claires heureuses, adoptées

Par les yeux! Et si l'eau fraîche était pilotée

Par les Muses et non par la dissolution  

Des jeunes filles? J'y vois les bonds des chevrettes 

Quand l'eau s'oxygène, la flânerie du cerf

Ou de la biche quand elle traîne et nous sert

Un beau silence qu'au loin une chute guette.  

Mais, du temps, qui donc veut la mort?

S'il y a bien fuite, s'il y a filature, 

Le temps doit être un cerf dix cors

Poursuivi par quelque sauvage créature! 

Et si le temps n'existe pas, probablement

Alors qu'il est déjà... mort! Et ce qui défile, 

N'est-ce pas son enterrement? 

Nous accompagnons tous sa dépouille tranquille! 

Voilà à quoi servent sur terre les vivants!

Offrir un cortège coloré et changeant!

Si les Muses s'intégraient au giron de Diane,  

Les nymphes n'auraient pas besoin de lianes...

Muses seraient engluées, ligotées aux lits! 

Aurait cours dans les bois un curieux hallali!

Voyez ces nymphes s'acharnant comme des chiennes

Contre le génie et la science des musiciennes   

Avec des baignades, des nages dans un lit!

En exposant des poitrines et leurs derrières! 

En dégageant de doux parfums avec leurs bras! 

En infusant etcetera...

Assises avec bassins, pertes et fracas,

Anches de bombardes et hachis de hautbois,

Sur partitions et poèmes, sur l'almanach!

Voilà leur recette pour briser les carrières!

Pour scotcher les hommes éclairés dans les bois!

Muses ne pourraient plus revenir en arrière

Sur les plateaux, sous les sommets, glaçant effroi

Pour les dieux mêmes de l'Olympe!

Fini les répétitions sous les vérandas, 

Les chants s'élevant agréablement d'en bas

Comme parfums aimant la grimpe. 

Fini les passerelles menant aux balcons!

Les Muses ébahies par les travaux d'aiguille

Des montagnes alpines! Trilles!

Fini les gracieusetés du mont Hélicon

Dont la Béotie est farcie!

Fini Zeus exalté faisant des facéties!

Il ne resterait plus là-haut que les frimas!  

Le tonnerre et les éclairs! Et le silence!

Seule la vue sur la mer ferait diligence

Par temps clair pour atténuer l'effroi.   

Le spleen pèserait sur l'Olympe!

Fini les chants, les brouillards dissipés, 

Les nuages ensorcelés, émancipés! 

Fini les éclaircies et les robes à guimpe

De Malines! Les Muses seraient à la fois

Entraînées, asservies, enchaînées et ravies

Par leurs rivales plutôt que par leurs amies!

Les nymphes sont moins réelles que l'au-delà...

Mais sont habituées à ce qu'on les dévie...

Pas les Muses, déesses de l'éducation...

Et maîtresses de l'inspiration poétique...

Muses obéiraient aux ordres aquatiques... 

Muses obligées seraient à leur discrétion...

Pour les grands poètes, gardiens de la culture, 

La ligne serait brouillée par de la friture...

Il n'y aurait plus de déesse au bout du fil...

Et c'est vrai que par les temps qui courent, l'exil

De la Muse dans ces beaux déserts de verdure,

Hauts lieux de plaisance se dévorant des yeux,

S'interpénétrant et se montrant élogieux,

Peut s'avérer légitime, une embrasure...  

Une solution idéale à leur mesure. 

Phébus en personne ne crache pas sur un  

Abri sommaire pénétré par les embruns.

Dans ces beaux déserts se touchant les uns les autres,

Se frôlant et se caressant avec de l'eau, 

Mouvements de feuilles et chants d'oiseaux,   

Sont cachés les abris-sous-roches où se vautrent

Les nymphes pour échanger des riens essentiels,

Follement reposants! Souvent confidentiels!  

Elles s'y retirent à deux ou trois, confiantes  

Et confites par le miel du soleil, pendant

Que les autres font penser à des fruits fondant...

Ô rochers évidés aux formes alléchantes,

Ne cesserait plus ici-bas leur dilection

Pour cette envoûtante récréation!

Ô retraite innocente et sympathique!

Le retrait tournerait au congé sabbatique!

Muses seraient fondues dans le milieu

Naturel, moins dissolues dans ces riches lieux

De plaisance se dévorant le jour des yeux

Que dissoutes à leur tour dans la flotte...

Ophélie rince le gosier des grottes...

Et au printemps, au bord des torrents fous,    

Le poète tomberait sur leurs exuvies

Traînant sur des pierres ou des cailloux...

Drôles d'enveloppes! Ô sèches panoplies!

Placées hors de portée des torrents écumants,

Hors de portée de l'écume bavant aux lèvres

Des rochers pénétrés de fièvre!

Exuvies de chants devenus chantonnements

Désinvoltes... Exuvies de marmonnements

Devenus profonds silences moussus ensuite?  

Qui voudrait voir les Muses à cela réduites?

Peut-on ainsi se ressourcer?

Rajeunir de quelques semaines?

Les neuf Muses, vieillissent-elles?

Ne vont-elles pas plaintes choses y laisser

Si par le bout du nez les nymphes les promènent?

Les mènent en bateau à bord de leurs frêles... 

Coquilles de noix jusqu'au bout... 

Elles s'amusent d'un rien dans ces solitudes...

Cela fait partie de vos belles aptitudes...

Nymphes, ne prenez vos jambes à votre cou

Si le poète apparaît devant vous  

Pour les arracher à votre groupe!

Je ne tiens pas à cravacher, 

Lacérer vos superbes croupes!

Mais il pourrait néanmoins se fâcher

Comme le cerf désavouant votre conduite,

Riant aux larmes de la perte du sérail,  

Mais énervé par la défection du harpail,

La désertion du harem! Bombant le poitrail!

Médusant les biches que vous auriez séduites!

Captivées, capturées, emportées avec vous!

Pourquoi? Question fastoche comme tout!

Afin que la troupe de Diane fût plus large

Encore, plus légère, là-haut dans les marges

Où seuls les poètes viennent vous embêter!

Vous froncez les sourcils: " – Non! – Zut, encore un barde!

– C'est fou comme ils sont entêtés!

– Comme si Diane était d'amour une soiffarde!

– Pourquoi quittez-vous vos mansardes?   

Nous n'avons pas besoin de vous pour exister!

– Il veut monter autour de nous la garde!

– Il veut être son amoureux et son amant!

– Non! – Si! – Pourquoi pas son calmant?

– Son antidépresseur! – En tout cas, ce poète,

S'il était son homme, ne serait pas cocu!  

– Oui, aucun doute là-dessus!

Nous savons bien que jamais l'arbalète

Ne connaîtra la pression de ses mains!

Diane reste fidèle à son arc et ne tolère

Aucune intruse parmi les flèches amères 

Décochées en un tournemain!

– Quelle audace! Quel culot! Quelle hardiesse!  

– Elle va le mettre en pièces!

– Ecoutez-ça! Il veut devenir son époux

Et que nous devenions ses concubines!

– Soit ce barde est ivre, soit ce poète est fou!

– Il nous préfère à Colombine! 

– Je crois bien qu'on aura tout vu!

– Moi, il me plaît, j'aimerais bien le voir tout nu!

– Il écrit des fables et dit aimer Horace!  

– Comment faire pour qu'il trouve grâce

Aux yeux de la nièce de Neptune? C'est là,

Je crois, la seule et vraie question! Minute

Les filles avant d'aller informer Diana!   

Je suis d'avis qu'on en discute.

– La télépathie provoque ces excursions;

Elle est le véhicule de l'inspiration! 

Les Muses pensent trop à Diane!"

Qu'à vos lèvres, je reste suspendu!

Nymphes, vous n'avez encore rien entendu!

Et vous êtes mon fil d'Ariane   

Pour remonter jusqu'à son arc et son carquois

Quand les neuf Muses me sèment au fond des bois!

Mon fil d'Ariane, voire une volée de flèches

Qui vend malgré elle la mèche!

Mon fil d'Ariane car remonter vers le bassin

Où vous baignez, c'est remonter vers la lumière!

Rasades d'eau fraîche blanchissant à dessein!

Tout le reste n'est que poussières!

Et devant vous, je n'abjurerai pas le saut

De la Lézarde ou la cascade aux Ecrevisses!

Nymphes, la vie est fugace sous vos auspices!

Elle est plus brève encore loin de vos tuyaux.

Le choix est donc aisé! Fruit de la logique,

De la raison, d'autant plus que vous conservez

Votre teint frais, le teint rose, comme névés

Sur les sommets soumis à des rayons obliques!

Mais on ne sait jamais laquelle d'entre vous

Le soleil levant touche la première, lève

La première du sous-bois avec ses plus doux

Rayons! Apollon qui prélève?

Qu'y aurait-il là de surprenant?

Pourquoi ne pas agrémenter sa grasse

Matinée? Passer un moment agglutinant

La nymphe à la lumière de l'espace?  

J'hésite à qualifier de lézard le ruisseau 

Chauffé par Apollon quand le soleil se lève, 

Mais c'est un fait: le fameux saut

De la Lézarde, il est tout, sauf un rêve.

Une vieille biche tranquille au bord de l'eau...  

Elle est depuis quelques jours arrière-grand-mère...  

Ne l'émeuvent plus les mâles avec leurs bois:

Une fois atteint un certain âge, elle gère,

Savoure sa vieillesse, elle ne met plus bas... 

Elle vaque d'une rive à l'autre, elle lève

La tête, ferme les yeux, savoure le goût

Exquis de la feuille mêlant les deux sèves!  

Elle mâche lentement en oubliant tout...

Elle admire ses filles devenues grands-mères...

Leurs petites-filles qui exagèrent!

Je n'abjurerai pas les chutes de Moreau! 

Le spectacle des eaux lointaines qui dévissent    

Dans les forêts, s'enlisent dans les précipices!  

Jamais lasses de reproduire le carreau

Sur place! D'une légèreté extrême 

Soulevant des embruns que j'aime. 

C'est démentiel, ridiculiser l'oasis!

Vous courez sur les brisées du vent, l'air gratis

Vous soulève: pour sertir pareilles gemmes

Volantes dans une source, chaud devant! 

Il faudrait Vulcain, un stratagème!

Un orfèvre rompu aux fugues du couvent!

Mais en attendant je vole toujours aux trousses

Des Muses! (C'est peut-être pisser dans un violon

Ou tisser verdure en laine plutôt qu'en mousse 

Qu'imaginer Diane trahissant Apollon.)  

Je dois rafler ma peau, écorcher ma carcasse,

Je dois traverser des fourreaux et des buissons

Sans ralentir, je dois nager comme un poisson

Dans l'eau, et ne pas être lâché par la grâce:

Les envolées des Muses et de leur esprit...  

Essayant d'imiter les mouvements des Grâces...

C'est là un vœu pieux, un pari!

Allez, je me retrousse les manches

En plein vol au milieu des branches!

Escomptez la pause toujours!  

Si l'homme est le rêve d'une ombre,  

Une onde limpide est la réalité du jour

Dans les forêts, dans les pénombres...  

Où vous évertuez à n'être jamais sombres...   

Tous les endroits où vous passez sont attachants...

Maints fous rires aisément on dénombre...

Les neuf Muses non plus, ce n'est pas en marchant,

Et pas même en courant ou en forçant l'allure, 

Qu'on peut les suivre et leur coller le train, 

Ne pas perdre sur elles du terrain,

Si vraiment leur intention est dans la nature

De rattraper Diane et ses amies: la fraîcheur 

Qui peut être cueillie à l'aube,

Dans l'eau claire, après la daube

De la nuit noire, à l'heure du réveil flatteur;

En des lieux où la chute ne sonne, mais tonne

Toute la nuit! Les Muses m'aiguillonnent

Bien que filant là-bas devant moi sous mon nez. 

Ne pas contourner les broussailles

Restant souvent accrochées à mes pas, c'est 

Le prix à payer pour ne pas être semé! 

Elles arrachent à mon habit des écailles!

Je ne parle pas des nymphes qui s'encanaillent, 

Mais des broussailles retenant quelques lambeaux! 

Ô Nymphes, ne croyez pas que je me défroque!

Je me présenterai devant vous dans mes loques

Si les Muses ne m'emportent sur un plateau   

Et ne me déposent au pied de la cascade;   

Disons sur le coup de dix heures du matin

Quand le soleil fixe, rehausse votre teint!  

Vous déployez une belle fanfaronnade

Quand les biches de la harde sont là

Avec leurs jeunes ayant à peine deux mois.

Je dis que l'homme est le rêve d'une ombre

Mais aussi la cible d'un rayon de soleil!

Pour nager dans un bon sommeil

Qui débarrasse la nef des décombres

De la veille, le rêve doit aimer l'oubli!

Un havre de calme et de fraîcheur est requis

Dont les rideaux seraient de verts feuillages. 

Recrutons des ruisseaux à baldaquin

Remuant les pierres endormies! Leur sillage

Dure! J'échangerais mille boisseaux de vin

Contre le naïf babillage

D'une source d'eau claire 

Reproduite à intervalles irréguliers.

Nymphes, déroulez un tapis d'eau claire

Le long des marches d'un vague escalier:  

Je ne crains pas les railleries de l'avant-garde!

Les eaux qui se moquent, propos désobligeants!

Je me métamorphose lorsqu'on me brocarde!

Oui, nymphes, bizutez les hommes à défaut

De leur faire visiter grottes et boyaux.

Le cerf s'affuble de frissons purs, il musarde

En lieux sûrs où les biches ne peuvent l'ôter

De leur esprit. Le cerf aime sentir sa harde

Auprès de lui quand jouissant de sa liberté,

Il savoure la longue paix des solitudes!

Il ne dévore que les rameaux prosternés

Qui lui conseillent d'alterner

Les flâneries, les loisirs et l'étude!

Il va tout seul, les biches boivent la clarté

De ses yeux, le reniflent avec volupté! 

Parfois, il va avec un compagnon , un frère,

Un ami; par monts et par vaux ils délibèrent,

Attribuent à l'une ou à l'autre tel parfum;   

Dissertent du temps qui flâne ou qui accélère, 

De l'évanescence des moments opportuns;

L'occasion est plus fugitive que la biche... 

Le cerf flâne tout seul, on dirait qu'il s'en fiche,

Mais au final sa harde et lui demeurent l'un

Près de l'autre comme l'oreille et la tempe!

En pleine lumière, dans la crypte d'un temple,

Elles savent que se désaltérer les farde!

Il n'est pas difficile: une sylve où bavardent

Nymphes et Dryades; où chantent les oiseaux! 

Les messagers si inspirés de son réseau!

Il ne veut rien de plus: c'est là tout son royaume;

Et le moindre recoin désert et broussailleux

Où il se repose est un palais où les aulnes

Sont les rois du temps qu'il passe avec eux.

Il rencontre partout des trônes...

Il inspecte souches, gourmands, autres rejets...  

La clairière où il fait bon être son sujet

Sous un rustique toit de chaume,

Mais on peut préférer l'orée de la forêt.

Tous les arbres sous lesquels il flemmarde

Quelques heures, ou bien quelques instants, 

Posent sur sa tête au printemps  

Une couronne de feuillages où s'attardent

Quelques saphirs: des chants d'oiseaux!

Il possède quatre fuseaux

Qui lui tiennent lieu de sceptres

Afin que nul ne l'intercepte;    

Et c'est avec quatre sabots

Fendus qu'il imprime son sceau

Dans la terre humide ou la neige pailletée.    

Les couronnes volent, alternent derechef, 

Dès que les beaux jours reviennent à sa portée.  

Sont-ils un bosquet ou le châssis d'une nef?

En tout cas, le cerf s'allonge au bord d'une crique  

Et mire le ruisseau folâtre et pacifique...  

Ce sont arme de guerre et trophée d'apparat!  

Car la paix est parfois trompeuse et dangereuse;

Car il faut bien que biches tombent amoureuses;  

Ce sont là deux choses que le cerf n'oublie pas.

Ce sont des armes de légitime défense

Faites pour embrocher les pervers, les balourds,

Les moches qui le pourchassent (dont l'existence

Même suffit à constituer une offense).

Les oiseaux se souviennent du velours

De ses bois, si doux pour les pattes,

Quand le gel arrive et parfois éclate

Les pierres. Le givre s'applique à imiter

Dans les arbustes des arbres fruitiers   

Le velours tendre de ses bois d'été.    

Le cerf délie les cordons de sa bourse  

Rien qu'en accordant des regards

Puisés dans la source

Profonde de ses yeux noirs.

Qui n'est pas flatté d'être toisé de haut par  

Lui est un crétin, un pauvre hère;  

Une être grossier et vulgaire.

Tels sont les divers attributs de son pouvoir...  

Nymphes, vous serez heureuses de le savoir:

Le poète est le seul conseiller qu'il accepte

Auprès de lui! Mais écoute-t-il jusqu'au bout?

Sa pensée, sitôt allumée par un précepte

Ou par une image, s'en va on ne sait où!

Nymphes, si le poète apparaît devant vous,  

Faites-lui bon accueil, ne soyez pas ineptes!  

Et n'enroulez pas vos jambes à votre cou!

Soyez aussi douces, avenantes que l'Epte!

Il est parfois ivre, mais souvent sans le sou!

Il confond votre bassin avec une coupe

Plus brillante que pleine lune entre les pins!

Parfois, le poète bourré hâte sa fin

En avalant un verre d'eau glacée! Une loupe

Puisée dans l'eau gracile que vous animez!

Lui s'échoue à vos pieds essoufflé, désarmé!

Visez-le qui s'approche de vous sans ramures

Sur la tête, sans épée, sans armure!

Sans flûte! Avec une plume à la main!   

Lâchant ici et là comme unique refrain

Une imitation délicate des murmures...  

Que vous taillez dans une eau froide qui susurre... 

Il veut juste vous admirer, puis arracher  

Les neuf Muses à votre groupe!

Je ne tiens pas à cravacher, 

Lacérer vos superbes croupes!

Laissez-le composer et se mettre au travail

Devant vous; déballer son léger attirail!   

Il se pourrait que la fraîcheur du poème

Fasse ondoyer le cocasse et le suprême

Auprès du plaisant étalage des griefs;

Et révélât à vous autres, soit à vous-mêmes,  

Vous concernant au premier chef,

Maints détails ravissants et maintes anecdotes

Ne manquant pas de relief.

Il chantera pour les Muses, pour les doctes

Sœurs! Mais en vous célébrant! Bref,  

Il fera tout pour vous plaire!

Son ambition sera surtout de faire

En sorte que le remords puisse entrer 

Dans ces dames, puisse les pénétrer

Sans forcer, en accrochant devant elles

Des tableaux trop légers, des brocatelles,  

Des rochers moussus cramoisis.

En sculptant des portraits réalistes saisis

Sur le vif, mille bouillons de dentelles!

Rien de tel qu'un sincère remords pour lester

Ces frangines devenues trop légères!  

Simples baigneuses et lingères!

Il s'agit surtout de les faire mijoter

En des lieux où chaque jour mille insectes

Sont emportés par le courant qui vous délecte. 

Au point de leur insuffler le spleen? Non!

Qu'au bout d'une heure, sans faute, 

Tout à coup elles sursautent!

Mais pourra-t-il encore faire la distinction

Entre vous et les déesses de l'Hélicon? 

Rien n'est moins sûr si demain être des sosies

Enchante les déesses de la poésie!

Car vous, nymphes, vous pouvez certes inspirer,

Mais devenir Muse, cela, vous ne pourrez!

Ambidextre la nymphe est gauche

Dès que l'eau ruisselle du corps!

Et quand le ravissant ruisseau s'écoule et fauche

Les jours qu'il nous reste à vivre dehors, 

La nymphe aux anges ne peut s'empêcher au bord

D'être la souillon (dans le brouillon) du poème! 

La nymphe n'est pas musicienne pour trois sous! 

La Muse, certes, ne sait pas jouer de tous

Les instruments! Mais elle essaime

Elle aussi et possède une divine voix. 

Le clavecin rêve tous les jours à ses doigts.

Vous ne rêvez pas même à l'épinette! "Quoi?"  

Surtout, Muses volent si vite

Elles risquent d'arriver longtemps avant moi

Dans votre campement qui se lève très vite

Lui aussi! Aussi aisé à enlever qu'à

Mettre! Vraie feuille de lambrusque!

Se dévêtir aussitôt de leurs frusques,

Une vraie jouissance, ça leur procurera,

Et flèche non négligeable dans leur carquois

Est une surprise, changement brusque

De ton ou d'image, renversement soudain

Non du couplet, mais du refrain: 

"Arrière! Les Muses ne sont pas des Sabines!

Et encore moins des bambines!"

Il cherchera à vous amadouer,

Et pour ce faire finira par vous louer,

Mais son but sera surtout en l'espèce 

De les extraire au final de votre giron!

Peut-être pour charmer Diane qui acquiesce-

Ra! Après quoi, les Muses n'oublieront

De sitôt si belle aventure,

Et souvent ensemble en riront!  

Se remémoreront vos gestes, vos postures,

Vos cambrures, vos propos délicieusement

Terre à terre, si prosaïques!

Et sur les hauts plateaux gazonnés dominant

Les mondes champêtres et bucoliques

Souvent en pensée vous effleureront.

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane (dont Diane constitue le fleuron),

Dans la corolle où serait fondue la chorale, 

Sauf à vouloir chanter, célébrer ses pétales,

Ses beautés craintives, chair vive qui détale  

Au moindre souffle de contrariété,  

Chair vive aux chevilles jamais enflées,

La flamme du poète serait vite soufflée...

Même par un grand soleil au cœur de l'été! 

J'insiste sur l'effet que causerait leur bande  

Sur les Muses (pour ceux qui mal entendent): 

Sauf à les suivre là-bas avec volupté,    

Et à pondre sur elles des volumes

Bondés de nymphes et gorgés d'écume,  

Je serais vite séché par le vent d'été.  

Lèvres gercées du poète resteraient sèches,

Sauf à chanter Diane et à vanter le séjour

De ses amies, les torrents aveugles et sourds!

Les noiraudes forêts de résineux, les gours

Bleus. Pour les autres chants, la dèche!

Fini déesses souriant devant les fauteuils

Poussés avec empressement devant elles!

Adieu Pégase, chevauchons des haridelles!

Les montagnes ne seraient plus que des écueils

Surchargés de brisants! Les vallées des cercueils!

Les Muses ne reviendraient plus auprès des hommes! 

Bien que grecques, Muses vivraient autour de Rome! 

Bien converties à Diane en somme!

Et les nymphes seules récolteraient leur miel!

Dedans, Diane tremperait longuement ses flèches... 

Muses, ce n'est pas commettre un péché véniel

Embrasser Diane et son art de vivre un peu rêche... 

Si, pour les autres chants, ça implique la dèche!

Diane seule serait célébrée comme il faut! 

Et Apollon n'y trouverait rien à redire!

Car vivre au milieu des nymphes pouffant de rire,   

Les Immortels eux-mêmes en rêvent là-haut!

L'Olympe serait secoué de soubresauts!

Les autres dieux et déesses,  

Jaloux du cerf, de la nymphe et de l'écureuil,

Jaloux de Diane et de la biche, et des gonzesses,  

Dépériraient à vue d'œil,

Soit snobés comme dans la poésie moderne,

Soit réduits au rôle de figurant un peu terne

Faisant juste joli; jauni dans le décor?   

L'effet d'un vent venu du nord?  

Les poèmes maritimes feraient naufrage!

Les bateaux seraient émaciés

Et flétris par les navigations et voyages!   

Fanés! Jamais décrits, jamais circonstanciés!

Grâces se fouleraient les chevilles, entorses

Les accableraient dès le printemps revenu.

Les crimes et injustices ne seraient plus

Dépeints, dénoncés avec force!  

Nombre de vérités tomberaient dans l'oubli!  

Les preux mensonges ne seraient plus anoblis

Par la poésie! Le temps qui marche et trottine,  

Se mettrait-il à cavaler et à sprinter  

Pour palier l'absence des Muses palatines?

Pressé que soit faite toute la vérité?   

Chanter Diane pour écrire des bons poèmes

(Les Muses se portant alors à leur chevet)

Ou se taire pour rien écrire de mauvais?   

Tous les poètes feraient face à ce dilemme!  

Des poètes iraient vivre dans le Latium  

Puisque là-bas avec leurs voix et leur médium 

Les neuf Muses seraient chez elles! 

Leur espoir? Rétablir des passerelles?   

Les croiser sur un mont au détour d'un chemin?

Faire naître en eux le désir irrépressible

De chanter des nymphes italiennes? Possible!   

Mais attention! Sont très possessifs les bassins!

Elles médusent, les baigneuses, et amorcent,   

Et avec les nymphes se baigner est un art!   

Summum de la trompeuse amorce!

Diane doit souvent hâter le départ...

Le poète passerait ses journées la tête

En l'air, les yeux vagues, perdus,

Les regards humides pendus aux crêtes

Comme linge mis à sécher, vite fondu

Par le soleil ou les étoiles;

Ainsi fondent à l'horizon les voiles.

Il interrogerait les sommets sous les pics,

Les rochers, les saillies, les éboulis grandioses,

Prenant pour des indices, des indics,  

Lambeaux de brume de chair rose,

Mais ne trouverait pas la chose 

Du dernier chic! Sur ces pentes où les sentiers

Divaguent enchevêtrés au milieu des pierres,   

Dans ces éboulis de rocs où grimpent des lierres,

Le regard désemparé cherche des moitiés. 

Il est aspiré par les pelotons de brume,

Les sentiers en lacets, entrailles de moutons

Dérobées aux yeux par les vertes frondaisons

Des forêts. Les nymphes se consument, enfument  

Les monts avec leurs nuages de vapeur d'eau.      

Elles se sont dépêtrées des tapisseries

Tandis que les arbres offrent leurs boiseries!  

Le torrent, lui, n'a pas le serpent dans la peau!

Il s'éclate à travers la verdure aux oiseaux!

Les Muses et Diane n'occupent pas les mêmes 

Etages; les nymphes sont frileuses: souvent,

Elles boudent l'ubac de Borée et au vent

Elles préfèrent la brise et le souffle, crème 

Du courant d'air, et le doux soleil de l'adret! 

Les Muses, elles, ne craignent pas les sommets: 

Les glaciers, les névés, et autres lieux de fonte;

Elles sont réchauffées: à l'heure de la tonte

Des lainages, leurs beaux chants font l'effet    

Du soleil printanier! Et la neige peut fondre   

Sans regret, guidée par les rayons du soleil

Et par les voix qui leur répondent.

Mais c'est à peine si Muses tendent l'orteil.

L'étage nival et l'étage alpin n'hésitent

Pas à les retenir sur leurs plateaux herbeux.  

C'est là que les neuf Muses résident et gîtent,

Et répètent leurs chants, et conservent la frite,   

Elaguent poèmes, rient un peu des bas-bleus.

Non, pas de danger que les nymphes aillent

Les déranger au bord des failles!

Là, elles crèchent tranquilles, elles travaillent

En paix dans une joie durable car nymphale.  

Cela dit, elles ne crachent pas sur les pins, 

Sur les étages montagnard et subalpin.

Souvent, elles quittent le plateau et la scène

Du mont Olympe, ou la source pérenne

De l'étalon, et c'est un fait qu'au mois d'avril,

Avec la fonte des neiges qui les entraîne

Vers les forêts, le poète court le péril

De les perdre de vue! Donc de perdre le fil!

Elles volent alors où les torrents assènent

Leurs chutes; leurs voix peuvent te croiser,   

Et comme les tiennes, leurs volontés sont droites!

Elles fréquentent des envers discrets, boisés;  

Des endroits tortueux qui aiment pavoiser

Des sources d'inspiration profondes, étroites,

Lovées dans l'ombre et le secret. 

Vous planez au-delà même du guilleret!  

Leur apparition parmi vous sème une joie 

Contagieuse: tes amies ne chatoient

Jamais autant dans les bassins; une courroie

D'excitation enfantine répand la joie

Parmi vous! Vous délaissez un moment

Vos vasques, vos coupes, vos vases; se répand  

La bonne nouvelle comme traînée de poudre; 

Impossible de la voir dans l'eau se dissoudre,  

La jeune fille! On voit s'épanouir une fleur

Où les neuf pétales savent mettre en valeur

Les sépales faisant cercle en petite tenue. 

La fleur ne fait qu'embaumer à première vue:

Vous êtes faites pour vous entendre! Vos cœurs

Sont purs, et vos mains ne sont jamais moites! 

Jamais précipitées de malheur en malheur

Vous ne fûtes, et nul ne peut vous mettre en boîte!

Vos portez tissus fins

Comme ailes de cigales,

Vêtements blancs, neige intégrale.   

Et de vertu, vous avez toujours faim!  

Mais sur la même longueur d'onde

Vous n'êtes pas toujours en ce monde!

Les abîmes demeurent nombreux entre vous...

Si vos rencontres au lieu d'être fugitives 

Et fortuites s'éternisaient en rendez-vous,

La brume s'évanouirait vite, défective,    

Et ils s'ouvriraient, les fossés!  

Ils surgiraient sans se froisser!

En bâillant des gueules de goinfres!

Des crevasses! Bien entendu, 

Cela occasionnerait des malentendus

Jamais tirés au clair par tes amies les nymphes!

Tous les replis des montagnes, grecs ou romains, 

Vivent dans l'espérance, avec l'espoir d'être un

Jour maître de céans d'une telle rencontre

Inopinée! La moindre trouée le démontre

Et ne vit au fond que pour ce moment charnel.

La plupart de vos rendez-vous sont solennels

Et la mémoire ne reste pas indécise:   

Elle sait les rendre immortels

Car Apollon les organise.  

Il est exceptionnel qu'il vous fasse faux bond,  

Qu'il les sèche par oubli ou par abandon,

Ou pour aller voir une pièce!

Nymphes ne sont admises dans ces réunions 

Où elles sèmeraient vite la zizanie,  

Comme fit savoir un jour Uranie;  

Et c'est là une sage décision.   

Les Muses ne quittent la Grèce

Qu'à de très rares occasions.

Et toi, tu ne recherches pas les effusions

Avec elles, mais tu ne les éventes

Pas non plus quand les Muses se présentent;   

Noblesse salue la roture des bassins! 

Dès qu'elles vous voient en retrait d'Ostie,

De Rome et des marais Pontins,

C'est quasiment la garantie

D'une amortie réussie

En votre sein.   

Belles rencontres au sommet sont clairsemées

Dans la nature: je parle de celles semées

Par la main du hasard ou la main de l'ennui, 

Celles fortuites et purement amicales

Ne devant rien aux répétitions musicales.

Celles où les neuf Muses voient surgir des buis

Ou des bassins naturels les nymphes! La fausse  

Jumelle d'Apollon sourit: elle sait bien

Que l'apparition de ses demi-sœurs rehausse!

Tout ce qu'elles touchent miel toutes fleurs devient...

Cependant, aussitôt, les Muses se déchaussent,

Car bien des choses à cette heure elles exaucent

En Italie... En mai, juin,

Juillet, septembre!   

Raout printanier et divin... 

Les ruisseaux ont du mal à descendre...

Poursuivre leur course, se faire entendre...

On parle d'happening du côté des monts Sabins.

Tu es la grande sœur, certes, la sœur aînée!

Mais tu n'es pas la demi-sœur ailée!

 

 

(Fin de la première partie)