Première partie du poème: Diane et les Muses (8000 mots)
Cérès lia en gerbe les Muses
Pour empêcher leur fuite dans les bois!
Leur évanouissement dans les forêts qui diffusent
Tes amies, les nymphes... C'est là
Prudence, pure précaution, je crois
(Je parie même que ce lien ne se sent pas),
Mais on ne sait jamais: les Muses
N'ont pas froid aux yeux!
Leur pardonnent tout les dieux.
Les Muses trouveraient aisément mille excuses
Pour aller grossir le nombre et polir l'éclat
De tes amies: nymphes sensuelles qui refusent
De s'offrir, mais qui batifolent avec toi
Dans les bois, les forêts, sur l'adret des montagnes!
Si belles et si fières d'être tes compagnes
En cent lieux escarpés, vertigineux, étroits!
Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?
Leur dérapage au fond des bois?
La tentation de les rejoindre est bien réelle
Car ces Grâces-là nagent en plus de danser,
N'ont pas besoin pour s'élancer
D'entendre les chants des neuf immortelles.
La mélodie des eaux vives, des cascatelles,
Portée par les souffles légers des vents
Dans les feuillages, elle suffit amplement.
Non seulement elles dansent, oui, elles peuvent,
Elles portent encore moins de vêtements
Que les Grâces! Surtout, faisant peau neuve,
Elles se meuvent lestement pour s'égoutter,
Allant et venant sur la berge
De manière à ce que le soleil les allège.
Il faut de nouvelles grâces quand vient l'été,
Car le printemps même,
Hélas, défraîchit les siennes
En juin, celles qui vont par trois.
Si les neuf Muses s'engageaient dans cette voie,
Elles en deviendraient la proie...
Sècheraient bientôt leurs chants a capella...
Etalés sur des rochers comme du linge...
Sinon enterrés dans quelque syringe...
Elles ne mettraient jamais le holà...
Fin ou le bémol à cette nouvelle vie:
Les Muses perdraient le goût et l'envie
De gazouiller avec les enfants d'Apollon.
Elles ne quitterait plus, Diane, le salon
Si affriolant de tes compagnes, les nymphes.
Elles en perdraient le souvenir de Solon!
Leurs mémoires? Portes qui grincent!
Fini les hommages des vierges de l'Hélicon!
Fini aubades inspirées sous les balcons!
Bonjour sécheresse, ténèbres du flacon!
On les verrait en Italie plutôt qu'en Grèce,
Et les poètes n'auraient plus qu'à consoler
Les pauvres Charites plongées dans la détresse.
Leurs sauts et leurs brisés ne seraient plus ailés!
Et les trois Grâces ne pourraient avoir mauvaise
Conscience puisque les Muses, tout à leur aise,
Ne quitteraient plus les nymphes piémontaises...
Ou bien, pourquoi pas? calabraises...
Le monde serait plongé dans le malheur!
La nature, cette merveille auréolée
De paroles, de chants et de couleurs,
Bondée de symboles, d'animaux et de fleurs,
Ne serait plus qu'un mausolée
Peuplé de poèmes mort-nés dans la douleur.
Le manque d'inspiration est un ver qui ronge
Son homme. Portant leur croix, leur fil barbelé,
Les poètes erreraient seuls et désolés
Dans des élégies à rallonges.
On chercherait en vain dans cette production
Famélique un vieux fonds de bagatelle,
La trace d'une inhumaine, simple mortelle...
Le prénom d'une belle aux superbes poumons.
Que de larmes, que de mouchoirs et que d'éponges!
Les vérités ne seraient pas filles des songes,
Non, certes (car elles ne le seront jamais:
Aux clairvoyances viennent s'ajouter les faits,
Et quand sont absentes les preuves,
La vérité ne peut déchoir;
La vérité est juste veuve;
Elle flotte drapée dans un long habit noir.
Mais ne croyez pas qu'elle pleure,
S'oublie, se morfond ou se meure:
Elle est vivante et ne fait que pâlir.
Le temps ne pourra que la raffermir),
Mais elles pleureraient la perte des mensonges!
Je parle de ceux qui, animés par les vers,
Expriment la vertu et se montrent diserts.
Je parle de ceux que les neuf Muses allongent
D'eau pure et de clarté! Ils sont des alcools forts
Qui savent reconnaître et amalgamer l'or!
Les vérités (elles font partie de l'hygiène),
Aux mensonges de qualité, ne font pas peur!
Ils aiment les défis, c'est tout à leur honneur!
Ils adorent les vérités, leur oxygène!
Les dépouillent de leurs graves habits de deuil
Si besoin est, puis ils leur rendent le sourire,
Valeureux chevaliers servants et joyeux sires
Auxquels ces dames réservent un bon accueil.
Temps béni des tournois, des blasons, des emblèmes,
Des belles vérités parcourues de frissons
Quand un mensonge s'agenouille et dit: Je t'aime!
Ainsi des Muses dont les âmes sont
Imperméables aux angoisses!
Ainsi des Muses dont les chants ne froissent,
Dont les mensonges qui ressemblent à du vrai
Ne collent, ne poissent jamais!
Ainsi des Muses qui ne comptent pas leurs heures
Sous l'Olympe enneigé où brille leur demeure.
Ainsi des Muses dont le principal époux
Est bien le dieu de la vérité en personne:
Apollon! Pour ma part, grecques ou saxonnes,
Je les aime vierges, doctes et sans tabous.
Je sais bien qu'elles resteront jeunes et souples
Bien que célibataires et jamais en couple.
Vieilles filles et la hantise des tyrans!
Vieilles filles et heureuses de l'être!
Si fières et courageuses à la fenêtre!
Je suis bon prince et tolérant:
La liberté leur est laissée
De prendre des amants imaginaires qui
Occupent leurs songes et leur pensées;
Ainsi elles volent, souvent ensemencées.
Pour ce qui est du monde réel (riquiqui?),
On ne les verra jamais chez moi amoureuses,
Eprises de quelque poète, Orphée ou dieu;
Oublieuses de leurs devoirs et dons précieux.
Je laisse cela aux mortelles désireuses
De recevoir les confidences des hauts lieux.
Pour bien chanter la chasseresse Diane,
Leur faut-il fuguer à neuf dans les bois
Sur ses traces? Doit-on leur emboîter le pas?
Escalader rochers et s'agripper aux lianes?
Seul moyen de les conserver auprès de soi,
Quitte à se mettre minable! En piteux état!
Si elles sont déjà parties
En forêt sur les traces de Diane, lâchant
Apollon taiseux pour sa sœur introvertie...
Lâchant la musique, sinon le chant,
Pour les nymphes bien assorties,
Bien joué! Les Muses qui ne savent gésir
Sont premières à me lire quoi que j'écrive
Penché sur mon bureau ou debout sur la rive.
Tant mieux si pour elles mes désirs
Sont des ordres ou des requêtes
Qui deviennent réalité!
En effet, pourquoi ne pas prendre le poète
Au mot? Pourquoi ses ailes et ses volontés
Ne pas faire? Ses intuitions ne pas lester,
Et ses désirs secrets ne pas concrétiser,
Anticiper? S'en faire une joie, une fête?
Fini l'échauffement, plus rien ne les arrête:
Je leur cours après (je les talonne?) en sachant
Que les nymphes ne tombent pas toutes rôties
Dans le bec (n'étant ni des oies ni des hosties!)
Je leur cours après (je les talonne?) en tâchant
De ne pas les perdre de vue!
Elles volent aussi vite que les oiseaux
Et seront d'ici peu dans vos parages
Pour peu que séduites par des ramages
Vous vous dissipiez au bord d'un ruisseau.
Je veux être le témoin de vos entrevues
Et l'auditeur jamais tari
De vos conciliabules nourris
D'eau fraîche qui l'enthousiasme soulèvent!
Un parfum enivrant peut entrer dans un rêve!
Venir remuer dans son sommeil le dormeur!
Muses, vous traversez la forêt! La rumeur
Du ruisseau doublé d'écume, c'est la parole
Des nymphes doublée de candeur! C'est un lâcher
De barres: devant moi les Muses caracolent!
De leur élan je suis désormais entaché
Dans la verte contrée des charmantes ténèbres!
Trouées comme un tombeau funèbre
Par des flots de lumière en décélération.
Elles savent où accourir, où elles volent...
Entre mille branches, cette navigation
Doit beaucoup à Hermès et à Eole.
La bergeronnette fait signe de ralentir
Avec sa queue! En vain! Je ne vais pas mentir!
Je veux contempler leur arrivée opportune
Dans le campement évanescent de fortune!
Eau que oui! Entendre les hourras et les cris
Des nymphes aux anges, louloutes ou souris!
Je ne veux pas manquer la moindre goutte
De vos échanges sous la voûte
Des feuillages, sous ces verts cotillons!
Je veux voir pendus aux branches
Des rayons de soleil, des avalanches
De linge frais, la lumière en haillons!
Cela va et vient dès que l'aurore suggère
Le soleil! Vous ne dormez pas comme des loirs!
Levées et surgies dès l'aube de nulle part
Comme au printemps les primevères.
Cachez donc ce reflet! Brisez-moi ce miroir!
Ne me distrayez pas avec des simulacres!
Faites comme si elles descendaient d'un fiacre
Versant le jour ensoleillé dans un manoir
Naturel fait d'arbres, mais aussi de fougères.
Je veux voir comment Diane va les recevoir...
Si elle pourrait les confisquer à son frère
Apollon (qui admire leur clarté
Autant qu'il apprécie leur volubilité!).
Beaucoup me croient ailé, rapide,
Car je suis poète, capable d'enfiler
Sandalettes et autre pensées à mes pieds,
Mais, dans les faits, la volupté me guide,
Réclamant qu'à l'eau fraîche mon destin soit lié.
Je me laisse aller, oui, je me laisse délier,
Au fil de l'eau douce qui veut de moi pour maître
Tant mon âme de l'eau vive aime se repaître.
Je m'étonne fort de l'absence de gradins.
Je cueille le courant d'air pur à la fenêtre
Comme si c'était la fleur d'un jardin
Ou un jour de printemps en train de naître
Dans une clairière, loin des vertugadins.
Je vole, ne crains pas racines et gadins!
Pour l'instant toujours pas d'empreintes
Au bord de l'eau, seulement des épreintes!
Il est bon et succulent d'être devancé
Par des loutres qui les ont vues passer.
Nous savons combien elles sont légères!
Combien jamais elles seront des étrangères
De passage parmi vous dans votre salon!
Je vole avec un sourire qui en dit long!
Aucune trace nette sur la roche-mère.
Je ne m'offusque pas du pouvoir détachant
Des nymphes donnant libre cours à leur penchant.
Et seulement quand viendra l'heure de la pause,
L'heure du bain, l'heure de pantoufler
Dans l'eau claire, l'heure des poses,
Je pourrai à mon tour souffler!
Eberlué par le spectacle!
Soufflé comme une chandelle par ce miracle:
Des baigneuses allant, puis revenant dans l'eau!
Les nymphes, elles font concourir entre elles
Le naturel des poses! Zeuxis et Apelle!
C'est la détente suprême pour le cerveau!
Pour les soupiraux de l'âme! Les suppléantes
Des Muses excellent avec hanches, bassins,
Faisant naître le désir de peser leurs seins,
Et ne cèdent rien aux floraisons, suppliantes
De leur côté: le vent grisé par leurs parfums,
Il a tôt fait avec la pluie de faire du vilain.
Pour les nymphes, il se fait brise,
Il se fait zéphyr lâchant en plus des soupirs,
Il se fait caressant pour jouir de son emprise,
Ne se lassant jamais de combler ses désirs.
Je disais: si les neuf Muses étaient serties
Un jour dans la troupe jamais flétrie
De Diane, dans sa leste société,
Dans la corolle de ses meilleures amies,
Sauf à les suivre là-bas avec volupté,
Ce serait un désastre pour l'humanité.
Les poètes seraient dérobés du feu, damne!
Et sombrerait leur enthousiasme!
Les poètes seraient tous orphelins!
Je me vois très mal bâillant aux corneilles
Ou accroc au goulot de la bouteille!
(Qu'on ne s'y trompe pas: le vin
N'est qu'une béquille à côté de leur présence.
Quand les Muses sont là, l'ivresse récompense
Le poète, et le pauvre Bacchus est marri.)
Par quoi remplacer les hauteurs de leurs esprits?
La beauté intérieure de ces dames?
Leur concours relèverait alors du fantasme!
Ce serait la fin des jeux et des ris
Et l'agonie de l'inspiration poétique.
Le poète traînerait aussi seul et nu
Dans le désert stratosphérique
Qu'un Adam rejeté, paumé, famélique.
Tout projet poétique serait farfelu!
Les Muses ne prêteraient plus
Attention à leurs nourrissons, ne seraient plus
Sensibles à leurs vers, aux pouvoirs magnétiques
Des images! Des enchaînements et fondus!
Aux brusques écarts du papillon éperdu!
Je disais: si les neuf Muses étaient serties
Un jour dans la troupe jamais flétrie
De Diane, sa leste et gracieuse société,
Dans le calice des rocs de l'humidité,
Dans la corolle de ses meilleures amies,
Telles des étamines à la vérité
Puisqu'elles sont neuf et savent émettre,
Le poète solitaire ne pouvant être
Que le pistil à leurs côtés,
Les nymphes useraient de tous leurs sortilèges:
Les neuf Muses resteraient fourrées au milieu
Des nymphes formant leur corole ou un cortège!
Leur cortège dès que la fleur quitte les lieux...
Dès que pétales s'envolent et s'éparpillent
Au vent, Diane aimant souffler sur
Les petites lunes, sur
Les aigrettes des fleurs! C'est au bord de l'azur
Que le petit oiseau sautille...
Inspectant silencieux, sans une trille,
Le bassin déserté, bleuté, où eurent lieu...
Les baignades sources de cris joyeux!
Les monts sont très soucieux, les montagnes inquiètes,
Quand Diane en un lieu trop longtemps s'arrête...
Je n'ose imaginer Diane fermant les yeux,
Cautionnant un séjour prolongé des neuf Muses
Loin des trois monts sacrés où on peut les trouver.
Car si mon imagination ne s'y refuse
Pas, ma raison voit mal le Parnasse privé...
Mais sait-on jamais car Diane trouve son frère
Efféminé quand il joue de la lyre au pied
Du mont Pélion ou ailleurs, parfois en galère,
Pour son plaisir ou pour expier.
Ou quand il joue de la lyre pour sa chorale
Confondant son chant et quelque vapeur florale.
Si les Muses boudaient l'Olympe et l'Hélicon
Pour le Taygète et autres monts,
Les nymphes deviendraient vite, illico le siège
De l'androcée des neuf Muses prises au piège...
Telles ces mouches que les tourbières abrègent...
Telles ces mouches que les sucres désagrègent...
Apollon serait forcé d'aller réclamer
Les Muses à Diane avec un brin de causette...
Un argument de sa musette...
Et serait peut-être hué plutôt qu'acclamé...
Son propos dans le campement...
Bien que toujours déliées et magnifiquement
Libres en apparence, elles seraient préfixes
Des nymphes au début, mais le temps s'écoulant,
Les jours passant, elles deviendraient leurs suffixes...
Toujours à la traîne, de moins en moins prolixes...
Les Muses ignoreraient tout, ne sauraient rien
Des malheureux poèmes en train de s'écrire!
Des strophes inachevées souffrant le martyre!
N'opérerait plus le charme des entretiens
Passés, charmants, périlleux à enfreindre!
Leur lointain souvenir finirait par s'éteindre
Dans leur mémoire et leur esprit!
Voilà où mènent les baignades et les cris!
Ô éclaboussures! Comment alors dépeindre?
Comment composer bien?
Je ne sais trop! Je crois en effet que le pire
Serait la rupture de cet antique lien.
Au lieu de vagabonder avec le sourire,
Poètes erreraient vides, désaffectés.
La poésie serait anéantie
Au beau milieu des beaux jours de l'été!
Je n'accepterai sur ce point de repartie:
Le monde serait plongé dans un désarroi
Profond, extrême, immense, sans frontières.
Muses ne quitteraient plus torrents et rivières,
Subjuguées par leurs rivales; leurs reliquats?
Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?
Le pendant aquatique frappé d'amnésie?
N'inspirant aux ruisseaux que cette fantaisie:
Imiter vaguement le Léthé ou l'éther!
Ici tombent les pétales, s'écoule l'onde
Dont est amouraché le petit courant d'air...
Liquide ou planante la sonde...
On voit défiler les dépouilles des instants,
Celles qui useraient les dieux si l'ambroisie
Et le nectar, puissants comme la poésie,
Ne maintenaient en leur sein le printemps...
Pour les nymphes aussi, dans la flache automnale
Où la belle mire sa vingtaine boréale,
Rien ne change! Toujours de la fuite du temps
On parle, mais personne jamais ne s'avise
De donner un nom ou visage au poursuivant
Qui le harcelle... La course des eaux symbolise
Le passage du temps, mais aussi la cerise
Sur le gâteau quand elle traverse le parc
D'un château! Le fond du ruisseau est la patrie
De l'âme blessée qui méprise les ressacs,
Et par le flot insouciant la pensée meurtrie
Est soulagée. Combien de grammes ou de marcs
Pèse une feuille morte, ou brune, déposée
Au fond de l'eau? Au bord d'un lac
Feuille tendue par le rameau vers la rosée?
Je ne ressens nulle angoisse ou pression
Devant les eaux claires heureuses, adoptées
Par les yeux! Et si l'eau fraîche était pilotée
Par les Muses et non par la dissolution
Des jeunes filles? J'y vois les bonds des chevrettes
Quand l'eau s'oxygène, la flânerie du cerf
Ou de la biche quand elle traîne et nous sert
Un long silence qu'au loin une chute guette.
Mais, du temps, qui donc veut la mort?
Qui donc veut abréger son sort?
S'il y a bien fuite, s'il y a filature,
Le temps doit être un cerf dix cors
Poursuivi par quelque sauvage créature!
Et si le temps n'existe pas, probablement
Alors qu'il est déjà... mort! Et ce qui défile,
N'est-ce pas son enterrement?
Nous accompagnons sa dépouille tranquille!
Voilà à quoi servent sur terre les vivants!
Former un cortège coloré et changeant!
D'un cortège dispersé simples figurants!
Une fois les Muses dans le giron de Diane,
Les nymphes n'auraient pas besoin de lianes...
De foulards et autres coulis...
Aurait cours dans les bois un curieux hallali!
Voyez ces nymphes s'acharnant comme des chiennes
Contre le génie et la science des musiciennes
Avec des baignades, des nages dans un lit!
En exposant des poitrines et leurs derrières!
En dégageant de doux parfums avec leurs bras!
En infusant etcetera...
Assises avec bassins, pertes et fracas,
Anches de bombardes et hachis de hautbois,
Sur partitions et poèmes, sur l'almanach!
Voilà leur recette pour briser les carrières!
Pour scotcher les hommes éclairés dans les bois!
Muses ne pourraient plus revenir en arrière
Sur les plateaux, sous les sommets, glaçant effroi
Pour les dieux mêmes de l'Olympe!
Fini les répétitions qui laissent baba,
Les chants s'élevant agréablement d'en bas
Comme parfums aimant la grimpe.
Fini les récitals donnés sous les balcons!
Les Muses ébahies par les travaux d'aiguille
Des monts alpins! Roulades! Trilles!
Fini les gracieusetés du mont Hélicon
Dont la Béotie est farcie!
Fini Zeus exalté faisant des facéties!
Il ne resterait plus là-haut que les frimas!
Le tonnerre et les éclairs! Et le silence!
Et la lyre d'Apollon vaincue par le froid
N'arrivant plus à dégeler ses doigts.
Seule la vue sur l'Egée ferait diligence
Par temps clair pour atténuer l'effroi.
Le spleen pèserait sur l'Olympe!
Fini les chants, les brouillards dissipés
Par les neuf voix, les nuages émancipés!
Fini les éclaircies et les robes à guimpe
De Malines! Les Muses seraient à la fois
Entraînées, asservies, subjuguées et ravies
Par leurs rivales plutôt que par leurs amies!
Les nymphes sont moins réelles que l'au-delà...
Mais sont habituées à ce qu'on les dévie...
Faites aux disparitions comme aux boulimies
De bains et de récréations...
Pas les Muses, déesses de l'éducation...
Et maîtresses de l'inspiration poétique...
Muses obéiraient aux ordres aquatiques...
Muses obligées seraient à leur discrétion...
Et leurs voix perdraient peu à peu leur tessiture...
Pour les grands poètes, gardiens de la culture,
La ligne serait brouillée par de la friture...
Il n'y aurait plus de déesse au bout du fil...
Et c'est vrai que par les temps qui courent, l'exil
Volontaire de la Muse dans la nature,
Mosaïque de déserts, de hauts lieux
De plaisance se dévorant des yeux,
S'interpénétrant et se montrant élogieux
Bien que parfois sombres et ombrageux,
Peut s'avérer légitime, une embrasure...
Une solution idéale à leur mesure.
Phébus en personne ne crache pas sur un
Abri sommaire rafraîchi par des embruns,
Ceux s'en venant d'une cascade toute proche...
Embruns que le tumulte soulève, décoche,
Idéale personnification d'aucuns!
Dans ces beaux déserts se touchant les uns les autres,
Se frôlant et se pénétrant avec de l'eau,
Souffles d'air, feuilles, chants d'oiseaux,
Sont cachés les abris-sous-roches où se vautrent
Les nymphes pour échanger des riens essentiels,
Follement reposants! Souvent confidentiels!
Elles s'y retirent à deux ou trois, confiantes
Et confites par le miel du soleil, pendant
Que les autres font penser à des fruits fondant...
Aimablement dans la bouche consentante...
Du bassin où elles se baignent en secret,
Bassin doté de papilles et d'un palais.
Ô rochers évidés aux formes alléchantes,
Ne cesserait plus ici-bas leur dilection
Pour cette envoûtante récréation!
Ô retraite innocente et sympathique!
La récré tournerait au congé sabbatique!
Muses seraient fondues dans le milieu
Naturel, moins dissolues dans ces lieux
De plaisance se dévorant le jour des yeux
Que dissoutes à leur tour dans la flotte...
Ophélie rince le gosier des grottes...
Et au printemps, au bord des torrents fous,
Le poète tomberait sur leurs exuvies
Traînant sur des pierres ou des cailloux...
Drôles d'enveloppes! Ô sèches panoplies!
Placées hors de portée des torrents écumants,
Hors de portée de l'écume pendue aux lèvres
Des rochers! Tant il est vrai que c'est un aimant
Pour les yeux le fracas que la gorge soulève!
Exuvies de chants devenus chantonnements
Désinvoltes... Exuvies de marmonnements
Devenus profonds silences moussus ensuite?
Qui voudrait voir les Muses à cela réduites?
Peut-on ainsi se ressourcer?
Rajeunir de quelques semaines?
Les neuf Muses, vieillissent-elles?
Ne vont-elles pas plaintes choses y laisser
Si par le bout du nez les nymphes les promènent?
Les mènent en bateau à bord de leurs frêles...
Coquilles de noix jusqu'au bout...
Elles s'amusent d'un rien dans ces solitudes...
Cela fait partie de leurs aptitudes...
Nymphes, ne prenez vos jambes à votre cou
Si le poète apparaît devant vous
Pour les arracher à votre troupe!
Je ne tiens pas à cravacher,
Lacérer vos superbes croupes!
Mais il pourrait néanmoins se fâcher
Comme le cerf désavouant votre conduite,
Riant aux larmes de la perte du sérail,
Mais énervé par la défection du harpail,
La désertion du harem! Bombant le poitrail!
Médusant les biches que vous auriez séduites!
Captivées, capturées, emportées avec vous!
Pourquoi? Question fastoche comme tout!
Afin que la troupe de Diane fût plus large
Encore, plus légère, là-haut dans les marges
Où seuls les poètes viennent vous embêter!
Vous froncez les sourcils: " – Non! – Zut, encore un barde!
– C'est fou comme ils sont entêtés!
– Comme si Diane était d'amour une soiffarde!
– Pourquoi quittez-vous vos mansardes?
Nous n'avons pas besoin de vous pour exister!
Pour Diane, vous n'êtes rien! Que de la moutarde
Lui montant au nez dès que vous chantez!
– Il veut monter autour de nous la garde!
– Il veut être son amoureux et son amant!
– Non! – Si! – Pourquoi pas son calmant?
– Son antidépresseur! – En tout cas, ce poète,
S'il était son homme, ne serait pas cocu!
– Oui, aucun doute là-dessus!
Nous savons bien que jamais l'arbalète
Ne connaîtra la pression de ses mains!
Diane reste fidèle à son arc et ne tolère
Aucune intruse parmi les flèches amères
Décochées en un tournemain!
– Quelle audace! Quel culot! Quelle hardiesse!
– Elle va le mettre en pièces!
– Ecoutez-ça! Il veut devenir son époux
Et que nous devenions ses concubines!
– Soit ce barde est ivre, soit ce poète est fou!
– Il nous préfère à Colombine!
– Je crois bien qu'on aura tout vu!
– Moi, il me plaît, j'aimerais bien le voir tout nu!
– Il écrit des fables et dit aimer Horace!
– Comment faire pour qu'il trouve grâce
Aux yeux de la nièce de Neptune? C'est là,
Je crois, la seule et vraie question! Minute
Les filles avant d'aller informer Diana!
Je suis d'avis qu'on en discute.
– La télépathie provoque ces excursions;
Elle est le véhicule de l'inspiration!
Les Muses pensent trop à Diane!"
Qu'à vos lèvres, je reste suspendu!
Nymphes, vous n'avez encore rien entendu!
Et vous êtes mon fil d'Ariane
Pour remonter jusqu'à son arc et son carquois
Quand les neuf Muses me sèment au fond des bois!
Mon fil d'Ariane, voire une volée de flèches
Sensuelles qui vendent malgré elles la mèche!
Mon fil d'Ariane car remonter vers le bassin
Où vous nagez, c'est remonter vers la lumière!
Où joyeusement vous réchauffe l'atmosphère!
Rasades d'eau fraîche blanchissant à dessein
Les draps du lit, barbouillant la sombre nature,
N'aimant rien tant que les ruptures
De pente, j'aime voir vos braves, tous ces rocs
Blanchis, éclaboussés, encaissant tous les chocs!
Stoïques! Imbibent localement la terre
Où ils ne seront jamais attrape-poussières!
Comment ne pas aspirer à voir vos fourreaux?
Ne faites pas de moi un déchet que la lymphe
Entraînerait très loin des nymphes!
Je n'abjurerai pas les chutes de Moreau!
Le spectacle des eaux lointaines qui dévissent
Dans les forêts, s'enlisent dans les précipices!
Jamais lasses de reproduire le carreau
Sur place! Mais d'une légèreté extrême
Soulevant des embruns quand même!
C'est démentiel, ridiculiser l'oasis!
Vous courez sur les brisées du vent, l'air gratis
Vous soulève. Pour sertir pareilles gemmes
Volantes dans une source, chaud devant,
Il faudrait Vulcain, un stratagème!
Un orfèvre rompu aux fugues du couvent!
En attendant, elles m'ont toujours à leurs trousses,
Les Muses! (C'est peut-être pisser dans un violon,
Ou tisser verdure en laine plutôt qu'en mousse,
Qu'imaginer Diane trahissant Apollon.)
Je dois rafler ma peau, écorcher ma carcasse,
Je dois traverser des fourrés et des buissons
Sans ralentir, je dois nager comme un poisson
Dans l'eau, et ne pas être lâché par la grâce:
Les envolées des Muses et de leur esprit...
Essayant d'imiter les mouvements des Grâces...
C'est là un vœu pieux, un pari!
Allez, je me retrousse les manches
En plein vol au milieu des branches!
J'accepte de mortel ma pauvre condition!
Je suis leur nourrisson, pas leur progéniture!
Je me jette dans les bras de la volition...
Si vraiment leur intention est dans la nature
De rattraper Diane et ses amies: la fraîcheur
Qui peut être cueillie à l'aube,
Dans l'eau claire, après la daube
De la nuit noire, à l'heure du réveil flatteur;
En des lieux où la chute ne sonne, mais tonne
Toute la nuit! Les Muses filent, m'aiguillonnent,
Car je les vois là-bas bien qu'étant distancé.
Ne pas contourner les broussailles
Restant souvent accrochées à mes pas, c'est
Le prix à payer pour ne pas être semé!
Continuer à croire qu'on est leur marmaille!
Un jour peut-être des nymphes qui s'encanaillent
Arracheront à mon habit quelques lambeaux!
Ô nymphes, ne croyez pas que je me défroque!
Forcé que je débarque devant vous en loques
Si les Muses ne m'emportent sur un plateau
Et ne me déposent au pied de la cascade!
Celle choisie par Diane au cœur de la rasade!
Disons sur le coup de dix heures du matin
Quand le soleil fixe, rehausse votre teint!
Vous déployez alors une fanfaronnade
Quand les biches de la harde sont là
Avec leurs jeunes ayant à peine deux mois.
Elles agrémentent, ornent le voisinage.
Je n'aime rien tant que le naïf babillage
D'une source dans laquelle vous vous baignez,
Reproduite à intervalles irréguliers
Dans un paysage quasi crépusculaire.
Nymphes, déroulez un tapis d'eau claire
Le long des marches d'un vague escalier:
Je ne crains pas les railleries de l'avant-garde!
Les eaux qui se moquent, propos désobligeants!
Je me métamorphose lorsqu'on me brocarde!
Je peux devenir le cerf en quelques instants,
En moins de temps qu'il faut pour reprendre mon souffle!
Oui, nymphes, charriez les hommes à défaut
De vous offrir à eux comme pulpeux cadeaux
Tombés du ciel! Mettez vos gants, jetez vos moufles,
Nymphes, si le poète apparaît devant vous!
Faites-lui bon accueil, ne soyez pas ineptes!
Devenez eau bocagère, normande et tout!
Soyez aussi douces, avenantes que l'Epte!
Il est parfois ivre, mais souvent sans le sou!
Il confond votre bassin avec une coupe!
Il vous mate car votre vue coupe la faim!
Parfois, le poète bourré hâte sa fin
En avalant un verre d'eau glacée! Une loupe
Puisée dans l'eau gracile que vous animez!
Le notre, il échouera à vos pieds désarmé!
Visez-le qui s'amène en loques sans ramures
Sur la tête, sans épée, rondache ou armure!
Sans flûte! Avec une plume à la main!
Lâchant ici et là comme unique refrain
Une imitation délicate des murmures...
Entendus, appris en chemin...
Que vous taillez dans une eau froide qui susurre...
Il veut juste vous admirer, puis arracher
Les neuf Muses à votre troupe!
Réduire la taille de votre groupe!
Je ne tiens pas à cravacher,
Lacérer vos superbes croupes!
Je veux boire l'eau vive dans vos coupes
Moussues! Il espère ce jour depuis un bail!
Laissez-le composer et se mettre au travail
Devant vous; déballer son léger attirail!
Il se pourrait que la fraîcheur du poème
Fasse ondoyer le cocasse et le suprême
Au cœur du plaisant étalage des griefs;
Et révélât à vous autres, soit à vous-mêmes,
Vous concernant au premier chef,
Maints détails ravissants et maintes anecdotes
(De vos aventures passionnantes les reliefs).
Il chantera dans la nature pour les doctes
Sœurs! Mais en vous célébrant! Bref,
Il fera tout pour vous plaire!
Son ambition sera surtout de faire
En sorte que le remords puisse entrer
Dans ces dames, puisse les pénétrer
Sans forcer, en accrochant devant elles
Des tableaux trop légers, des brocatelles,
Des rochers moussus cramoisis.
En sculptant des portraits réalistes saisis
Sur le vif, en gravant des rires de donzelles,
En sculptant mille bouillons de dentelles!
En tissant des dames qui sachent accoster.
Rien de tel qu'un sincère remords pour lester
Ces frangines devenues trop légères!
Simples baigneuses et lingères!
Il s'agit bien dans le doute de les jeter!
Il s'agit surtout de les faire mijoter
En des lieux où chaque jour mille insectes
Sont emportés par le courant qui vous délecte.
Au point de leur insuffler le spleen? Non!
Qu'au bout d'une heure, sans faute,
Tout à coup elles sursautent!
Mais pourra-t-il encore faire la distinction
Entre vous et les déesses de l'Hélicon?
Rien n'est moins sûr si demain être vos sosies
Enchante les déesses de la poésie!
Car vous, nymphes, vous pouvez certes inspirer,
Mais devenir Muse, cela, vous ne pourrez!
Je ne dirai pas que vous êtes des linottes,
Mais ce n'est pas par le savoir que vous brillez
Malgré une jolie science du rythme, allez,
Quand le ruisseau gronde, dépote.
Ce n'est pas avec vous qu'elles pourront réa-
Liser d'éventuelles ambitions orchestrales...
Mais auprès de vous la béa-
Titude ne lasse! Terrestre et magistrale,
Elle survient avec aisance et naturel...
Elle ne vient pas comme un cheveu sur la soupe...
Elle arraisonne votre patio temporel...
Assaisonne ceux qui contemplent votre troupe...
Il est certain que vous n'avez besoin de rien.
Pareilles aux sages! Si bien
Que jamais vous ne marmonnerez des prières
Pour épouser des Muses la carrière!
Votre lot vous va comme un gant.
Une seule ambition: rester fidèle à Diane!
Cueillir des myrtilles, embaumer la gentiane!
Les monts ont besoin d'elles pour être fringants!
Peut-être se nourrissent-elles
Des regards des intrus les dévorant des yeux!
Si c'est le cas, elles cachent très bien leur jeu!
Elle garde la ligne comme les passerelles!
Dès que l'eau déserte son corps
Ambidextre la nymphe est gauche!
Et quand le ravissant ruisseau s'écoule et fauche
Les jours, la nymphe ne peut s'empêcher au bord
D'être la souillon (dans le brouillon) du poème!
Ô saponaire, elle resplendit tout de même...
Bien que n'étant pas musicienne pour trois sous!
Rien de plus profond ou de plus profonde
Qu'une nymphe allongée au bord de l'onde...
La nymphe oublie vite et quasiment tout!
La Muse, certes, ne sait pas jouer de tous
Les instruments! Mais comme elles sont neuf, essaiment,
Ni trop graves, ni trop aigües, leurs voix...
Leurs chants... dans la nature et dans les bois...
Leurs chants que les feuillages aiment...
Le clavecin rêve tous les jours à leurs doigts...
Vous ne rêvez pas même à l'épinette! "Quoi?"
Surtout, Muses volent, s'invitent,
Elles risquent d'arriver longtemps avant moi
Dans votre campement qui se lève très vite
Lui aussi! Dès que Diane claque dans ses doigts!
Campement toujours improvisé, très sommaire,
On ne peut plus mortel et humain, éphémère,
Aussi aisé à enlever qu'à
Dresser, enjoliver! Vraie feuille de lambrusque!
Aussitôt s'allégeant devant vous de leurs frusques,
De leurs longues robes, de ce fameux péplos
Qui recouvre la chair, les os,
Personne au bord de l'eau cela n'offusque.
Une vraie jouissance, ça leur procurera,
Et flèche non négligeable dans leur carquois
Est une surprise, soit un changement brusque
De ton ou d'image, un renversement soudain,
Non du couplet, mais du refrain:
"Arrière! Les Muses ne sont pas des Sabines!
Et encore moins des bambines!"
Il cherchera à vous amadouer,
Et pour ce faire finira par vous louer,
Et comme les Muses prirent soin de ses langes,
Le poète prendra soin, lui, de vos louanges.
Sinon de vos flirts et amours.
Mais son but sera surtout en l'espèce
De les extraire au final de vos alentours
En se réjouissant fort des lenteurs et détours.
Peut-être pour charmer Diane qui acquiesce-
Ra! Après quoi, les Muses n'oublieront
De sitôt si belle équipée, fugue, aventure,
Emouvante villégiature,
Et souvent ensemble en riront!
Se remémoreront vos gestes, vos postures,
Vos cambrures, vos propos délicieusement
Terre à terre, frivoles, prosaïques!
Et sur leurs hauts plateaux gazonnés dominant
Les versants forestiers et bucoliques
Souvent en pensée vous effleureront.
De leur passage parmi vous se souviendront
Non pas comme d'une erreur de jeunesse
Commise à l'âge de raison,
Mais comme d'une nécessité de saison
Programmée de longue date par la sagesse.
Ô cascades et bassins engloutis, perrons...
Des grottes et des bouches d'ombre!
Perrons des royaumes humides de la pénombre!
Grâce à moi, très souvent, elles vous reverront!
J'aime entendre une eau fracassante
Dans une verdure sauvage et vibrante,
Assombrie, évoquant les bords de l'Achéron.
Je disais: si les neuf Muses étaient serties
Un jour dans la troupe jamais flétrie
De Diane (dont Diane constitue le fleuron),
Dans la corolle où serait fondue leur chorale,
La tige serait leur colonne vertébrale!
Et le poète serait bel et bien perdu
Sauf à vouloir chanter, célébrer ses pétales:
Ses beautés craintives, chair vive qui détale
Au moindre bruit suspect ou geste défendu...
Chair vive aux chevilles jamais enflées...
La flamme du poète serait vite soufflée...
Par un grand jour de soleil au cœur de l'été!
J'insiste sur l'effet que produirait leur bande
Sur les Muses (pour ceux qui mal entendent):
Sauf à les suivre là-bas avec volupté,
Et à pondre sur elles des volumes
Bondés de nymphes et gorgés d'écume,
Je serais vite fauché par le vent d'été...
Ou soufflé comme l'aigrette héliporté...
Lèvres gercées du poète resteraient sèches,
Sauf à chanter Diane et à vanter les séjours
De ses amies, les torrents aveugles et sourds!
Les noiraudes forêts de résineux, les gours
Bleus. Pour les autres chants, la dèche!
Par ricochet, les poètes seraient touchés.
Contraints vers la bouteille de loucher.
Leur plume deviendrait leur bêche!
Fini déesses souriant devant les fauteuils
Poussés avec empressement devant elles!
Adieu Pégase, chevauchons des haridelles!
Singeons Phaéton plutôt que les hirondelles!
Les montagnes ne seraient plus que des écueils
Surchargés de brisants! Les vallées des cercueils!
Les Muses ne reviendraient plus auprès des hommes!
Bien que grecques, Muses vivraient autour de Rome!
Bien converties à Diane en somme!
Et les nymphes seules récolteraient leur miel!
Dedans, Diane tremperait longuement ses flèches...
Muses, ce n'est pas commettre un péché véniel
Embrasser Diane et son art de vivre un peu rêche...
Si, pour les autres chants, ça implique la dèche!
Diane seule serait célébrée comme il faut!
Apollon n'y trouverait rien trop à redire!
Car vivre au milieu des nymphes pouffant de rire,
Les Immortels eux-mêmes en rêvent là-haut!
Les autres dieux et déesses,
Jaloux du cerf, de la nymphe et de l'écureuil,
Jaloux de Diane et de la biche, et des gonzesses
Aquatiques, ils dépériraient à vue d'œil,
Soit snobés comme dans la poésie moderne,
Soit réduits aux rôles de figurants un peu ternes
Faisant juste joli: jauni dans le décor?
L'effet d'un vent venu du nord?
Les poèmes maritimes feraient naufrage!
Les bateaux seraient émaciés
Et flétris par les navigations et voyages!
Fanés! Jamais décrits, jamais circonstanciés!
Grâces se fouleraient les chevilles, entorses
Les accableraient dès le printemps revenu.
Les crimes et injustices ne seraient plus
Dépeints, dénoncés avec force!
Nombre de vérités tomberaient dans l'oubli!
Les preux mensonges ne seraient plus anoblis
Par la poésie! Le temps qui marche et trottine,
Se mettrait-il à cavaler et à sprinter
Pour abréger l'absence des Muses palatines?
Pressé que soit faite, dite la vérité?
Chanter Diane pour composer de bons poèmes
Réduits à un seul thème et à quelques sujets,
Ou se taire pour rien écrire de mauvais?
Tous les poètes feraient face à ce dilemme!
Des poètes iraient vivre dans le Latium
Puisque là-bas avec leurs voix et leur médium
Les neuf Muses seraient chez elles!
Leur espoir? Rétablir des passerelles?
Les croiser sur un mont au détour d'un chemin?
Faire naître en eux le désir irrépressible
De chanter des nymphes italiennes? Possible!
Mais attention! Sont très possessifs les bassins!
Elles médusent, les baigneuses, et amorcent,
Et avec les nymphes se baigner est un art!
Qui peut laisser sans voix, admiratif, sans force...
Transi! Ballot! Diane peut hâter le départ...
Le poète passerait ses journées la tête
En l'air, les yeux vagues, perdus,
Les regards humides pendus aux crêtes
Comme linge mis à sécher, vite fondu
Par le soleil ou les étoiles...
Ainsi fondent à l'horizon les voiles.
Il interrogerait les sommets sous les pics,
Les rochers, les saillies, les éboulis grandioses,
Prenant pour des indices, des indics,
Lambeaux de brume de chair rose,
Mais ne trouverait pas la chose
Du dernier chic!
Dans ces éboulis de rocs
Ou éboulements de lierre,
Sur ces pentes où les sentiers
Divaguent mélangés aux pierres,
Le regard désemparé cherche des moitiés.
Il est aspiré par les pelotons de brume.
Les nymphes ne se consument: elles enfument
Les monts avec leurs nuages de vapeur d'eau.
Le torrent, lui, n'a pas le serpent dans la peau!
En retard à son rendez-vous, il ne renonce...
Il dévale le perron comme un fou, il fonce...
Il s'éclate à travers la verdure aux oiseaux!
Les Muses et Diane n'occupent pas les mêmes
Etages; les nymphes sont frileuses: souvent,
Elles boudent l'ubac de Borée, et au vent
Elles préfèrent la brise et le souffle, crèmes
Du courant d'air, et le doux soleil de l'adret!
Les Muses, elles, ne craignent pas les sommets:
Les glaciers, les névés, et autres lieux de fonte;
Les hauts plateaux à herbe rase où les bergers
Font paître brebis et agneaux, leurs protégés.
Elles sont réchauffées: à l'heure de la tonte
Des lainages, leurs beaux chants font l'effet
Du soleil printanier! Il n'est rien d'aigrelet
Alors! Il ne coule, tonitrue que du lait!
La neige, elle peut fondre
Sans regret, guidée par les rayons du soleil
Auxquels les pâturages des Muses répondent.
Mais c'est à peine si Muses tendent l'orteil,
Un orteil rosé que l'eau glacé rend vermeil.
L'étage nival et l'étage alpin n'hésitent
Pas à les retenir sur leurs plateaux herbeux.
C'est là que les neuf Muses résident et gîtent,
Et répètent leurs chants, et conservent la frite,
Elaguent poèmes, rient un peu des bas-bleus.
Non, pas de danger que les nymphes aillent
Les déranger au bord des failles!
Là où devant le sublime raison défaille!
Là, elles crèchent tranquilles, elles travaillent
En paix, elles admirent les premières mailles...
Cela dit, elles ne crachent pas sur les pins,
Sur les étages montagnard et subalpin.
Souvent, elles quittent le plateau et la scène
Du mont Olympe, ou la source pérenne
De l'étalon, et c'est un fait qu'au mois d'avril,
Avec la fonte des neiges qui les entraîne
Vers les forêts, le poète court le péril
De les perdre de vue! Cela dit, en avril,
Ne te découvre pas d'un fil...
Elles volent alors où les torrents assènent
Leurs chutes étouffées par la forêt ancienne.
Leurs voix peuvent donc te croiser,
Et comme les tiennes, leurs volontés sont droites!
Elles fréquentent des envers discrets, boisés;
Des endroits tortueux qui aiment pavoiser
Des sources d'inspiration profondes, étroites,
Encaissées dans l'ombre! Lovées dans le secret.
Vous planez au-delà même du guilleret!
Comme si vous étiez à l'espérance en proie,
Leur apparition parmi vous sème une joie
Contagieuse: tes amies ne chatoient
Jamais autant dans les bassins; une courroie
D'excitation enfantine répand la joie
Parmi vous! Vous délaissez un moment
Vos vases, vos coupes, vos vasques; se répand
La bonne nouvelle comme traînée de poudre;
Impossible de la voir dans l'eau se dissoudre,
La jeune fille! On voit s'épanouir une fleur
Où les neuf pétales savent mettre en valeur
Les sépales faisant cercle en petite tenue.
La fleur ne fait qu'embaumer à première vue:
Vous êtes faites pour vous entendre! Vos cœurs
Sont purs, et vos mains ne sont jamais moites!
Jamais précipitées de malheur en malheur
Vous ne fûtes, et nul ne peut vous mettre en boîte!
Elles portent des tissus fins,
Limpides, verts, comme ailes de cigales,
Des souffles d'air! Des vêtements en lin,
Blancs allégés, neige intégrale,
Vous vont mieux au bord des bassins.
Mais sur la même longueur d'onde
Vous n'êtes pas toujours en ce monde!
Les abîmes demeurent nombreux entre vous...
Si vos rencontres au lieu d'être fugitives
Et fortuites s'éternisaient en rendez-vous
Réguliers, peut-être deviendrais-tu rétive!
Rebelle! Et à les accueillir à bras ouverts
Inclinerais-tu moins! Beaucoup moins flexueuse!
Les Muses n'aiment pas que les plateaux déserts,
Elles chérissent les rivières sinueuses
Et paresseuses longées par des prés fleuris...
Toi, Diane, tu aimes les pentes, les abris
Précaires (où seuls les rayons vous débusquent,
Délabrés), ornant les versants boisés des monts.
Avec le torrent pour école et diapason,
Ton franc-parler te donne des airs brusques!
Les Muses hésitent à livrer leurs répons
Et sont vite lasses de tes courses de fond.
Belles rencontres au sommet sont clairsemées
Dans la nature: je parle de celles semées
Par la main du hasard ou la main de l'ennui,
Celles fortuites et purement amicales
Ne devant rien aux répétitions musicales.
Celles où les neuf Muses surgissent des buis
Dégingandés, ravies, sans prévenir! La fausse
Jumelle d'Apollon sourit: elle sait bien
Que leur apparition rehausse
Sa troupe! Bien que son blason n'ait pas besoin
D'être doré le moins du monde
Par quelques Muses vagabondes!
Tout ce qu'elles touchent... Miel toutes fleurs devient...
Bientôt, les Muses se déchaussent,
Car bien des choses à cette heure elles exaucent
En Italie... En mai, juin,
Juillet, août ou septembre!
Raout printanier et divin...
Les ruisseaux ont du mal à descendre...
Poursuivre leur course, se faire entendre...
On parle d'happening du côté des monts Sabins!
Les Muses ne quittent la Grèce
Qu'à de très rares occasions.
Elles baignent partout dans l'allégresse.
Inspirer procure une dose d'évasion.
Et toi, tu ne recherches pas les effusions
Avec elles, Diane, mais tu ne les éventes
Pas non plus quand les Muses se présentent,
Formant moins une phalange qu'un essaim!
Noblesse salue la roture des bassins!
Dès qu'elles vous voient en retrait d'Ostie,
De Rome et des marais Pontins,
C'est la garantie d'une amortie réussie
Dans la forêt, au bord du bassin,
En votre sein.
La garantie aussi que tu rougisses!
Car leur venue n'est pas exempte d'un supplice!
Tous les regards te poignardent... et tu pâlis
Quand leurs chants montent sous les arches
De verdure, dans les lierres des vieux chablis,
Cachant la pourriture de l'arbre anobli
Par la mort et le temps! Que la terre le sache:
Tu danses seulement quand tu voles ou marches
Entourée de murmures et de gazouillis!
Les chants des Muses te clouent au sol! Ils te rivent
Sur ton rocher quand les nymphes accourent, sont
Là, pourraient te voir danser, entrer en transe, ivre,
Pitoyable, parcourue de frissons!
Les neuf Muses te paralysent quand ton frère
N'est pas présent avec sa lyre d'or: tu bats
Le rythme et la mesure dans les bois,
Certes, mais c'est tout ce que tu peux faire
Avec tes pieds... Raides les bras...
Presque roides, cadavériques,
Pendant que les nymphes sortent du bain
Pour rejoindre les Muses dynamiques
Qui leur tendent les mains...
Une ou deux jouent, deux ou trois chantent,
Cinq ou six s'agitent, tendent leurs mains
Vers les nymphes souriantes...
Baigneuses que les voix aimantent...
Elles formaient une fleur épanouie dans l'eau:
Un nymphéa! Ce n'était donc pas la totale,
Jambes cachées sous l'eau
Pour ne pas tenter un Tantale!
La taille bien sûr au niveau!
Une corolle de pétales...
Je veux dire: bras blancs éclaboussant
La voisine, mais voici que la fleur baignant
Dans l'eau se découvre des jambes...
Le chant fait mieux qu'un dithyrambe...
Les Muses tirent de l'eau notre nymphéa
Qui devient ronde et farandole sur la rive!
Diane ne prend part à cette dérive...
Diane sourit, contemple, rit, laisse faire à
Ce moment-là! Elle trouve une excuse
Pour ne pas intégrer la danse et reste près
Du ruisseau où elle se fait oublier. Ruse
Qui fonctionne car les nymphes n'ont alors pas
La tête à taquiner, à chagriner quiconque.
Elles dansent et que leur élan rien ne tronque!
Diane tape la mesure dans son coin, à
L'écart... Restent raides les bras...
Si les Muses mélangent les nymphes et la
Musique, des Grâces voulant en faire!
Bah, après tout, c'est leur affaire!
Et tout cela ne te concerne pas.
Les bruits de la nature sont efflorescence
Assez douce à tes oreilles! Ici-bas
Suffit largement un profond silence
Roi, égratigné près de toi par les blablas
Des nymphes! Les mélodies des eaux! Evidences
Des ruisseaux! L'été, il est une somnolence
Reine mâtinée de coups d'archet et de voix!
Le froufrou des ailes plus doux à tes oreilles
Que le chant de l'oiseau qui réveille; le bec,
C'est la pointe de la flèche ou la baie d'airelle,
C'est la gorgée qui va avec:
L'invention de la goutte de rosée
Dont la feuille n'est empesée!
Pourquoi dès lors l'évanouir aussi sec?
Par les chants tu es inhibée,
Autant que par les sigisbées,
Quand les nymphes braquent leurs yeux,
Les prunelles de leurs yeux sur toi! Très fébrile
Alors tu deviens sous leurs iris, leurs pupilles!
Comme si tu redevenais petite fille!
Ne jamais montrer frivole sous les cieux
Diane se laissant aller avec un corps en nage!
Rien qu'y penser, la sueur froide se dégage...
De tes pores... C'est à peine si la moiteur
Pénètre les Muses écopant des hauteurs!
C'est l'impression qu'elles dégagent
Avec leurs corps et leurs visages
Quand elles dansent en présence de Phébus
Et que perle de la sueur sous leurs aisselles!
Ô partitions en papyrus!
Elles possèdent les clefs musicales! Elles
Brandissent les doubles des clés
Et nymphes glissent où elles veulent aller.
Diane, le ton épistolaire me délasse
Autant que la vue des trois Grâces.
Il m'arrache à l'idée d'un poète amoché,
Contusionné, griffé par la nature,
Déchiqueté, décoré par ses écorchures!
Il fait couler le miel suintant du rocher.
La douceur lui semble être acquise
Naturellement!
Les Muses ne sont plus requises
Dès qu'il s'épanche simplement!
Aussi adroit que la chèvre ou la bique
Familière des prouesses acrobatiques,
Il m'enlève vers le plateau du mont Ida,
Vers l'herbe rase pascale du mont crétois!
Vers les troupeaux se déplaçant ici et là!
Au bout, le chemin caillouteux, cadavérique,
Débouche sur un col, sur un hymne homérique!
Peut-on concevoir plus grande délectation
Que réjouir (déconcerter?) l'oreille de Diane?
Que captiver son attention dans la montagne?
Que restaurer sa fabrique ou son pavillon?
Franchirai-je le Rubicon? Me passerai-je
Du concours des neuf Muses pour
Chanter Diane? De leur arpèges
Pour chanter les baignades dans les gours?
Leur rendrai-je un précieux service
En ne les frottant pas à de telles délices?
Je ne veux pas les soumettre à la tentation
Ou leur imposer de force une direction.
C'est à elles seules de décider, à elles
De me devancer; ou rebelles,
Ou prudentes, de m'abandonner à mon sort.
Je me débrouillerai sans elles car les ailes
Des oiseaux les remplaceront de prime abord.
Tant pis si les neuf Muses
Jamais fumeuses et abstruses,
Qui délayent, dissipent les obscurités
(Comme Apollon diffère les clartés),
Nous privent aujourd'hui de leur chorale
Comme si elles étaient réduites à quia,
Méfiantes à l'égard du lit et du substrat,
Craignant un naufrage de la morale.
Elles ne veulent pas d'un suaire de cristal
Ne cachant rien dans l'ombre et ravissant l'oreille!
D'un trop long séjour pouvant leur être fatal!
Ô suage du vaisseau neuf qui appareille!
Croient-elles vraiment que je pourrais débaucher
Diane? Croient-elles vraiment que je sois doté
D'un tel pouvoir? Si c'est le cas, elles me flattent
Mieux qu'un renard! Pensent-elles vraiment que les
Nymphes hésitent devant moi, se tâtent?
Je suppose qu'elles se connaissent fort bien
Et savent où gît leur intérêt (et le mien)
Mieux que je ne saurai jamais! Je leur pardonne
Si ce poème non esquissé sur le motif,
Mais bien ébauché sur le vif,
Les inquiète et les désarçonne,
Et leur fait entrevoir des tableaux trop lascifs.
Je leur pardonne une défection éventuelle,
Un refus de me suivre dans ces bagatelles!
Moi, je n'ai rien, mais alors rien du tout!
Contre une échappée au pied des cascades!
Contre une frasque, une incartade!
Je revendique haut et fort pareille tocade!
Il me plaît de leur paraître fantasque et fou!
Et de voir leurs drôles de tête
Pendant qu'Erato sourit! Il ne me débecte
De les déconcerter! Je ne suis leur toutou!
Nous pouvons remettre à plus tard nos entrevues.
Dans mon atelier, je ne la joue pas perso!
Percent eaux...
Elles seront toujours les bienvenues
Pour délivrer leurs points de vue,
Proposer retouches, ordonner correctifs.
Dans mon studio, je la joue collectif!
Plus il y aura de Muses, plus de modèles
Il y aura aussi pour un oubli pallier
Au cas où ma mémoire serait infidèle,
Au cas où mes yeux voudraient revoir un plié.
Je me vois déjà accrochant une folie
Sur un éperon quelque part en Italie!
Ou raturant d'un trait comme si Jupiter
Lâchait quelques notes de flûte: oui, un éclair!
Tout cela bien évidemment sous leur dictée
Rappelant l'ivresse des premières tétées!