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L'Epervier de Diane (début du poème, version quasi définitive)


Diane et les Muses

Cérès lia en gerbe les Muses 

Pour empêcher leur fuite dans les bois!

Leur évanouissement dans les forêts qui diffusent

Tes amies, les nymphes... C'est là

Prudence, précaution pure, je crois

(Je parie même que le lien ne se sent pas),  

Mais on ne sait jamais: les Muses

N'ont pas froid aux yeux! 

Leur pardonnent tout les dieux.

Les Muses trouveraient aisément mille excuses

Pour aller grossir le nombre et polir l'éclat

De tes amies, nymphes sensuelles qui refusent

De s'offrir, mais qui batifolent avec toi.   

Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?

Leur dérapage au fond des bois?

La tentation de les rejoindre est bien réelle

Car ces Grâces-là nagent en plus de danser,

N'ont pas besoin pour s'élancer 

D'entendre les chants des neuf immortelles. 

La mélodie des eaux vives, des cascatelles,

Portée par les souffles légers du vent  

Dans les feuillages, elle suffit amplement.

Non seulement elles dansent, oui, elles peuvent,

Elles portent encore moins de vêtements

Que les Grâces! Surtout, faisant peau neuve,

Elles se meuvent lestement pour s'égoutter,

Allant et venant sur la berge

De façon à ce que le soleil les allège.

Il faut de nouvelles grâces quand vient l'été,   

Car le printemps même,

Hélas, défraîchit les siennes

Avant les feux de la Saint-Jean.

Les Grâces ne supportent les chaleurs torrides...  

Elles s'endorment, font la sieste... Ne touchant

Plus terre en été, tes amies, elles, à brides

Abattues, continuent d'aller en chevauchant

Les brises, les zéphyrs, les vents... 

Je l'affirme solennellement et d'emblée,

Et ma voix ne va pas trembler: 

Si les neuf Muses s'engageaient dans cette voie,

Sécheraient bientôt leurs chants a cappella... 

Etalés sur les rochers comme du beau linge...

Elles ne mettraient jamais le holà,    

Fin ou le bémol à cette nouvelle vie: 

Les Muses perdraient le goût et l'envie 

De gazouiller avec les enfants d'Apollon.

Elles ne quitteraient plus, Diane, le salon

Si évanescent de tes compagnes, les nymphes.

Fini les hommages des vierges de l'Hélicon! 

Fini tirades inspirées sous les balcons!

On les verrait en Italie plutôt qu'en Grèce,

Et les poètes n'auraient plus qu'à consoler

Les pauvres Charites plongées dans la détresse.

Le monde serait submergé par le malheur!

La nature, cette merveille auréolée 

De paroles, de chants, de parfums, de couleurs, 

Bondée de symboles, d'animaux et de fleurs,

Au moment même où elle ferait le bonheur

Des neuf Muses, ne serait plus qu'un mausolée

Peuplé de poèmes mort-nés dans la douleur.

Le manque d'inspiration est un ver qui ronge

Son homme. Portant leur croix, leur fil barbelé

Sur le chef, la couronne de fil enroulé,  

Les poètes erreraient seuls et désolés

Dans des élégies à rallonges.

On chercherait en vain dans cette production 

Famélique un vieux fonds de bagatelle,

La trace d'une inhumaine, simple mortelle...  

Le prénom d'une belle aux superbes poumons. 

On en ferait des tonnes sur Muses absentes,

Evaporées, exténuantes

Pour les célestes Charites dans l'affliction.

Que de larmes! Que de mouchoirs! Et que d'éponges!

Les vérités ne seraient pas filles des songes, 

Non, certes (car elles ne le seront jamais:

Aux clairvoyances viennent s'ajouter les faits,

Et quand sont absentes les preuves,

La vérité ne peut déchoir; 

La vérité est juste veuve;  

Elle flotte drapée dans un long habit noir.

Mais ne croyez pas qu'elle pleure, 

S'oublie, se morfond ou se meure:

Elle est vivante et ne fait que pâlir.

Le temps ne pourra que la raffermir),

Mais elles pleureraient la perte des mensonges!  

Je parle de ceux qui, révélés par les vers, 

Expriment la vertu et se montrent diserts.

Etant par leurs couleurs et par leur bonhomie,

Par leur charmante anatomie,

Aux autres mensonges peuplant notre univers

Ce que les Champs-Elysées peuvent être aux enfers!

Je parle de ceux que les neuf Muses allongent

D'eau pure et de clarté! Ils sont des alcools forts

Qui savent reconnaître et amalgamer l'or!

Les vérités (elles font partie de l'hygiène),

Aux mensonges de qualité, ne font pas peur!

Ils aiment les défis, c'est tout à leur honneur!

Ils adorent les vérités, leur oxygène! 

Les dépouillent de leurs graves habits de deuil

Si besoin est, puis ils leur rendent le sourire;  

Valeureux chevaliers servants et joyeux sires

Auxquels ces dames réservent un bon accueil.

Temps béni des tournois, des blasons, des emblèmes, 

Des croisades légitimes et des carêmes,

Des belles vérités parcourues de frissons

Quand un mensonge s'agenouille et dit: Je t'aime!

Ainsi des Muses dont les âmes sont 

Imperméables aux angoisses!  

Ainsi des Muses dont les chants ne froissent,

Dont les mensonges qui ressemblent à du vrai 

Ne collent, ne poissent jamais!

Ainsi des Muses qui ne comptent pas leurs heures

Sous l'Olympe enneigé où brille leur demeure.

Ainsi des Muses dont le principal époux

Est bien le dieu de la vérité en personne: 

Apollon! Grecques ou saxonnes,

Je les aime vierges, doctes et sans tabous.

Je sais bien qu'elles resteront jeunes et souples

Bien que célibataires et jamais en couple.

Vieilles filles et la hantise des tyrans!

Je suis bon prince et tolérant: 

La liberté leur est laissée

De prendre des amants imaginaires qui

Occupent leurs songes et leur pensées; 

Ainsi elles volent, souvent ensemencées. 

Pour ce qui est du monde réel (riquiqui?),

On ne les verra jamais chez moi amoureuses,

Eprises de quelque poète, Orphée ou dieu;

Oublieuses de leurs devoirs et dons précieux.     

Je laisse cela aux mortelles désireuses

De recevoir les confidences des hauts lieux.

Entre toutes ces créatures du beau sexe, 

Il me plaît d'être un intermédiaire avéré,

Une sorte de roseau (parfois très perplexe,

Plutôt accommodant, que jamais rien ne vexe), 

Dans lequel Muses peuvent souffler, délirer. 

On ne les verra jamais chez moi amoureuses,

Blessées, désespérées, inquiètes ou anxieuses,

Toutes foulant les platebandes d'Erato! 

Toutes se détournant des nymphes de facto!

Pour bien chanter la chasseresse Diane, 

Leur faut-il fuguer à neuf dans les bois

Sur ses traces? Doit-on leur emboîter le pas?

Escalader rochers, se balancer aux lianes?

Seul moyen de les conserver auprès de soi, 

Quitte à se mettre minable! En piteux état! 

Ou à quelque brise qui participe,

Quelque souffle d'air inspiré,

Faut-il plutôt que je m'agrippe

Comme si lui seul pouvait ne pas errer?

Si elles sont déjà parties

En forêt sur les traces de Diane, lâchant

Apollon taiseux pour sa sœur introvertie...

Lâchant la musique, sinon le chant,

Pour les nymphes bien assorties,  

Bien joué! Les Muses qui ne savent gésir  

Sont premières à me lire quoi que j'écrive 

Penché sur l'établi ou debout sur la rive.

Tant mieux si pour elles mes désirs   

Sont des ordres ou des requêtes 

Qui deviennent réalité!

En effet, pourquoi ne pas prendre le poète

Au mot? Pourquoi ses ailes et ses volontés

Ne pas faire? Ses intuitions ne pas lester, 

Et ses désirs secrets ne pas concrétiser,

Anticiper? S'en faire une joie, une fête? 

Fini l'échauffement, plus rien ne les arrête:

Je leur cours après (je les talonne?) en sachant

Que les nymphes ne tombent pas toutes rôties

Dans le bec (n'étant ni des oies ni des hosties!) 

Je leur cours après (je les talonne?) en tâchant

De ne pas les perdre de vue!

Elles volent aussi vite que les oiseaux 

Et seront d'ici peu dans vos parages

Pour peu que séduites par des ramages

Vous vous dissipiez au bord d'un ruisseau.

Je veux être le témoin de vos entrevues

Et l'auditeur jamais tari  

De vos conciliabules nourris

D'eau fraîche qui l'enthousiasme soulèvent!

Un parfum enivrant peut entrer dans un rêve! 

Venir remuer dans son sommeil le dormeur!

Muses, vous traversez la forêt! La rumeur 

Du ruisseau doublé d'écume, c'est la parole

Des nymphes doublée de candeur! C'est un lâcher

De barres: devant moi les Muses caracolent! 

Elles font voir ce qu'est un savoir dépêché!

De leur élan je suis désormais entaché

Dans la verte contrée des charmantes ténèbres! 

Dans les forêts trouées comme un tombeau funèbre

Par des flots de lumière en décélération!

Elles savent où accourir, où elles volent... 

Entre mille branches, cette navigation

Doit beaucoup à Hermès et à Eole.

Et sans même y faire attention,

Elles cueillent en vol, au passage, des trilles,

Des roulades, révélations,  

Bouts d'eux-mêmes que les oiseaux distillent.  

La bergeronnette fait signe de ralentir

Avec sa queue! En vain! Je ne vais pas mentir!

Elle trottine sur berge, elle ne sèche

Son poste! Pierres moussues à l'appui!

Un lâcher de nymphes (un nuage de flèches?)  

Les précède, frais émoulu d'une longue nuit

De sommeil à la belle étoile!  

Jamais je n'ai été si réveillé!

Si satisfait d'être aspiré dans une toile!

Ce n'est pas le moment de bégayer!

Les doubler? Par quel sortilège,  

Ma foi, le pourrais-je?

Elles ne composent une valse de fleurs!

Pourtant, il me faudrait en vol doubler le leur:

J'aimerais tant voir leur arrivée opportune

Dans le campement provisoire de fortune!

Dressé à la va-vite en

Deux temps trois mouvements

Par les nymphes aux vingtaines de printemps.

Peut-être un peu moins sous la lune!

Décélérations progressives de chacune!

Eau que oui! Entendre les hourras et les cris

Des nymphes aux anges, louloutes ou souris! 

Ne pas manquer la moindre goutte

De vos échanges sous la voûte

Toutes ouïes des feuillages! Oui, voyons  

Pendus aux branches

Des rayons de soleil, des avalanches

De linge frais, la lumière en haillons!

Cela va et vient dès que l'aurore suggère

Le soleil! Vous ne dormez pas comme des loirs!

Levées et surgies dès l'aube de nulle part

Comme au printemps les primevères,

Vous petit-déjeunez de trois fois rien,

Vous collationnez bel et bien

Les premiers rayons de la soleillée

Qui réveillera Diane encore ensommeillée.

Cachez donc ce reflet! Brisez-moi ce miroir!

Ne me distrayez pas avec des simulacres!

Faites comme si elles descendaient d'un fiacre  

Versant le jour ensoleillé dans un manoir

Naturel fait d'arbres, de buissons, de fougères.

Je veux voir comment Diane va les recevoir...

Si elle pourrait les confisquer à son frère

Apollon (qui admire leur clarté    

Et tempère leur volubilité). 

Beaucoup me croient ailé, rapide, 

Car je suis poète, capable d'enfiler

Sandalettes et autre pensées à mes pieds, 

Mais, dans les faits, seule la volupté me guide, 

Réclamant qu'à l'eau fraîche mon destin soit lié.  

Je me laisse aller, oui, je me laisse délier   

Au fil de l'eau douce qui veut de moi pour maître 

Tant mon âme de l'eau vive aime à se repaître.

Je m'étonne fort de l'absence de gradins.

Je croise déjà en chemin pas mal de hêtres!

Je vole, ne crains pas racines et gadins!  

Je cueille le courant d'air pur qui vient de naître!

Et à défaut de pouvoir les doubler,

C'est déjà bien de ne pas s'encoubler.

Pour l'instant toujours pas d'empreintes

Au bord de l'eau, seulement des épreintes!

Il est bon et succulent d'être devancé

Par des loutres qui les ont vues passer.

Nous savons combien elles sont légères! 

Je ne m'offusque pas du pouvoir détachant

Des nymphes donnant libre cours à leur penchant.

Aucune trace nette sur la roche-mère. 

Je vole avec un sourire qui en dit long!

J'imagine en vol que je suis leur postillon.

Pas du tout un serpent qui mue,

Qui laissera derrière lui

Une sombre forêt touffue

Où il fait souvent déjà nuit!

Et seulement quand viendra l'heure de la pause,

L'heure du bain, l'heure de pantoufler

Dans l'eau claire, l'heure des poses,

Je pourrai à mon tour souffler! 

Eberlué par le spectacle!

Incrusté, monté dans le tabernacle!

Soufflé comme une chandelle par ce miracle: 

Des baigneuses allant, puis revenant dans l'eau! 

Les nymphes, elles font concourir entre elles

Le naturel des poses! Zeuxis et Apelle!

C'est la détente suprême pour le cerveau! 

Pour les soupiraux de l'âme! Les suppléantes 

Des Grâces excellent avec hanches, bassins, 

Faisant naître le désir de peser leurs seins;  

Et ne cèdent rien aux floraisons, suppliantes

De leur côté: le vent grisé par leurs parfums,

Il a tôt fait avec la pluie de faire du vilain

Parmi elles. Pour les nymphes, il se divise,

Pour les nymphes, il se fait brises,

Il se fait zéphyrs lâchant en plus des soupirs;  

Il se fait caressant pour jouir de son emprise,  

Ne se lassant pas de combler tous ses désirs.

L'eau gicle de vous voir tissées

Dans les tapisseries mille fleurs d'Aubusson!

Etrange de ne pas vous voir éclaboussées

Dans les trumeaux mieux faits pour les poissons! 

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, dans sa leste société,

Dans le bouquet de ses amies,

Sauf à les suivre là-bas avec volupté,    

Ce serait un désastre pour l'humanité.   

Poètes seraient bientôt privés du feu, damne!

Et sombrerait leur enthousiasme!

Les beautés cachées de ces dames,

Leur concours, relèveraient du fantasme!

De la gageure, du vœu pieux!

Autant que la vision de Diane

Enlevant sa tunique sous nos yeux 

Et la tendant à une domestique. Diane

D'abord, plaisir ensuite, et le travail aux ânes!

Le proverbe espagnol y gagne...

Les poètes se retrouveraient orphelins!

Je me vois très mal bâillant aux corneilles

Ou accroc au goulot de la bouteille! 

Qu'on ne s'y trompe pas: le vin

N'est qu'une béquille à côté de leur présence.

Quand les Muses sont là, l'ivresse récompense   

Le poète, et le pauvre Bacchus est marri.

Je ne tiens qu'à leurs façons vives et alertes;  

Ce sont elles qui doivent forger mes écrits.

De leurs écarts, je crains la perte.

On a beau affirmer que Bacchus et Vénus

Viennent en aide à ceux que les Muses désertent

Et plongent alors dans l'Orcus,  

Je tiens à rester pour elles une desserte,

Un lieu où l'on s'invite et où on atterrit.

Par quoi remplacer les ruchers de leurs esprits?

Les beautés intérieures de ces gentes dames?

Oui, ce serait un véritable psychodrame, 

Muses noyées dans une corbeille de fleurs...  

De nymphes miroitant au soleil, dévouées

Au culte de Diane! Comment ainsi fourrées,

Enamourées, tenir le rôle du souffleur?

Certes, bien sûr, la ficelle, la ligature

De Cérès tiendrait bon sous les abris,  

Nullement grignotée, rongée par des souris,

Et ne seraient pas à craindre des courbatures,

Muses partant en poussières ou vieux débris...

Eparpillés dans la nature...

Cela dit, ce n'est pas là une conjecture,

Ce serait la fin des jeux et des ris,

Des mots dansants créant eux-mêmes la musique,

La fin des vers énergiques, euphoriques,   

La fin des longs poèmes soutenus

Et l'agonie de l'inspiration poétique.

Le poète traînerait seul, errerait nu,  

Dans un désert stratosphérique.

Tout projet poétique serait farfelu!

Les Muses ne prêteraient plus

Attention à leurs nourrissons, ne seraient plus

Sensibles à leurs vers, aux pouvoirs magnétiques

Des images! Des enchaînements et fondus!

Aux brusques écarts du papillon éperdu!

Bientôt, elles ne les connaîtraient plus ni d'Eve

Ni d'Adam. Leurs bontés et services rendus

S'évanouiraient de leurs mémoires comme un rêve.

Ô paradis pour la seconde fois perdu!

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, sa leste et gracieuse société,

Dans le calice des rocs de l'humidité,

Dans la corolle de ses meilleures amies, 

Telles des étamines à la vérité

Puisqu'elles sont neuf et savent émettre, 

Le poète solitaire ne pouvant être

Que le pistil à leurs côtés,

Les nymphes useraient de tous leurs sortilèges: 

Les neuf Muses resteraient fourrées au milieu

Des nymphes formant leur corolle et un manège!

Les enveloppes du périanthe en ces lieux...

Un cortège quand Diane sur le péristyle...

Dès que pétales s'envolent et s'éparpillent

Au vent, Diane aimant souffler sur

Les petites lunes, sur 

Les aigrettes des fleurs! Sur les aigrettes

Des pissenlits de son frère! Sur les grisettes!

C'est au bord de l'azur

Que le petit oiseau sautille...

Inspectant silencieux, sans une trille,

Le bassin déserté, bleuté, où eurent lieu... 

Les baignades sources de cris joyeux! 

Les baignades qui émoustillent

Les oiseaux qui écarquillent les cieux... 

Les monts sont très soucieux, les montagnes inquiètes,

Quand Diane en un lieu trop longtemps s'arrête...

Je n'ose imaginer Diane fermant les yeux,

Cautionnant un séjour prolongé des neuf Muses

Loin des trois monts sacrés où l'on peut les trouver. 

Car si mon imagination ne s'y refuse

Pas, ma raison voit mal le Parnasse sevré...

Mais sait-on jamais car Diane trouve son frère

Efféminé quand il joue de la lyre au pied

Du mont Pélion ou ailleurs, parfois en galère,

Pour son plaisir ou pour expier. 

Ou bien quand il accompagne avec sa chorale

Sa lyre transie et inspirée, et que le chant

Des Muses monte, se prenant

Pour une vapeur et une senteur florales.

Apollon serait forcé d'aller réclamer

Les Muses à Diane avec un brin de causette...

Un argument de sa musette...

Et serait peut-être hué plutôt qu'acclamé.

Bien que toujours déliées et magnifiquement

Libres en apparence, elles seraient préfixes

Des nymphes au début, mais le temps s'écoulant,

Les jours passant, elles deviendraient leurs suffixes... 

Toujours à la traîne, de moins en moins prolixes...  

Les Muses ignoreraient tout, ne sauraient rien

Des malheureux poèmes en train de s'écrire!

Des strophes inachevées souffrant le martyre!

Clopinant ici et là tels des batraciens!

N'opérerait plus le charme des entretiens

Passés, périlleux à enfreindre

Pour le poète, délicieusement païens.

Leur lointain souvenir finirait par s'éteindre

Dans leur mémoire et leur esprit!

Voilà où mènent les baignades et les cris!

Ô éclaboussures! Comment alors dépeindre?

Comment agencer harmonieux, composer bien? 

Je ne sais trop! Je crois en effet que le pire

Serait la rupture de cet antique lien.

Au lieu de vagabonder avec le sourire,

Poètes erreraient vides, désaffectés.

Les lèvres des poètes resteraient bredouilles!

On n'entendrait plus que des bides qui gargouillent!

Leurs yeux enflés, exorbités!

La poésie serait anéantie

Au beau milieu des beaux jours de l'été!

Je n'accepterai sur ce point de repartie:

Le monde serait plongé dans un désarroi

Profond, extrême, immense, sans frontières.

Muses ne quitteraient plus torrents et rivières, 

Subjuguées par leurs rivales: leurs reliquats? 

Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?

Le pendant aquatique frappé d'amnésie?

Imiter vaguement le Léthé ou l'éther,   

Telle est souvent leur fantaisie

Dans l'épaisseur de ces déserts!  

Ici tombent les pétales, s'écoule l'onde

Dont est amouraché le petit courant d'air...

S'écoulent aussi sans obstacle les secondes...

Comment ne pas désirer voir du temps réel

Les cascades, les tourbillons, les frénésies?

Les bassins où il s'étalerait sous le ciel, 

Ferait montre de sentiment, de courtoisie!

On voit défiler les dépouilles des instants,

Celles qui useraient les dieux si l'ambroisie

Et le nectar, puissants comme la poésie, 

Ne maintenaient en leurs cellules le printemps...

Pour les nymphes aussi, dans la flache automnale

Où la belle mire sa plastique boréale,  

Rien ne change! Toujours de la fuite du temps  

On parle, mais personne jamais ne s'avise 

De donner un nom ou visage au poursuivant 

Qui le harcèle... hargneux, affreux, méchant.

La course des eaux symbolise

Le passage du temps, mais aussi la cerise...  

Sous le temple ou le château! Quelle frise!

Je ne ressens nulle angoisse ou pression

Devant des eaux claires heureuses, adoptées

Par les yeux! Et si l'eau fraîche était pilotée

Par les Muses et non par la dissolution  

Des jeunes filles? J'y vois les bonds des bichettes 

Quand l'eau s'oxygène, la flânerie du cerf

Et des biches quand elle serpente, nous sert

Un long silence qu'au loin une chute guette. 

Le temps, se pourrait-il qu'un vil cocher le fouette

Jusqu'au sang? Qui donc veut sa mort?

Qui veut donc abréger son sort?

S'il y a bien fuite, s'il y a filature, 

Le temps doit être un cerf dix cors

Poursuivi par quelque sauvage créature! 

Cela ne fait pas un pli:

Une fois les Muses dans le giron de Diane, 

Les nymphes n'auraient pas besoin de lianes...

Aurait cours dans les bois un curieux hallali!

Voyez ces nymphes s'acharnant comme des chiennes

Contre le génie et la science des musiciennes  

Avec des baignades, des nages dans un lit!

En exposant leurs poitrines et leurs derrières! 

En contrefaisant les Grâces dans les clairières!

En dégageant de doux parfums avec leurs bras! 

En infusant et cetera...

Voyez ces belles créatures névralgiques

Assises avec bassins, pertes et fracas,

Anches de bombardes et hachis de hautbois,

Sur partitions et poèmes, sur l'almanach!

Voyez comment pâlissent Muses cathartiques...

Entendez comment pâtissent leurs voix...

Voilà leur recette pour briser les carrières!

Pour scotcher les hommes éclairés dans les bois!

Muses ne pourraient plus revenir en arrière

Sur les plateaux, sous les sommets, glaçant effroi

Pour les dieux mêmes de l'Olympe!

Fini les répétitions qui laissent baba,

Les chants s'élevant agréablement d'en bas

Comme parfums aimant la grimpe. 

Fini les gracieusetés du mont Hélicon

Dont la Béotie est farcie!

Bonjour sécheresse, ténèbres du flacon!

Fini Zeus exalté faisant des facéties!

Fini Zeus se métamorphosant en flocons!

Les Muses ébahies par les travaux d'aiguille

Des monts alpins! Roulades! Trilles!

Il ne resterait plus là-haut que les frimas!  

Le tonnerre et les éclairs! Et le silence!

Et la lyre d'Apollon vaincue par le froid

N'arrivant plus à dégeler ses doigts.

Seule la vue sur l'Egée ferait diligence

Par temps clair pour atténuer l'effroi.  

Le spleen pèserait sur l'Olympe!

Fini les chants, les brouillards dissipés

Par les neuf voix, les nuages émancipés! 

Fini les éclaircies et les robes à guimpe

De Malines! Les Muses seraient à la fois

Entraînées, asservies, subjuguées et ravies

Par des rivales plutôt que par des amies!

Les nymphes sont moins réelles que l'au-delà...

Mais sont habituées à ce qu'on les dévie...

Les nymphes sont des créatures amphibies...

Se coulent, s'immiscent dans les vides médians... 

Les nymphes ne dépérissent dans l'air ambiant...

Les nymphes sont faites aux immersions drastiques, 

Aux boulimies de bains et de récréations.

Pas les Muses, déesses de l'éducation...

Et maîtresses de l'inspiration poétique...

Muses ne se regarderaient pas le nombril,

Mais leurs voix perdraient peu à peu leur tessiture... 

S'amuser les ailes mouillées, c'est grand péril...

Pour les grands poètes, gardiens de la culture, 

Il n'y aurait plus de déesse au bout du fil...

La ligne serait brouillée par de la friture...

Et c'est vrai que par les temps qui courent, l'exil

Volontaire de la Muse dans la nature,  

Belle mosaïque de déserts, de hauts lieux

De plaisance se dévorant des eaux, des yeux,

Peut s'avérer fort légitime, une embrasure... 

Une solution idéale à leur mesure. 

Phébus en personne ne crache pas sur un 

Abri sommaire rafraîchi par des embruns,

Ceux s'en venant d'une cascade toute proche...

Embruns que le tumulte soulève, décoche,  

Idéales personnifications d'aucuns!

Dans ces beaux déserts se touchant les uns les autres,

Se frôlant, s'interpénétrant avec de l'eau, 

Souffles d'air, feuilles, chants d'oiseaux,  

Sont cachés les abris-sous-roches où se vautrent

Les nymphes pour échanger des riens essentiels,

Follement reposants! Souvent confidentiels! 

Elles s'y retirent à deux ou trois, confiantes 

Et confites par le miel du soleil, pendant

Que les autres font penser à des fruits fondant

Aimablement dans la bouche consentante...

Du bassin où elles se baignent en secret,

Bassin doté de papilles et d'un palais. 

Ô rochers évidés aux formes alléchantes,

Ne cesserait plus ici-bas leur dilection

Pour cette envoûtante récréation!

Ô retraite innocente et sympathique!

La récré tournerait au congé sabbatique!

Muses seraient fondues dans le milieu

Naturel, moins dissolues dans ces lieux

De plaisance se dévorant le jour des yeux

Que dissoutes à leur tour dans la flotte...

Ophélie rince le gosier des grottes...

Et au printemps, au bord des torrents fous,    

Des torrents foudroyants, en périphérie,

Le poète tomberait sur leurs exuvies

Traînant sur des pierres ou des cailloux...

Drôles d'enveloppes! Ô sèches panoplies

Placées hors de portée des torrents écumants,

Hors de portée de l'écume pendue aux lèvres

Des rochers! Tant il est vrai que c'est un aimant

Pour les yeux le fracas que la gorge soulève!  

Exuvies de chants devenus chantonnements

Désinvoltes... Exuvies de marmonnements

Devenus profonds silences moussus ensuite?  

Qui voudrait voir les Muses à cela réduites?

Peut-on ainsi se ressourcer?

Rajeunir de quelques semaines?

Les neuf Muses, vieillissent-elles?

Ne vont-elles pas plaintes choses y laisser

Si par le bout du nez les nymphes les promènent?

Les mènent en bateau à bord de leurs frêles... 

Coquilles de noix jusqu'au bout... 

Elles s'amusent d'un rien dans ces solitudes...

Cela fait partie de leurs aptitudes...

Nymphes, ne prenez vos jambes à votre cou

Si le poète apparaît devant vous 

Pour arracher les neuf Muses à votre troupe!

Réduire, affiner la taille de votre groupe!

Je ne tiens pas à cravacher, 

Lacérer vos superbes croupes,  

Mais il pourrait néanmoins se fâcher

Comme le cerf désavouant votre conduite,

Riant aux larmes de la perte du sérail, 

Mais énervé par la défection du harpail,

La désertion du harem! Bombant le poitrail!

Médusant les biches que vous auriez séduites!

Captivées, capturées, emportées avec vous!

Puis attachées à votre suite!

Pourquoi? Question fastoche comme tout!

Afin que la troupe de Diane fût plus large

Encore, plus légère, là-haut dans les marges

Où seuls les poètes viennent vous embêter!

Vous froncez les sourcils: " – Non! – Zut, encore un barde!

– C'est fou comme ils sont entêtés!

– Comme si Diane était d'amour une soiffarde!

– Pourquoi donc quitter vos mansardes?  

Nous n'avons pas besoin de vous pour exister!

Pour Diane, vous n'êtes rien! Que de la moutarde

Lui montant au nez lorsque vous chantez!  

– Il veut monter autour de nous la garde!

– Il veut être son amoureux et son amant!

– Non! – Si! – Pourquoi pas son calmant?

– Son antidépresseur! – En tout cas, ce poète,

S'il était son homme, ne serait pas cocu! 

– Oui, aucun doute là-dessus!

Nous savons bien que jamais l'arbalète

Ne connaîtra la pression de ses mains!

Diane reste fidèle à son arc et ne tolère

Aucune intruse parmi les flèches amères 

Décochées en un tournemain!

– Quelle audace! Quel culot! Quelle hardiesse!  

– Elle va le mettre en pièces!

– Ecoutez ça! Il veut devenir son époux

Et que nous devenions ses concubines!

– Soit ce barde est ivre, soit ce poète est fou!

– Il nous préfère à Colombine! 

– Je crois bien qu'on aura tout vu!

– Moi, il me plaît, j'aimerais bien le voir tout nu!

– Il écrit des fables et dit aimer Horace! 

– Comment faire pour qu'il trouve grâce

Aux yeux de la nièce de Neptune? C'est là,

Je crois, la seule vraie question! Minute

Les filles avant d'aller informer Diana!  

Je suis d'avis qu'on en discute.

Si Diane nous force à noyer Cupidon,

Peut-être pourra-t-il le ramener à la vie

Avec un poème ou de quelque autre façon.

Evitons-lui d'inutiles péripéties.

– La télépathie provoque ces excursions;

Elle est le véhicule de l'inspiration! 

Les Muses pensent trop à Diane!"

Qu'à vos lèvres, je reste suspendu!

Nymphes, vous n'avez encore rien entendu!

Oui, avec Diane, évitons tout malentendu 

Et vous êtes mon fil d'Ariane  

Pour remonter jusqu'à son arc et son carquois

Quand les neuf Muses me sèment au fond des bois.

Mon fil d'Ariane, voire une volée de flèches

Sensibles qui vendent malgré elles la mèche!

Mon fil d'Ariane car remonter vers le bassin

Où vous nagez, c'est remonter vers la lumière!

Où joyeusement vous réchauffe l'atmosphère!

Rasades d'eau fraîche blanchissant à dessein

La verdure, barbouillant la sombre nature,

N'aimant rien tant que les ruptures

De pente, j'aime voir vos braves: tous ces rocs 

Blanchis par l'écume, rocs encaissant le choc!  

Eclaboussés! Stoïques! Les trouées

Où cascade et lumière sont comme fourrées

Ensemble, acoquinées comme deux tourtereaux.

Comment ne pas aspirer à voir vos fourreaux?

– Eh Monsieur, si vous continuez en ces termes,

Nous ne pourrons rien faire pour vous, j'en ai peur!

Vous hérisserez le poil de son épiderme,  

Et, à nous, vous ne donnerez que des vapeurs!

Gardez ce type d'aparté pour vos lecteurs!

Conseil d'une amie qui vous veut du bien et même

Du plaisir jusqu'à un certain point. N'inférez

Pas pour autant qu'il se pourrait que je vous aime.

Il ne faut point ces choses-là trop espérer."

J'ai beau leur dire que si elles me rejettent, 

Elles feront de moi un poète maudit,

Elles sourient, tremblent, insistent, se répètent!

Me répondent qu'une chevrette

Me consolera bientôt en leur paradis.

Je souris à mon tour, ma crainte se lézarde.  

Me vouer aux chevrettes n'est pas me vouer

Aux gémonies! Je ne suis pas loin d'approuver!

Je les préviens que siciliennes ou lombardes,

Je n'abjurerai pas les chutes de Moreau! 

Des eaux tropicales, secrètes, qui dévissent   

Dans les forêts, s'enlisent dans les précipices! 

Jamais lasses de reproduire le carreau

Sur place! Mais d'une légèreté extrême 

Soulevant des embruns quand même!

C'est démentiel ridiculiser l'oasis!

Vous courez sur les brisées du vent, l'air gratis

Vous soulève. Pour sertir pareilles gemmes

Volantes dans une source, chaud devant, 

Il faudrait un Vulcain, un divin artisan,

Un forgeron qui ne marque au fer les ventres!  

Un orfèvre rompu aux fugues du couvent!

En attendant les Muses volent, calées entre

La chasseresse et moi-même. Soleil levant,   

Bien aller, bien voler, ne laisse pas de trace...

De cela, je suis le témoin...

Pour ne pas les laisser filer devant, trop loin,

Je dois rafler ma peau, écorcher ma carcasse!  

Ne pas trop rêve ailé! Et demeurer tenace!

Je dois traverser des fourrés et des buissons

Sans ralentir, je dois nager comme un poisson

Dans l'eau, et ne pas être lâché par la grâce:

Les envolées des Muses et de leur esprit    

Essayant d'imiter les mouvements des Grâces...

Printanières! C'est là un vœu pieux, un pari!

Allez, je me retrousse les manches

En plein vol au milieu des branches!

Je veux bien accepter ma pauvre condition!

Je suis leur nourrisson, pas leur progéniture!

Je ne puis résister à mon inclination

Si vraiment leur intention est dans la nature

De rattraper Diane et ses amies: la fraîcheur 

Qui peut être cueillie à l'aube  

Dans l'eau claire après la daube

De la nuit noire! Astres loucheurs,

Vivement les vasques qui réveillonnent!

Les Muses filent, m'aiguillonnent;

Je les vois tout là-bas bien qu'étant distancé. 

J'essaie de prier à fond la caisse lancé.  

Continuer à croire qu'on est leur marmaille, 

Même empêtré dans un hallier!

Ne les perdre de vue, le défi est de taille...

J'ai beau leur dire, leur crier 

Que je ne suis pas rochassier...

Elles m'ont toujours à leurs trousses,

Les Muses! Comme si ayant la frousse,

Elles misaient tout sur Diane pour les sauver! 

Et comptaient sur les nymphes pour les enlever!

Pour débarbouiller leurs frimousses!

Cela commence à faire un bail 

Qu'elles ne ralentissent leur vol d'un poil!

On dirait que mon myocarde joue de la basse!

Les Muses veulent que je le muscle! Tant mieux!

Les désappointements me laisseront de glace!

Les déconvenues ne me rendront point furieux!

Ne pas contourner les broussailles

Restant souvent accrochées à mes basques, c'est 

Le prix à payer pour ne pas être semé!

Un jour, peut-être, des nymphes qui s'encanaillent

Arracheront à mon habit quelques lambeaux!

Ô nymphes, ne croyez pas que je me défroque!

Forcé que je débarque devant vous en loques

Si les Muses ne m'apportent sur un plateau  

Et ne me déposent au pied de la cascade!

Celle choisie par Diane au cœur de la rasade!

Disons sur le coup de dix heures du matin

Quand le soleil fixe, rehausse votre teint  

Et Diane pressée de quitter le voisinage.

Je n'aime rien tant que le naïf babillage

D'une source dans laquelle vous vous baignez,

Reproduite à intervalles irréguliers

Le long d'un parcours escarpé.   

Je n'aime rien tant qu'un badinage léger.

Pour faire ta toilette, Diane, des trois Grâces

Et de tes suivantes, aisément tu te passes...    

En cela tu es différente de Vénus

Dont tu ne partages les us.

Pour la toilette du matin, la solitude

Fait partie de tes habitudes...

Tu ne te mêles à aucun assortiment

De nymphes, tu rejettes leur sollicitude.

En ces déserts où le temps passe lentement,

S'arrête, semble reprendre son souffle,

Profiter de l'inspiration des gouffres

Après avoir semé un triste prédateur,   

Faire soi-même les choses

Lui redonne de la vigueur... 

Une servante t'indispose...

Je le sais car une nymphe me l'a confié

Tout à l'heure. Si tu ne me crois pas, Diane,  

Auprès d'elle va vérifier!

Je n'ai rien vu qui vaille que tu me condamnes! 

Je ne t'ai jamais vue à la toilette du

Matin, je sais bien que c'est défendu.

Si ne vous conviennent ce plan et cet horaire,

Eh bien, ne changeons pas notre façon de faire!

Nymphes, déroulez un tapis d'eau claire

Le long des marches d'un vague escalier: 

Je ne crains pas les railleries de l'avant-garde!

Nymphes qui se moquent, propos désobligeants!

Je me métamorphose lorsqu'on me brocarde!

Je peux devenir le cerf en quelques instants!  

En fait en moins de temps

Qu'il ne m'en faut pour reprendre mon souffle!

Huit cors font l'affaire! Mais à une mistoufle

Près vous n'êtes pas! Vous désignez ma moitié:  

Quand je parle biches, vous répondez chevrette! 

Vous ne faites pas de quartier!

Vous êtes sans pitié pour le poète

Dont les Muses font du moins un preste écureuil!

Vous faites de lui un chevreuil!

Dois-je dire un cerf d'opérette?

Ne vous est pas étrangère la cruauté

Des inhumaines faisant serment d'amitié!  

Riez plutôt des grands bois que j'ai sur la tête! 

Synonymes de jour de fête.

Oui, nymphes, charriez les hommes à défaut

De vous offrir à eux comme lestes cadeaux

Tombés du ciel! Cueillez dans ces bois un poète!  

Si jamais le poète surgit devant vous,

Ne faites pas de lui un déchet que la lymphe

Entraînerait je ne sais où loin des nymphes! 

Devenez bocagères même au fond d'un trou!

Faites-lui bon accueil, ne soyez pas ineptes!

Peut-être est-il curieux d'entendre vos préceptes!

Il est parfois ivre, mais souvent sans le sou!

Votre bassin est pour lui une coupe! 

Il vous mate au bain

Car votre vue coupe la faim!

Parfois, le poète bourré hâte sa fin

En avalant un verre d'eau glacée! Une loupe

Puisée dans l'eau glaciale que vous animez!

Le nôtre, il échouera à vos pieds désarmé!

Il rappliquera en loques et sans ramures

Sur la tête, essoufflé, une plume à la main! 

Riche seulement de ses égratignures!

Lâchant ici et là comme unique refrain

Une imitation délicate des murmures... 

Entendus, appris en chemin...

Une seule plume à la main!

Tant celui qui vous court après

Y laisse forcément des plumes...

Avant même d'atteindre vos filets

Où parfois le vent vous résume.

Une plume n'ayant rien oublié au fond

Du temps béni où elle était simple rémige

D'un oiseau avec lequel le ciel se confond,

Ainsi que l'art et la gravitation l'exigent.

Magie de la langue française et sex-appeal

De la nymphe piémontaise ou calabraise, 

La troisième personne du singulier "il"

Me fait voler trois fois plus vite, n'en déplaise!   

Sera devant vous avant moi ce volatil!  

Je ne sais lequel de nous deux le plus civil...  

Si jamais, bien que déférent et fleuve,

Il vous effraie et vous fait peur,

Apprenez que vous êtes celles qui l'émeuvent, 

Gourmandez-vous de vos frayeurs!

Ne le croyez pas s'il dit avoir mieux à faire

Avec les Muses que peindre vos bains, parfaire

Vos baignades et vos portraits! 

Et leur plus douce et sauvage escapade!

Pardonnez ce triste et artificieux couplet  

Faisant songer à une rivière malade

Nécessitant qu'un dieu se tienne à son chevet.

Il ne dit pas ça pour blesser ou par bravade

Mais afin de ne pas être rayé d'un trait!

Rassurez-le comme feraient les neuf Muses!

Ajoutez votre candeur à leur science infuse!

Greffez-le dans un monde dépourvu de ruse

Et de machination, mais aussi de faux plats. 

Commettez la plus bénigne des imprudences,  

Emportez-le toujours où bon vous semblera.

Voyez en lui l'envoyé de la providence.

Laissez-le composer et se mettre au travail

Devant vous; déballer son léger attirail! 

Il se pourrait que la fraîcheur du poème

Fasse ondoyer le cocasse et le suprême

Au cœur du plaisant étalage des griefs;

Et révélât à vous autres, soit à vous-mêmes, 

Vous concernant au premier chef,

Maints détails ravissants et maintes anecdotes

(De vos aventures croustillantes les reliefs). 

Il chantera certes inspiré par les doctes

Sœurs! Mais en vous célébrant Diane! Bref, 

Il fera tout pour vous plaire!

Il se pliera en quatre pour vous satisfaire.

Son ambition sera surtout de faire

En sorte que le remords puisse entrer 

Dans ces dames, puisse les pénétrer

Sans forcer, en accrochant devant elles

Des tableaux trop légers, des brocatelles, 

Des rochers moussus cramoisis.

En sculptant des portraits réalistes saisis

Sur le vif, en gravant des rires de donzelles,  

En sculptant mille bouillons de dentelles!

En sifflant des Muses se plaisant trop à les

Enfiler! Rien de tel qu'un remords pour lester

Ces frangines devenues trop légères! 

Simples baigneuses et lingères!

Il s'agit bien dans le doute de les jeter!

Il s'agit de faire miroiter devant elles

Un feu céleste noyé par des jouvencelles.

Il s'agit surtout de les faire mijoter

En des lieux où chaque jour mille insectes

Sont emportés par le courant qui vous délecte. 

Au point de leur insuffler le spleen? Non!

Qu'au bout d'une petite heure, sans faute, 

Tout à coup les Muses sursautent!

Se réveillent avec de la sueur au front!

Peut-être des palpitations!

Calliope dirait cette chose énorme à ses

Sœurs: "Comme la plupart des mortels qui ne lisent

Des mots qui dansent et des bons vers cadencés,  

Qui parfois s'en vantent, affichant leur bêtise,

Eveillées nous dormions!

En cela différentes d'Endymion!   

Bientôt de ces forêts nous serons nostalgiques.

Vivre avec Diane et ses compagnes précipite

Dans un rêve si doux, si troublant, si puissant, 

Les rêves que Morphée fabrique

Paraissent à côté des néophytes,

Des amateurs, des innocents."

Mais après tant de jours et de semaines

Passés dans la volupté de votre giron,

Parmi Diane et ses amies qui se baignent,

Pourra-t-il encore faire la distinction

Entre vous et les déesses de l'Hélicon?

Des Nymphes et des Muses l'imbrication,

Ne sera-t-elle point complète?

Pour la Muse, la nageuse, est-elle un insert?

Poupées russes les charmantes retraites

Que l'on peut découvrir dans les déserts!

Là où vos membres s'enchevêtrent,

Auront-elles encore leurs habits?

Sauront-elles se reconnaître?

Et défendre leur absence et leur alibi?

Rien n'est moins sûr si demain être vos sosies

Enchante les déesses de la poésie!

Se délester d'un grand savoir

Comporte des charmes et des attraits, peut rendre

Plus léger. Qu'on lui dise adieu ou au revoir,

La tentation peut se concevoir et comprendre.

L'important au bord de l'eau comme dans le ciel?

Rester détentrices du savoir essentiel! 

Si Muses peuvent devenir un temps suivantes

De Diane, et devenir des nymphes les servantes

Par jeu, tout cela dans bois et forêts,

Bien sûr sous le sceau du secret,

Nymphes ne sauraient devenir Muses savantes,

Car vous, nymphes, vous pouvez certes inspirer,

Mais devenir Muses, cela, vous ne pourrez!

Je ne dirai pas que vous êtes des linottes,

Mais ce n'est pas par le savoir que vous brillez

Malgré une jolie science du rythme, allez, 

Quand le ruisseau dépote.

Joue au torrent qui ravigote.

La nymphe n'est pas musicienne pour trois sous...

Les nymphes ne composent un chœur en ce monde...

La nymphe oublie vite car l'oubli la seconde!

Elle ne peut pas retenir l'air le plus doux...

La mémoire des bassins la retient surtout!

Pourtant, les notes les pénètrent, les fécondent...

Leur fait bien lâcher la bonde...

Ce n'est pas avec vous que les Muses réa-

Lisent en forêt des prouesses musicales

Ou concrétisent des ambitions orchestrales...

En revanche, plus que les neuf Muses, béats

Vous laissez leurs poètes et leurs lauréats

Avec une facilité déconcertante.

Moins grinçante que décapante.

Il est certain que vous n'avez besoin de rien

D'autre pour assurer votre maintien; si bien

Que jamais vous ne marmonnerez des prières

Pour épouser des Muses la carrière!

Votre lot vous va comme un gant.

Une seule ambition: rester fidèle à Diane!

Cueillir des myrtilles, fréquenter la gentiane! 

Que votre flot reste fringant!

Peut-être nymphes se nourrissent-elles

Des regards des intrus les dévorant des yeux! 

Si c'est le cas, elles savent cacher leur jeu!

Elles gardent la ligne comme les passerelles!  

Dès que l'eau déserte son corps

Ambidextre la nymphe est gauche!  

Et quand le ravissant ruisseau s'écoule et fauche

Les jours, la nymphe ne peut s'empêcher au bord

D'être la souillon (dans le brouillon) du poème! 

Elle resplendit tout de même...  

S'extraire de son bord n'est pas un jeu d'enfant,

Tangue il sait y faire, tant son cours est parlant.

Les éclaboussures trahissent la présence

Des nymphes autant que les rires et les cris...

Les éclaboussures trahissent la présence

D'une forge où s'avère proscrit le silence...

Elle s'en réjouit et s'en fout...

Elle non plus n'a pas un sou

Vaillant en poche...  

Elle nage dans l'eau de roche...

Elle barbote dans les trous...

Rien de plus profond ou de plus profonde

Qu'une nymphe allongée au bord de l'onde... 

Vivant dans le présent, dans le plaisir surtout!

La Muse, certes, ne sait pas jouer de tous

Les instruments! Mais comme elles sont neuf, essaiment, 

Calliope jouant un peu à être leur reine...

Ce qui n'a pas l'air de leur poser un problème,

Ni trop graves, ni trop aiguës leurs belles voix... 

Leurs chants que les feuillages aiment... 

Le clavecin rêve tous les jours à leurs doigts... 

Le violon cesse de grincer, le violoncelle

De râper l'hommage ou l'oreille... 

Les Muses chantent toujours à guichets

Ouverts! Instrument à caisse et à ricochets,

La mémoire est un instrument à cordes

Qui ne manque pas de cachet.

Instrument dont l'homme ne manie que l'archet...  

Ce ne sont pas ses doigts qui courent sur les cordes,

Qui les pincent aux bons endroits, 

Qui choisissent quelles notes s'envolent, débordent...

Vous ne rêvez pas même à l'épinette! "Quoi?"  

L'épinette! Muses volent, s'invitent...  

Elles risquent d'arriver longtemps avant moi

Dans votre campement qui s'enlève très vite

Lui aussi! Dès que Diane claque dans ses doigts! 

Campement toujours improvisé, très sommaire, 

On ne peut plus mortel et humain, éphémère,

Aussi aisé à enlever, évanouir, qu'à

Dresser! Vraie feuille de lambrusque!

Diane a tôt fait de la retirer autre part,

Elle toujours sur le qui-vive et le départ.

Aussitôt s'alléger devant vous de leurs frusques,

De leurs longues robes, de ce fameux péplos

Qui recouvre la chair, la substance, les os,

Personne au bord de l'eau cela n'offusque...

Ou n'oppresse! Diane n'en fait pas tout un plat!

Je laisse au soleil ses rayons et ses œillades... 

Je reste plus discret que lui, ça va de soi... 

Vous déployez une belle fanfaronnade...  

Doit-on craindre un étiage de propos savants...  

Ou un étalage de propos oiseux sans  

Queue ni tête? Extase, anémie ou euphorie

Quand on passe seulement une heure et demie

Ou deux trois heures avec Diane et ses amies?  

Avant de se raccrocher à la nudité

Des nymphes, Muses se rapprochent

De la vêture de Diane à la vérité...  

Et n'encourent aucun reproche.

On est encore loin de ce divin moment...

Quand l'équivalent de simples réminiscences

Dépose sur leur dos l'unique vêtement... 

Proche de la déliquescence...

Un perpétuel et guéable mouvement

Les entoure, les distrait, les encense...  

Une vraie jouissance, ça leur procure jusque

Dans les plus épaisses profondeurs de l'émoi,

Et flèche non négligeable dans leur carquois

Est une surprise, soit un changement brusque

De ton ou d'image, un renversement soudain,

Non du couplet, mais du refrain: 

"Arrière! Les Muses ne sont pas des Sabines!

Et encore moins des bambines!

Elles n'ont besoin d'un ange-gardien!

Elles nagent et vont très bien!

Sont strictes nos consignes!

Pas d'intrus et pas de feuille de vigne!"

Il ne cherchera pas à vous flouer,

Il cherchera à vous amadouer,

Et comme les Muses prirent soin de ses langes,

Le poète prendra soin, lui, de vos louanges.

Sinon de vos flirts et amours.

Mais son but sera surtout en l'espèce 

De les extraire au final de vos alentours

En empruntant de multiples détours.

Peut-être pour charmer Diane qui acquiesce-

Ra! Après quoi, les Muses n'oublieront

De sitôt si folle équipée, si belle aventure,

Si douce, si émouvante villégiature,

Et souvent ensemble nostalgie en auront!

Se remémoreront vos gestes, vos postures,

Et toujours sans forcer y reviendront!

Se remémoreront vos nages liturgiques,

Vos cambrures, vos propos délicieusement

Terre à terre, légers, frivoles, prosaïques!

Comme si auprès de vous

Elles chopaient, venait le goût

De ne pas se complaire dans l'énigmatique.

Et sur leurs hauts plateaux gazonnés dominant

Les versants forestiers et bucoliques

Souvent en pensée vous effleureront.

De leur passage parmi vous se souviendront

Non pas comme d'une erreur de jeunesse 

Commise à l'âge de raison,

Mais comme d'une commodité de saison

Programmée de longue date par la sagesse.

Il faut bien de temps en temps se rafraîchir

La Mémoire si on ne veut point la voir fléchir.

Garder en mémoire le meilleur qui puisse être, 

C'est rester digne du jour qui nous a vu naître.  

Il serait dommage de vous en affranchir,  

Ce serait de votre part commettre une faute.

On ne peut sans lui vivre la vie la plus haute.

Vos nourrissons pourraient souffrir d'un tel oubli.

Or, quelque soit le débit,

Le tableau offert à vos yeux par Diane et nymphes

Se baignant, n'est-ce pas, et de loin, le meilleur

Que vous puissiez conserver en mémoire?

N'offre-t-il pas l'image phare

Pouvant inféoder les autres? Par ailleurs, 

Il faut bien de temps en temps de la jouvence

Des nymphes s'entourer et s'imprégner l'esprit  

Pour conserver en dépit

Des vers profonds que l'on nourrit  

Légèreté et innocence.  

Pour se reposer du dieu de la vérité,

Pour ne perdre de vue ce qu'est la liberté, 

Il faut bien de Diane rechercher la présence.

Nymphes, je ne tiens pas à cravacher, 

Lacérer vos superbes croupes!

Et je ne veux pas à vous autres m'arracher!

Je ne veux pas des neuf Muses vous détacher!

Je veux boire l'eau vivifiante dans vos coupes

Moussues! Taillées dans la pierre et, bien sûr,

Après avoir trinqué avec toutes ces vasques

Pétillantes qui ridiculisent les flasques,

Les jeter en l'air dans l'azur!

C'est signe d'une surabondance de joie

Faire voltiger la coupe où nymphes s'emploient.  

Ô cascades et bassins suspendus, perrons  

Des grottes et parvis des bouches d'ombre!

Et tourbillons des royaumes de la pénombre!

Grâce à moi, très souvent, elles vous reverront!

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane (dont Diane constitue le fleuron),

Dans la corolle où serait fondue leur chorale,

Sauf à chanter, suivre, célébrer ses pétales:

Ses beautés craintives, chair vive qui détale 

Au moindre bruit suspect ou geste défendu...

Chair vive aux chevilles jamais enflées... 

Le poète serait rapidement perdu...

La flamme du poète serait vite soufflée...

Par un grand jour de soleil au cœur de l'été! 

J'insiste sur l'effet que produirait leur bande 

Sur les Muses (pour ceux qui mal entendent):  

Sauf à les suivre là-bas avec volupté,    

Et à pondre sur elles toutes des volumes

Bondés de nymphes et gorgés d'écume,  

Je serais vite fauché par le vent d'été...   

Ou soufflé comme l'aigrette héliportée  

Du pissenlit ou du chardon... 

L'aigrette au vol très long...

Au vol habité par l'amont  

Des tentatives réussies, non avortées.

C'est peut-être pisser dans un violon

Dans le désert, dans la cambrousse...

Ou bien tisser une verdure en mousse,  

Imaginer Diane trahissant Apollon,

Tenant captives les neuf Muses... 

Il se pourrait qu'ici j'abuse... 

C'est sûrement pisser dans un violon

Ou dans un luth, ou sur ma lyre,

Ou encore voler sur vos talons, 

Affirmer que les neuf Muses pourraient élire

Domicile dans une fleur,

Intégrer le cortège d'une grande sœur

N'y voyant aucun mal et aucun vice...    

Aucune malice...  

Oui, je me fourvoie sûrement

Quand j'affirme que les Muses incontinent

Seraient prêtes à faire souffrir le martyre

Au dieu blond et prophétique du double mont.

Tout ça, c'est peut-être du vent et du délire,

Mais qui m'a suggéré cette échappée, sinon

Une Muse dont je tairai ici le nom?

Qui, peut-être, loin d'agir seule,

Fut dépêchée par toutes d'un commun accord, 

M'ayant soufflé à l'âme ce que toutes veulent!

Mais dont huit doivent être déchargées du tort

Eventuel causé aux arts, dont Calliope. 

Toutes rêvaient peut-être de cette fuite en

Avant, de cette escapade depuis longtemps.

Les entraîner sur des terrains, sur des biotopes

Montagneux, exaucer leur vœu et les greffer

Sur des monts que seule Diane remue, écume,

Même si cela ne fut jamais la coutume,

Comment aurais-je pu faire l'effarouché?

Me récrier? J'ai mordu aux appas sans peine;  

Me voilà les poursuivant à en perdre haleine,

Ne sentant aucun hameçon de prime abord.

Non seulement elles volent et s'émancipent...

Mais tous mes désirs anticipent... 

Dans les taillis les plus variés, je n'en démords:

Lèvres gercées du poète resteraient sèches  

Sauf à chanter Diane et à vanter les séjours

De ses amies, les torrents aveugles et sourds!

Les noiraudes forêts de résineux, les gours

Bleus vers lesquels je me dépêche.

Pour tous les autres chants, la dèche!

Fini déesses souriant devant les fauteuils

Poussés avec empressement devant elles!

Adieu Pégase, chevauchons des haridelles!

Les montagnes ne seraient plus que des écueils

Hérissés de brisants! Les vallées des cercueils!

Les Muses ne reviendraient plus auprès des hommes! 

Bien que grecques, Muses vivraient autour de Rome! 

Bien converties à Diane en somme!

Et les nymphes seules récolteraient leur miel!

Diane tremperait longuement ses flèches... 

Dedans! Ce n'est pas commettre un péché véniel

Embrasser Diane et son art de vivre un peu rêche... 

Si, pour les autres chants, ça signifie la dèche!

Diane seule serait célébrée comme il faut! 

Apollon n'y trouverait au fond à redire!

S'ébattre au milieu des nymphes pouffant de rire,  

Les Immortels eux-mêmes en rêvent là-haut!

Les autres dieux et déesses

Seraient jaloux de Diane hôtesse   

Exclusive des neuf Muses, jaloux aussi 

De l'accueil chaleureux reçu par celles-ci!

Ô cet étrange spectacle: Dieux qui ruminent!

Dieux tentés par la métamorphose en chevreuil

Ou en cerf pour ne plus avoir mauvaise mine!

Ils dépériraient à vue d'œil,

Soit snobés comme dans la poésie moderne,

Soit réduits aux rôles de figurants un peu ternes

Faisant juste joli: jauni dans le décor?  

L'effet d'une surcharge?

L'effet d'un vent venu du nord? 

Les poèmes maritimes feraient naufrage!

Entre la voile dans laquelle souffle le vent

Et l'amabilité de l'étoffe couvrant

L'épaule de Diane, entre la sève et la moelle,  

Le poète devra choisir.

Seul moyen de s'en sortir,

Je le crains fort: faire des voiles

Du navire cherchant à se soustraire à ses

Regards fascinés un léger déshabillé!

Grâces se fouleraient les chevilles, entorses

Les accableraient dès le printemps revenu.

Les crimes et injustices ne seraient plus

Dépeints, dénoncés avec force! 

Nombre de vérités tomberaient dans l'oubli!  

Les preux mensonges ne seraient plus anoblis

Par la poésie! Le temps qui marche et trottine,

Qui à rester suspendu rarement s'obstine,

Se mettrait-il à cavaler et à sprinter 

Pour abréger l'absence des Muses palatines?

Pressé que soit faite, dite la vérité? 

Ce sans injurier la beauté!

La vérité qui démange les justes

Et qui dérange les faibles et les pervers!  

Le temps se taperait l'incruste

De courant d'air en courant d'air...

Le poète passerait ses journées la tête

En l'air, les yeux vagues, perdus,

Les regards humides pendus aux crêtes

Comme linge mis à sécher, vite fondu

Par le soleil ou les étoiles...  

Ainsi fondent au loin, vers l'horizon, les voiles...  

Il interrogerait les sommets sous les pics,

Les saillies, les vires, les éboulis grandioses,

Prenant pour des indices, des indics,  

Lambeaux de brume de chair rose,

Mais ne trouverait pas la chose 

Du dernier chic!

Parfois, vous taillez des murmures...

Vous les taillez dans une eau froide qui susurre... 

Parfois, vous lâchez des rumeurs...

Vous avez beau vous éloigner de vos clameurs... 

Elles restent, elles perdurent...

Et on entend partout vos voix!

Comme si Diane était en mille endroits!

Toute eau qui freine au-dessus des cascades

Finalement se jette et se rend, et reprend

Ses esprits en devenant une eau de baignade.

D'envelopper Diane jamais ne se repent!

Je laisse au soleil ses rayons et ses œillades.

Tel est pour moi le plus suave des destins:

Je choisis vos sentiers et fraye vos chemins...

Et comme j'arrive avant vous, je mets de l'ordre

Juste un brin avant que vous mettiez un point d'orgue!

Je dispose les coussins autour des bassins...

Chanter Diane pour composer de bons poèmes

Réduits à un seul thème et à quelques sujets,

Ou se taire pour rien écrire de mauvais?  

Tous les poètes feraient face à ce dilemme!  

Des poètes iraient vivre dans le Latium 

Puisque là-bas avec leurs voix et leur médium 

Les neuf Muses seraient chez elles! 

Leur espoir? Rétablir des passerelles?  

Les croiser sur un mont au détour d'un chemin?

Faire naître en eux le désir irrépressible

De chanter des nymphes italiennes? Possible!  

Mais attention! Sont très possessifs les bassins!

Ils se tiennent au faîte de l'anatomie,

Ils se tiennent eaux fêtent Diane et ses amies.

Ils ne lâchent leurs épidermes, leurs minois, 

Que si Diane l'exige, n'ayant plus le choix. 

Elles médusent, les baigneuses, et amorcent,  

Et avec les nymphes se baigner est un art!  

Qui peut laisser sans voix, admiratif, sans force...

Diane peut hâter à tout instant le départ...

Quand on surprend une jonchée

De suivantes de Diane dans l'herbe couchées,

On ne sait trop à quoi servent leurs mains, à quoi

Elles sont si savantes, puisqu'elles ne filent

Pas la laine, ni ne tissent la soie docile

Aux doigts, puisque pas même elles n'ont

Besoin dans l'eau de se refiler le savon! 

Cela mousse et avec quelle jubilation!

Leurs mains tournent les pages

Du présent, leurs mains servent à la nage

Et à regagner le rivage

Une fois achevé le bain.

Quand je les vois allant et venant sur les rives,

Quand je les vois évoluant si suggestives,

Passant allègrement d'une berge à l'autre, d'un

Imbroglio de nymphes à un autre bassin

Qui déborde, où leur gaieté elles réinscrivent,

J'ai l'impression de voir réunies, en action,

L'ensemble de mes capacités cognitives,

Et je vois bien que provoquer leur éviction

Aurait des conséquences dégénératives.

Contrairement au saumon et à l'esturgeon

Du poème, elles ne restent jamais prisonnières

D'un bassin où se réitère leur plongeon.

Leurs favoris sont nombreux le long des rivières

Et des torrents. Bref, au lieu de changer d'amants, 

Elles changent de bassins, vasques et piscines... 

Jamais dans le cristal elles ne ratiocinent...

Jamais dans le bouillon elles ne vaticinent...

Tous agissent sur elles comme des aimants

Tant elles écument la flotte

Aussi bien que le vent... 

Comment voir en elles des sottes

D'humeur et non leur entregent? 

Elles médusent, les baigneuses, et amorcent,  

Et avec les nymphes se baigner est un art!  

Qui peut laisser sans voix, admiratif, sans force...

Transi! Ballot! Diane peut hâter le départ...

Elles ne sont pas des Dryades par hasard!

Elles ne sont tenues, corsetées par l'écorce

De chasteté! De toutes parts,

Elles sont enserrées dans les eaux vives

Qui n'aiment rien tant que leur être des cerceaux

Entourant la taille, tourbillons et cerceaux 

Dont tôt ou tard les nymphes se délivrent!

Un bassin délaissé,

Dix bassins attentifs retrouvés, empressés... 

Le plaisir impatient logé entre les cuisses

N'est pas le seul qui puisse

Propulser...

Les nymphes ne se consument: elles enfument 

Les monts avec leurs nuages de vapeur d'eau.      

Les nymphes dévident des pelotons de brume. 

Le torrent, lui, n'a pas le serpent dans la peau!

En retard à son rendez-vous, il ne renonce...

Il dévale le versant comme un fou, il fonce...  

Il s'éclate à travers la verdure aux oiseaux!

Les Muses et Diane n'occupent pas les mêmes 

Etages; les nymphes sont frileuses: souvent,

Elles boudent l'ubac de Borée, et au vent

Elles préfèrent la brise et le souffle, crèmes 

Du courant d'air, et le doux soleil de l'adret! 

Les Muses, elles, ne craignent pas les sommets: 

Les glaciers, les névés, et autres lieux de fonte;

Les hauts plateaux à herbe rase où les bergers

Font paître brebis et agneaux, leurs protégés. 

Elles sont réchauffées: à l'heure de la tonte

Des lainages, leurs beaux chants font l'effet   

Du soleil printanier! La neige, elle peut fondre  

Sans regret, guidée par les rayons du soleil.

Fondre est en effet sa manière de répondre...  

Peut-être sa façon de sortir du sommeil...   

Le soleil les congratule et la sollicite:

Il ne coule rien d'aigrelet,

Il ne tonitrue que du lait!  

L'étage nival et l'étage alpin n'hésitent

Pas à les retenir sur leurs plateaux herbeux.  

C'est là que les neuf Muses résident et gîtent,

Et répètent leurs chants, et conservent la frite,   

Emondent poèmes, rient un peu des bas-bleus.

Non, pas de danger que les nymphes aillent

Les déranger au bord des failles!

Là où devant le sublime raison défaille!

Là, elles crèchent tranquilles, elles travaillent

En paix, elles voient naître les premières mailles...

Cela dit, elles ne crachent pas sur les pins, 

Sur les étages montagnard et subalpin.

Souvent, elles quittent le plateau et la scène

Du mont Olympe, ou la source pérenne

De l'étalon, et c'est un fait qu'au mois d'avril,

Avec la fonte des neiges qui les entraîne

Vers les forêts, le poète court le péril

De les perdre de vue! Cela dit, en avril,

Ne te découvre pas d'une rémige sous peine...

Elles volent alors où les torrents assènent

Leurs fracas étouffés par les forêts anciennes.  

Leurs voix peuvent donc te croiser,  

Et comme les tiennes, leurs volontés sont droites!

Elles fréquentent des envers discrets, boisés; 

Des endroits tortueux qui aiment pavoiser

Des sources d'inspiration profondes, étroites,

Encaissées dans l'ombre! Lovées dans le secret. 

Eclaboussures, étincelles de la forge!

Vous planez au-delà même du guilleret!

Hantez l'admirable proportion de la gorge!

Tous les torrents trouvent les nymphes à leur pied!

Ralentissent, forment des bassins comme il sied.

Tes amies caressent alors, étrillent    

Et lustrent l'encolure d'un coursier, 

Et le poil du centaure brille!

Les nymphes sont assez nombreuses pour former

Deux grandes fleurs ou trois quatre fleurettes... 

Cinq ou six en comptant les neuf sœurettes!  

Un bouquet jamais abîmé!

Un bassin toujours animé!

Pas moins que les Grâces et pas plus que les Muses...

En votre présence, l'adage, je récuse!

Si c'est bien vrai s'agissant de la société

De ces messieurs dames,

Cela est faux, c'est une contrevérité,

S'agissant d'une compagnie de jeunes femmes!

Une trentaine ne seront jamais de trop!

Dès que les Muses touchent terre au bord du flot,

Leur apparition parmi vous sème une joie 

Contagieuse: tes amies ne chatoient

Jamais autant dans les bassins; une courroie

D'excitation enfantine répand la joie

Parmi vous! Vous délaissez un moment

Vos vases, vos coupes, vos vasques; se répand   

La bonne nouvelle comme traînée de poudre...

Les neuf Muses sont là... Disait vrai la rumeur!    

Impossible de la voir dans l'eau se dissoudre, 

La jeune fille! On fait cercle autour des sœurs!  

Les Muses renvoient l'encensoir et l'ascenseur...

Muses n'étant pas étrangères

Aux fantaisies passagères, 

On voit s'épanouir une fleur

Où les neuf sépales savent mettre en valeur

Les pétales faisant cercle en petite tenue. 

La fleur ne fait qu'embaumer à première vue:

Vous êtes faites pour vous entendre! Vos cœurs

Sont purs, et vos mains ne sont jamais moites! 

Jamais précipitées de malheur en malheur

Vous ne fûtes, et nul ne peut vous mettre en boîte!

Diane peut vous souffler dessus à tout instant...

Aigrette propulsée dans la Voie lactée... 

Au vol soumis aux vertes volontés du vent...  

Au vol hanté par le souvenir des bractées...

Où pieutes-tu? Muses portent des tissus fins,

Limpides, verts, comme ailes de cigales,

Des souffles d'air! Des vêtements en lin,

Blancs allégés, neige intégrale,

Leur vont à merveille au bord des bassins. 

Mais sur la même longueur d'onde

Vous n'êtes pas toujours en ce monde!

Les abîmes demeurent nombreux entre vous...

Si vos rencontres au lieu d'être fugitives 

Et fortuites s'éternisaient en rendez-vous

Réguliers, peut-être deviendrais-tu rétive! 

Rebelle! Et à les accueillir à bras ouverts

Inclinerais-tu moins! Beaucoup moins flexueuse!

Les Muses n'aiment pas que les plateaux déserts,  

Elles chérissent les rivières sinueuses

Et paresseuses longées par des prés fleuris...

Toi, Diane, tu aimes les pentes, les abris

Rudimentaires où les rayons vous débusquent, 

Les abris précaires entrés en pâmoison.

Comme le torrent voisin est ton diapason, 

Ton franc-parler te donne des airs brusques! 

Les Muses hésitent à livrer leurs répons

Et sont vite lasses de tes courses de fond. 

Belles rencontres au sommet sont clairsemées

Dans la nature: je parle de celles semées

Par la main du hasard, qui ne sont pas le fruit

De la volonté du dieu qui les réunit.

Celles fortuites et purement amicales

Ne devant rien aux répétitions musicales.

Celles où les neuf Muses surgissent des buis

Dégingandés, ravies, sans prévenir! La fausse  

Jumelle d'Apollon sourit: elle sait bien

Que leur apparition rehausse

Sa troupe! Bien que son blason n'ait besoin

D'être redoré le moins du monde

Par neuf Muses vagabondes!  

Tout ce qu'elles touchent... Miel toutes fleurs devient...

Bientôt, les Muses se déchaussent,

Car bien des choses à cette heure elles exaucent

En Italie... En mai, en juin,

Juillet, août ou septembre!  

Raout printanier et divin... 

L'été n'est pas mandé en vain...

Les ruisseaux ont du mal à descendre...

Poursuivre leur course, se faire entendre...

C'est à croire qu'Orphée joue dans le coin...

On parle d'happening du côté des monts Sabins!

Les Muses ne quittent la Grèce

En général qu'à de très rares occasions.

Elles nagent partout dans l'allégresse.

Inspirer procure sa dose d'évasion.

L'eau du torrent, elle caracole des cimes:  

Provenant de la fonte sublime

Des neiges, pagaille semant

Avec son débit ravageur, son grondement,   

Rejeton des névés, des glaciers et des crêtes,

Elle se jette et tournoie, elle se projette 

Dès les premiers jours du tourniquet du printemps!

Aux abîmes experte et aux gouffres sujette,

Elle désarçonne le temps

Et c'est tout, sauf un désastre!

Le torrent, ses sources, ce sont les astres.

Le centaure revendique cette intrusion, 

Mais toi, tu ne recherches pas les effusions

Avec elles, Diane, non plus les infusions.

Cela dit, tu ne les éventes

Pas non plus quand les Muses se présentent, 

Formant moins une phalange qu'un essaim!

Noblesse salue la roture des bassins! 

C'est la garantie d'une amortie réussie

Dans la forêt, en votre sein.  

La garantie aussi que tu rougisses!

Car leur venue n'est pas exempte d'un supplice!

Tous les regards te poignardent... et tu pâlis  

Quand leurs chants montent sous les arches

De verdure, dopant les lierres des chablis!

La pourriture achevée de l'arbre anobli

Par le temps et la mort! Que la terre le sache:    

Tu danses seulement quand tu voles ou marches

Ou t'élances! Seulement alors tu te lâches

Entourée de murmures et de gazouillis!

Les chants des Muses te clouent au sol! Ils te rivent

Sur ton rocher quand les nymphes accourent, sont

Là, pourraient te voir danser, entrer en transe, ivre  

Et possédée, toute parcourue de frissons!  

Les neuf Muses te paralysent quand ton frère

N'est pas présent avec sa lyre d'or: tu bats

Le rythme et la mesure dans les bois, 

Certes, mais c'est tout ce que tu peux faire

Avec tes pieds... Raides les bras...  

Presque roides, cadavériques, 

Pendant que les nymphes sortent du bain

Pour rejoindre les Muses dynamiques  

Qui leur tendent des lendemains...  

Une ou deux jouent, deux ou trois chantent,

Cinq ou six s'avancent, tendent leurs mains

Aux nymphes radieuses, dégoulinantes... 

Elles formaient une fleur épanouie dans l'eau: 

Un nymphéa! Ce n'était donc pas la totale,     

Ô gambettes cachées sous l'eau!

Cela n'empêchera pas de tenter Tantale!

Pour cela, suffit largement le haut!

Oui, c'est cela, une corolle de pétales:  

Une corolle de bras blancs éclaboussant

Les voisines! Mais voici que la fleur baignant

Dans l'eau se découvre des jambes...

Des pieds nus dans le bain moussant...

Les tige et racines de concert s'effaçant...

Le chant fait mieux qu'un dithyrambe...  

Les Muses tirent de l'eau notre nymphéa 

Qui devient ronde et farandole sur la rive! 

Diane ne prend part à cette dérive...

Diane sourit, contemple, rit, laisse faire à

Ce moment-là! Elle trouve une excuse

Pour ne pas intégrer la danse et reste près

Du ruisseau où elle se fait oublier. Ruse

Qui fonctionne car les nymphes n'ont pas

La tête à taquiner, à chagriner quiconque.

Leur élan n'est pas quelconque...

Diane tape la mesure dans son coin, à

L'écart... Restent raides et pendouillent les bras...  

Culpabilise-t-elle alors pour trente-trois? 

Si les Muses mélangent les nymphes et la

Musique, des Grâces voulant en faire

Vaguement les émules, les dépositaires,

Bah, après tout, c'est leur affaire! 

Pourquoi pas? Pourquoi les frustrer et contrarier?

Tant qu'il n'y a rien de plus pressé!

Tant qu'on ne cherche pas à l'absorber!

Par les chahuts et les chants tu es inhibée

Quand les Muses et les nymphes braquent leurs yeux,

Les prunelles de leurs yeux sur toi! Très fébrile

Alors tu deviens et tu te recroquevilles

Comme si tu redevenais petite fille!  

Ne jamais montrer frivole sous les cieux 

Diane se laissant aller avec un corps en nage!

Il y a là quelque chose de licencieux...

La sueur froide se dégage... 

De tes pores... à l'idée d'un tel témoignage!

C'est à peine si la moiteur

Pénètre les Grâces écopant des hauteurs!

C'est l'impression du moins qu'elles dégagent

Avec leurs corps et leurs visages  

Quand elles dansent en présence de Phébus

Et que perle de la sueur sous leurs aisselles.  

Les Grâces sont dilettantes, mais quel tonus!

Ô partitions en papyrus!

Muses possèdent les clefs musicales! Elles

Brandissent les doubles des clés

Et nymphes s'ouvrent où elles veulent aller.

Et à voir les nymphes danser

Et à voir l'innocence

Prendre ainsi son pied,

Leur plus tendre enfance

On se demande à quoi put ressembler. 

Ai-je sans le savoir réalisé leur rêve?

Leur vœu le plus sacré et le plus cher?

En les incorporant, non pas aux souffles d'air,

Mais aux nymphes bondissant sur la grève?

En les greffant aux nymphes extraites des eaux

Et aux nombreux charmes de leur tendre réseau!

Toi, tu ne bouges pas car tu fais du surplace!

Tu ne dis rien car ton silence est cohérent.

Quand l'hiver fige, arrête le cours d'un torrent

En lui donnant un frein de glace,

On le dirait inspiré par Diane craignant

D'offrir à ses amies un spectacle indécent.

Mais à vrai dire cette raideur a son charme

Et pare aussi bien que des rires ou des larmes.

Diane offre un spectacle poignant

Que je trouve aussi saisissant

Que celui des nymphes s'adonnant à la danse.

Mon regard va de Diane aux Muses et des iris

Aux nymphes, puis revient à Diane et aux fougères, 

Comme si je regardais un match de tennis.

Ce que je vous dis là est vrai, je n'exagère.

Ô brise, tu emportes les parfums des fleurs...  

Les couleurs des reflets devenus chimériques...

Les notes éparses, éprises de leurs sœurs...  

Les trames mélodiques...

Mais pas la retenue et la raideur...

Comme personne avec insistance

Ne la dévisage contre son gré,

Diane n'est pas rouge, pas écarlate,

Mais on s'attend à ce que tôt ou tard éclate

Le riche refoulé qu'elle laisse planer.

Diane, le ton épistolaire me délasse 

Et me détend, fait de moi un homme apaisé  

Autant que la vue des trois Grâces

Quand elles font leurs sauts et leurs brisés.

Ce ton me décontracte autant

Que la vue des Muses et des nymphes légères

Quand une greffe de printemps

Qui réussira leur fusion suggère.

Il m'arrache à l'idée d'un poète amoché,

Contusionné, griffé, rossé par la nature,

Déchiré et décoré par ses écorchures!

Il fait couler le miel suintant du rocher.

La douceur lui semble être acquise  

Naturellement!

Les Muses ne sont plus requises

Quand il commande ainsi à tous les éléments.

On dirait un prince charmant!

Aussi adroit que la chèvre ou la bique

Familière des prouesses acrobatiques, 

Il m'enlève vers le plateau du mont Ida  

Et vers ses rigoles de larmes asséchées!

Vers l'herbe rase pascale du mont crétois!    

Vers les troupeaux se déplaçant ici et là!

Au bout, le chemin caillouteux, cadavérique, 

Débouche sur un col, sur un hymne homérique!

Peut-on concevoir plus grande délectation 

Que réjouir l'oreille de Diane?   

Que captiver son attention dans la montagne?

Que restaurer son pavillon?

Plus auguste consécration? 

Franchirai-je le Rubicon? Me passerai-je 

Du concours des neuf Muses pour 

Chanter Diane? Des sources? De la neige

Qui tient et de la neige fondante qui court?

Pour vanter les baignades dans les gours?

Le torrent frénétique des beaux jours?

Leur rendrai-je un précieux service

En ne les frottant pas à tous ces délices?

Je ne veux pas les soumettre à la tentation

Ou leur imposer de force une direction.  

C'est à elles seules de décider, à elles

De me devancer; ou rebelles,

Ou prudentes, de m'abandonner à mon sort. 

Je me débrouillerai sans elles car les ailes 

Des oiseaux peuvent aussi venir en renfort.

Tant pis si les neuf Muses

Jamais fumeuses et abstruses, 

Qui délayent, dissipent les obscurités

(Comme Apollon diffère les clartés),

Nous privent aujourd'hui de leur chorale

Comme si elles étaient réduites à quia,

Méfiantes à l'égard du lit et du substrat,

Appréhendant un naufrage de la morale. 

Le souffle d'air peut servir comme médiateur

Et le rayon de soleil comme pendulette...

Diane aime se saisir seule de sa serviette...

Et c'est elle le radiateur...

Bruits de la nature sont une efflorescence 

Assez douce à ses oreilles! Oui, ici-bas,    

Suffit largement là-haut un profond silence

Roi, égratigné près de toi par les blablas

Des nymphes! Les mélodies des eaux! Evidences

Des ruisseaux! Comme Diane, je ferai avec

Le froufrou des ailes plus doux à ses oreilles

Que le chant de l'oiseau; son bec, 

C'est la pointe de la flèche ou la baie d'airelle!   

Muses ne veulent pas d'un suaire de cristal

Ne cachant rien dans l'ombre et ravissant l'oreille! 

D'un trop long séjour pouvant leur être fatal!

Et d'un flambeau céleste noyé en aval!

Ô nageoire qui se réveille!

Muses ne veulent chuter de leur piédestal.

Ô suage du vaisseau neuf qui appareille!

Croient-elles vraiment que je pourrais débaucher

Diane? Croient-elles vraiment que je sois doté

D'un tel pouvoir? Si c'est le cas, elles me flattent   

Mieux qu'un renard! Pensent-elles vraiment que les

Nymphes hésitent déjà devant moi, se tâtent?

Je suppose qu'elles se connaissent fort bien 

Et savent où gît leur intérêt (et le mien)

Mieux que je ne saurai jamais! Je leur pardonne

Si ce poème non esquissé sur le motif,

Plutôt ébauché sur le vif,   

Les inquiète et les désarçonne,

Et leur fait entrevoir des tableaux trop lascifs. 

Je leur pardonne une défection éventuelle,

Un refus de me suivre dans ces bagatelles,  

Si rester à l'écart est bel et bien leur plan.

Je ne leur ferme pas la porte au nez! Vlan!

Comme on dit, je passe l'éponge!

Tête la première je plonge!

Moi, je n'ai rien, mais alors rien du tout   

Contre une échappée au pied des cascades!

Contre une frasque, une incartade!

Je revendique haut et fort pareille tocade!

Il me plaît de leur paraître fantasque et fou!   

Et de voir à chacune sa drôle de tête  

Pendant qu'Erato sourit! Il ne me débecte  

De les déconcerter! Je ne suis leur toutou!

Nous pouvons remettre à plus tard nos entrevues:  

De l'ébauche au poème agréant Apollon,

Le chemin est encore long... 

Je suis très curieux de voir comment sous les nues

Je vais me débrouiller sans leur concours. Doublons

Les Muses! Et poursuivons sur notre lancée!

Faisons comme si par elles j'étais toujours

Devancé! Jusqu'au fond de mes pensées!

Je ne tiens pas à leur présence autour

Du campement de la déesse Diane!

Je tiens à ce qu'elles nous accompagnent,

Mais en restant invisibles aux alentours.

Si Diane doit être mise

Dans un charmant embarras

Qui la désarme et tétanise,

Cela doit être uniquement par moi!

Me souffler le début du poème à l'oreille,

C'est déjà beaucoup et bien des doutes balaye...

Je ne suis pas étonné que Muses débrayent

Et me laissent passer devant.

Le sentier est ardu et parsemé d'embûches!

Diane ne reste pas longtemps les bras ballants!

Les nymphes ne sont pas des ourses en peluche!

Commence le triathlon: nage, course, osmose

Avec vents et zéphyrs, voltige à haute dose!

Vers légers donnant le vertige à toute prose!

Muses m'ont mis le pied à l'étrier,

Mais il ne sera pas question de pédalier.

Je ne m'attends pas à croiser des lits de roses:

Dans la nature où perçoivent, percent les eaux...

Sera souvent caillouteuse la literie

Soumise aux crues, abonnée aux intempéries.

Dans l'atelier, je ne la jouerai pas perso!

Muses seront toujours les bienvenues

Pour délivrer leurs points de vue,

Proposer retouches, ordonner correctifs.

Dans le studio, je la joue toujours collectif!

Je ne peux rêver mieux comme modèles

Au cas où il me faudrait un oubli pallier,

Au cas où ma mémoire serait infidèle,

Au cas où mes yeux voudraient revoir un plié.

Pourquoi pas un déshabillé?  

Je me vois déjà accrochant une folie

Sur un éperon solitaire biscornu!

Une fabrique quelque part en Italie!

Ou raccommodant des passages mal fichus!

Je me vois déjà accrochant une folie

Ou raturant d'un trait comme si Jupiter

Lâchait quelques notes de flûte: oui, un éclair! 

Je vois déjà les yeux pétillants de Thalie

Privant Diane du droit à la mélancolie!

Je me vois déjà lâchant de profonds soupirs,

Contraint de remettre au zéphyr

Verni la réalisation de mes désirs.

Tout cela bien évidemment sous leur dictée

Rappelant l'ivresse des premières tétées!

Les Muses ne doivent donc pas du mauvais sang

Se faire! Rendez-vous est bien pris, je leur donne!

Je serai réceptif, humble, reconnaissant,

Comme je l'ai déjà été jusqu'à présent.

Oui, que mes derniers coups de lime, elles ordonnent,

Mais pour ce qui est de peindre sur le motif,

Je tiens à ma solitude dans la nature

Et au coup d'aile léger de l'oiseau furtif.

N'en souffriront ni sa vertu, ni sa stature.

Je suis sûr de moi sur ce point, affirmatif:  

Non seulement Diane est très susceptible,

Mais aussi et encore plus incorruptible

Que la brillante lune... s'effaçant...

Ce qu'elle fait la nuit au fond d'un antre sans

Demander la permission à quiconque, Diane

Ne saurait faire en plein jour avec un berger

Même sous les regards d'un cheval ou d'un âne...

L'Amour ne sera son hôte, pas de danger!

Je serai comblé si j'arrive

Seulement à éveiller sa curiosité

Amusée, à froncer un sourcil qui prescrive

Des bornes! Je ne serai nullement dépité,

Je resterai imperméable à la rancune,

Si au lieu de lui enlever le beau croissant

Qui orne son front d'albâtre, chacune

De ses amies me force à être obéissant,

Me tend deux fois plutôt qu'une

La main pour qu'à l'issue du bain

J'aide à les sortir du bassin.

Porté par les Grâces (que nul ne peut corrompre) 

Unies par un lien qui ne saurait rompre  

(Cependant, une se détache bien du lot   

Car lorgnant timidement du côté du flot!),

Je veux chanter Diane aujourd'hui, soit la déesse

Romaine qui vole aussi légère qu'Hermès!

Je veux chanter autour d'elle les prophétesses

Mineures qui vivent à l'écart de Cérès,

En surplomb des champs et des plaines

Alluviales, légères comme graines

Jetées par la main du semeur  

Faussement désinvolte,

Entrevoyant déjà sa future récolte.

Moins légères que les parfums des fleurs... 

Plus rapides que des nefs larguant les amarres...  

Tandis que fendre l'air leur donne des couleurs,

Je veux déposer une tiare  

Sur la tête de Diane! Aujourd'hui, je n'admets

Dans mon poème que nymphes, Muses, Grâces,

Biches, cerfs, eaux vives, j'en passe, 

Dans les replis des montagnes, dans les forêts

Dissimulant bassins, oiseaux, tous mes creusets

Azur. Mais Diane seule aura droit au pinacle:

Etre reine du poème et clou du spectacle

Au milieu des fables qui l'entourent! Salon

Elle tiendra; et devra s'assurer, en Corse

Ou ailleurs, qu'entre les Muses et Apollon, 

Il n'y ait point oubli, gouffre ou divorce;   

J'y veillerai et à cela déjà m'efforce.

Je veux en avril et en mai lui faire don

D'un grand poème qui soit estival, très long, 

Par l'inspiration arraché aux creux des vagues!    

La qualité du poème en dépend! La bague?

Oui, les nymphes ne sont ni des Muses, ni des

Grâces: elles présagent plus qu'elles n'inspirent... 

Ne leur fait peur la crue, l'eau qui va déborder...

Elles nagent plus qu'elles ne chavirent...    

Avec leur teint rose et frais jamais faisandé,

Non loin de ton arc débandé,

Elles se baignent plus qu'elles ne dansent 

Sur les prés, et s'écoulent avec élégance

Et majesté, présageant une confluence,

Mais aussi la fin du printemps...

Augurant l'automne, la mort et son empire...   

Bien que rafraîchisse ce qui d'elles transpire! 

Bien que son cœur soit tout, sauf inconstant,

Diane fait souvent savoir qu'il est temps

De décoller... Dès lors, nymphes convergent!

Elles ont l'autorisation de s'affoler

Un peu, de s'agiter sur berge!

La brise sèche les plus mouillées, les allègent...

Des peu matinales émergent,  

Commencent à peine de dégouliner;

Elles sont les brûlures fraîches

De l'été, elles se dépêchent...

Les zéphyrs affrétés par le désir sont là:  

Repliés, blottis dans les frondes

Enroulées des fougères de ces bois,  

Ils bouillonnaient au bord de l'onde...  

Et rêvaient précisément à cette seconde...

Un dernier regard au bassin et en avant!

Une à une comme les notes d'un arpège...

Elles lèvent le camp, ne soutiennent son siège... 

Certes, la brise peut céder la place au vent...

Certes, le zéphyr peut se noyer dans le vent...

Mais le vent se divise et vingt fois se recueille...

Elles se détachent, montrent la voie aux feuilles...  

Qui rêvent déjà toutes à leur belle mort

En secret; à leur propre envol qu'on le veuille

Ou non; à la violence du vent du nord.  

Les nymphes s'élèvent, se détachent, s'aèrent

Les méninges, mais redeviendront de l'eau claire: 

Des ailes de cigale divisées en gours

Dans lesquels les admirer en plein jour...  

Une eau vive que le poème déblatère...

Du beau linge auquel rêve le vocabulaire... 

Tous les mots voudront y établir leur séjour...

C’est pour toi une question de principe,

Diane: tu n’as jamais dardé, ni déposé

Ton char sur l'île de Chypre... 

Tu laisses dire et bavarder...  

Superbe ligne de conduite...

Tu laisses nymphes déborder...

Former les ailes de ta suite...

Elles n'oublient pas d'arroser...