La tourterelle n'a pas fini de soupirer! 



Un cousin à moi m'a demandé récemment si je pouvais écrire une fable pour lui qui aurait pour héroïne la tourterelle! Je devine en vue de l'offrir à une dulcinée! Que j'imagine, allez savoir pourquoi, persane plutôt que turque! Je suis bien sûr assez flatté de recevoir une commande artistique, tel un grand peintre, mais embarrassé aussi, car écrire une fable n'est pas chose qui s'improvise comme ça, surtout lorsqu'on ne dispose pas du sujet et de l'intrigue. Sujets et intrigues ne tombent pas du ciel tout cuits dans le bec du fabuliste, à moins, comme ce paresseux de La Fontaine, de se contenter de réécrire des fables anciennes!  

 

Bien évidemment, je suppose que ce cousin rêve à une fable mettant en scène, si possible, un amour heureux digne de celui des deux pigeons de la fable. Or, hélas pour lui, manque de bol, la tourterelle joue dans les fables le rôle de la dame qui soupire, souvent à cause de la perte de son amant ou de ses amants, ou à cause d'un amant volage. C'est là le rôle classique qu'elle joue dans les fables, je n'y peux rien, c'est ainsi. 

 

Si bien que ce cousin me met dans une situation très inconfortable. Si j'écris cette fable, comme il me le demande, je serai bien obligé d'écrire une fable qu'il pourra offrir sans danger à sa tourterelle; je serai donc obligé d'innover et de dépeindre une tourterelle heureuse en amour! Je devrai dépeindre aussi un tourtereau idéal, voire égaler le maître, puisque je m'aventurerai dès lors sur le terrain des pigeons!

 

Or, je l'ai déjà dit, si la fable promet d'être flatteuse pour tout le monde, je n'ai pas encore trouvé l'idée géniale qui me permettra de peindre ce tableau idyllique sans tomber dans la guimauve. Et les lavandières ne me pressent pas de l'écrire, car elles aussi comptent sur moi pour tenir un rôle flatteur, heureux, dans quelque fable originale de mon cru. Tout le monde veut jouer un rôle flatteur dans mon recueil! C'est la bousculade générale!

 

Les malheurs de la tourterelle ne s'arrêtent pas là! Alors que nos deux pigeons ont eu droit à la plume de La Fontaine pour dépeindre leur amour sans nuages, la malheureuse tourterelle a vu ses soupirs décrits par Florian et par Dorat. La Fontaine n'a pas daigné lui consacrer une seule fable! Seul motif de consolation pour elle, car on en trouve un quand même en cherchant bien: elle n'est pas condamnée à croiser des autours des palombes comme la colombe. Bref, vous l'aurez compris, l'attente de mon cousin risque encore d'être longue, et la tourterelle n'a pas fini de soupirer!

 

En désespoir de cause, je me contenterai peut-être d'imiter mon maître et de réécrire une fable déjà existante, par exemple Le corbeau et la tourterelle de Madame de La Ferrandière! Une courte fable de très bonne tenue!