Le singe peintre et le renard poète



La confrontation du singe et du renard n'est pas nouvelle. La Fontaine l'a mise en scène dans sa fable du Renard, du singe et des animaux, une fable d'autant plus intéressante qu'elle est écrite uniquement en décasyllabes, ce qui constitue une rareté et une vraie curiosité chez lui. Le singe peintre, peint par Chardin, s'inscrit dans la tradition des peintures de singeries plutôt flamandes, et le thème du singe s'amusant à singer quelqu'un d'autre est présent aussi dans les fables, non pas sous la forme du singe peintre, mais du singe écrivain chez La Fontaine. Suis-je moi-même un singe de La Fontaine? Non, mon style est différent du sien, et je ne cherche pas à l'imiter; je cherche tout au plus à l'égaler, mais avec un style, des moyens et des ressources différentes. 

 

Contrairement à la cigale et au rossignol qui peuvent être qualifiés d'artistes originaux, experts dans le domaine du chant, le singe, qu'il soit peintre avec Chardin ou éventuellement écrivain avec La Fontaine, demeure, lui, une figure du plagiaire et du pâle imitateur. Il n'en demeure pas moins aussi, de façon plus positive, "un doublet de la nature humaine et de sa vocation d'imitatrice de la nature, donc un doublet du poète, de l'artiste", pour reprendre les termes de Marc Fumaroli. 

 

Avec le renard poète de mes fables, j'ai créé une véritable figure de poète, un animal poète qui ne chante pas comme les oiseaux, mais qui écrit bien des poèmes avec des mots comme les humains. Ce faisant, j'ai décidé de jouer sur la tradition poétique qui fait du poète, non seulement un musicien, mais aussi un peintre: mon renard poète écrit son poème Les baigneuses en plein air, sur le motif, ainsi que font généralement les peintres paysagistes, et ainsi que fit Courbet pour peindre nombre de paysages franc-comtois. 

 

La confrontation du singe et du renard, on la retrouve dans le livre quatrième du tome 1 des Fables du Lavoir, avec une reprise de la fable de Babrius: Le singe et le renard. Elle se poursuivra ensuite par le biais de la fable intitulée La grève des animaux, dont on peut (et pourra) suivre l'écriture sur ce site Internet dans mon atelier des fables. La première version de cette fable sera probablement incluse dans le deuxième recueil, et la seconde version dans le troisième recueil. 

 

En attendant, on peut toujours relire les fables que La Fontaine consacre au singe, et notamment Le singe et Le renard, le singe et les animaux, même si ces deux fables sont loin d'appartenir à la catégorie des meilleures fables du bonhomme. Celle du Singe et du Dauphin et celle du Singe et du Léopard me semblent bien meilleures. 


Le singe

Il est un singe dans Paris 

A qui l'on avait donné femme. 

Singe en effet d'aucuns maris, 

Il la battait: la pauvre dame 

En a tant soupiré, qu'enfin elle n'est plus. 

Leur fils se plaint d'étrange sorte, 

Il éclate en cris superflus: 

Le père en rit; sa femme est morte. 

Il a déjà d'autres amours 

Que l'on croit qu'il battra toujours. 

Il hante la taverne et souvent il s'enivre. 


N'attendez rien de bon du peuple imitateur, 

Qu'il soit singe ou qu'il fasse un livre: 

La pire espèce, c'est l'auteur. 


La Fontaine


Le renard, le singe et les animaux 

Les animaux, au décès d'un lion, 

En son vivant prince de la contrée, 

Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on. 

De son étui la couronne est tirée: 

Dans une chartre un dragon la gardait. 

Il se trouva que, sur tous essayée, 

A pas un deux elle ne convenait. 

Plusieurs avaient la tête trop menue, 

Aucuns trop grosse, aucuns même cornue. 

Le singe aussi fit l'épreuve en riant, 

Et par plaisir la tiare essayant, 

Il fit autour force grimaceries, 

Tours de souplesse, et mille singeries, 

Passa dedans ainsi qu'en un cerceau. 

Aux animaux cela sembla si beau 

Qu'il fut élu: chacun lui fit hommage. 

Le renard seul regretta son suffrage, 

Sans toutefois montrer son sentiment. 

Quand il eut fait son petit compliment, 

Il dit au roi: "Je sais, Sire, une cache, 

Et ne crois pas qu'autre que moi la sache. 

Or tout trésor, par droit de royauté, 

Appartient, Sire, à Votre Majesté."

Le nouveau roi bâille après la finance, 

Lui-même y court pour n'être pas trompé. 

C'était un piège: il y fut attrapé. 

Le renard dit, au nom de l'assistance: 

"Prétendrais-tu nous gouverner encor, 

Ne sachant pas te conduire toi-même?"

Il fut démis; et l'on tomba d'accord 

Qu'à peu de gens convient le diadème. 

 

La Fontaine